Désendetter les états de la zone euro : C'est possible !

La dette publique dans la zone euro n'est pas une fatalité. Contrairement aux idées reçues, un processus de désendettement des États européens est tout à fait envisageable. Par André Grjebine, Directeur de recherche à Sciences Po Paris, Centre de Recherches Internationales.

Contrairement à une idée reçue, un désendettement des Etats européens est parfaitement envisageable. Afin de venir prioritairement en aide aux Etats les plus endettés, la BCE pourrait racheter à chaque Etat un pourcentage fixe de sa dette. Ce système risque d'être mal perçu, et sans doute rejeté, par les Etats les moins endettés, qui se considèrent comme ayant été les plus « vertueux ». C'est pourquoi, il parait préférable que la BCE rachète les titres publics des Etats membres au prorata de la participation de chacun d'eux à son capital. Cette formule est moins favorable pour les Etats les plus endettés. Mais, elle est plus acceptable pour les autres. Les premiers n'ont aucun avantage par rapport aux seconds et ne sont donc pas encouragés à recourir de nouveau à ce mode de financement de leurs dépenses publiques. Chacun participe à la BCE et chacun en bénéficierait, le cas échéant, en fonction de sa participation.

Monétisation plus ou moins importante

Pour financer ces achats de titres publics, la BCE émettrait des euros. Il y aurait donc monétisation plus ou moins importante suivant le comportement des détenteurs des titres publics achetés par la BCE et de la demande de crédits. En février 2015, la masse monétaire (M3) de la zone euro était de 10.440 milliards, soit, à 11 % près, un ordre de grandeur comparable à celui de l'endettement public brut des Etats de la zone (9.292 milliards €, fin 2014). Même en supposant que les banques ne répercutent pas intégralement sur les crédits qu'elles accordent l'augmentation de leur monnaie de base, il ne serait guère concevable de procéder à une création monétaire d'une telle ampleur (4.600 milliards € si le désendettement porte sur 50 % des dettes publiques, représentant à peu près de 44 % de la masse monétaire). Cette solution n'est donc envisageable que pour des achats progressifs, au moment où les titres publics viennent à échéance, à moins d'envisager une « stérilisation » de la monnaie créée.

Une alternative crédible

Une alternative consisterait pour la BCE à émettre des obligations sur elle-même, rémunérées à un taux légèrement inférieurs à celui des titres publics rachetés, compte tenu de la sécurité supérieure, sauf exception, qu'offriraient ces titres garantis par la BCE par rapport aux titres publics d'un Etat. Dans l'hypothèse où les détenteurs de titres publics, par exemple de titres allemands, préféreraient les garder, ils pourraient évidemment le faire. Simplement, dans ce cas, l'Allemagne ne bénéficierait pas du même niveau de désendettement que ses partenaires. Il n'y aurait pas de monétisation : dans le bilan des détenteurs de titres publics, ceux-ci seraient simplement remplacés par des créances sur la BCE.

Les titres publics ainsi acquis pourraient être échangés par la BCE contre des reconnaissances de dettes perpétuelles, sans intérêt, émises par les Etats émetteurs. Une variante - qui paraît plus simple à instaurer - consisterait à ce que les titres publics acquis par la BCE restent à son bilan ou à celui des banques centrales nationales, sous réserve d'une extension de leur maturité, voire de leur transformation en dettes perpétuelles. Ils pourraient être assortis d'intérêts, quitte à adopter le mécanisme circulaire prévu pour le rachat de titres publics grecs par la BCE et par le programme de Q.E., c'est-à-dire que les intérêts payés par un Etat lui seront retournés par l'intermédiaire de sa banque centrale. Dans ces deux propositions, la BCE va subir des pertes qui correspondent à la différence de rémunération entre les obligations qu'elle émet et ce qu'elle-même va percevoir des Etats. En réalité, une banque centrale peut avoir durablement un bilan négatif. Elle peut toujours rembourser parce qu'elle peut toujours créer de la monnaie, sauf si son endettement est principalement en monnaie étrangère, ce qui n'est pas le cas de la BCE.

Lever l'hypothèque sur les politiques économiques.

Dans un système monétaire fondé sur la confiance, la valeur d'une monnaie reflète son rôle comme instrument d'échanges plutôt que la qualité des actifs détenus par la banque centrale. Le problème posé par le bilan d'une banque centrale est donc avant tout comptable. A contrario, les États qui ont privilégié la préservation du bilan de leur banque centrale (convertibilité or, etc.), ont bridé leur politique monétaire et généralement connu, de ce fait, de longues périodes de stagnation. Ceci dit, si pour des raisons politiques et psychologiques, la BCE entend éviter tout ce qui pourrait s'apparenter à une dévalorisation de son bilan, il serait concevable de décider que le remboursement des titres publics aura bien lieu, mais ne sera exigible qu'à partir d'un certain seuil, par exemple à partir du moment où un Etat aura atteint un niveau de croissance suffisant pour réduire le chômage.

Ce désendettement devrait permettre d'assainir la situation financière des Etats de la zone euro et de lever l'hypothèque qui pèse aujourd'hui sur leur politique économique. Il serait judicieux de conjuguer une telle politique de désendettement avec un contrôle des dépenses publiques des Etats, quitte à mettre en œuvre simultanément une politique spécifiquement européenne d'investissements publics. Il convient, en effet, d'éviter la mise en jeu d'un aléa moral, résultant de ce que les pays désendettés pourraient profiter du désendettement pour accroître excessivement leurs dépenses publiques.

  • André Grejbine interviendra aux Journée de l'économie sur le thème :  "La dette, ou comment s'en débarrasser ?" le 13 octobre de 15h à 16h30 au Centre culturel Saint-Marc 10 rue Sainte Hélène 69002 Lyon.
  • André Grejbine est l'auteur de « La dette publique et comment s'en débarrasser », PUF, 2015.

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