Réforme Rebsamen : une nouvelle occasion ratée pour le dialogue social

Le texte du ministre Rebsamen, consacre l'échec des partenaires sociaux à se mettre d'accord sur la refondation du dialogue social, Mais l'activisme de l’État en la matière a rarement produit les résultats escomptés. Une nouvelle fois ce nouveau projet risque de passer à côté, par Claude Emmanuel Triomphe, Directeur du site Metiseurope.eu

A la longue liste des délibérations entre partenaires sociaux et des lois qui, au fil des gouvernements successifs, ont été proposées et adoptées, vient désormais s'ajouter un nouveau projet. Le texte du ministre Rebsamen, qui consacre l'échec des partenaires sociaux, notamment patronaux, à se mettre d'accord sur la refondation du dialogue social, s'inscrit dans une accumulation qui finit par poser question: le nombre même de ces interventions législatives n'est-il pas le signe d'une insatisfaction forte et récurrente quant à la qualité des relations professionnelles à la française ? Cet activisme, déployé le plus souvent au nom du renforcement du dialogue social, a-t-il produit les résultats escomptés ? L'on peut sérieusement en douter. En voici quelques exemples.

Le problème de la représentativité

Attractivité et représentativité des partenaires sociaux ? Les années passées ont certes vu les critères se modifier, la représentativité électorale promue et les cartes entre organisations syndicales rebattues. Mais quid de ce qui fait le fond du problème à savoir la faiblesse de l'adhésion, l'insuffisante diversité - jeunes, femmes et minorités visibles sont toujours aussi sous-représentés, bien plus que chez nos grands voisins - sans parler d'une division syndicale qui conduit à de vaines et fratricides surenchères ? En la matière rien n'a bougé ou presque. En ce qui concerne les organisations patronales,  les problèmes sont différents mais leur représentativité, qu'il s'agisse des multinationales, des PME , de nombreux secteurs des services ou de ce qu'il convient d'appeler les nouveaux modèles économiques du type start-ups, Uber ou autre Blablacar - devient tout aussi problématique.

Un partage raté

Nouvel équilibre des pouvoirs ? Les quelques sièges d'administrateurs donnés aux salariés des grandes entreprises, les incitations au dialogue stratégique ont-ils vraiment pris corps et changé les choses ? Si certains y voient une sorte de révolution silencieuse, force est de constater que nous sommes toujours dans la délibération sans partage de la décision et très loin d'une quelconque forme de codétermination. Et ce d'autant que des réformes audacieuses comme celle qui, comme le préconise Louis Gallois,  auraient donné aux représentants des salariés la présidence des CE ont été renvoyées aux calendes grecques : vous avez dit modèle allemand ?

Un dialogue décalé

Nouveaux modes de travail ? Ce texte comme beaucoup d'autres n'en souffle mot. Pourtant, l'entreprise-réseau, la sous et la co-traitance, le travail en mode projet se sont massivement imposés. Dès lors, les conditions de travail, l'innovation, les prix et les profits se jouent de plus en plus au niveau des chaînes de valeur : mais notre dialogue social continue de privilégier l'établissement, c'est-à-dire le maillon, souvent faible, ou les branches dont l'inertie, le nombre, le périmètre et la pertinence devraient conduire à des révisions drastiques. Or en la matière tout ou presque reste à faire tandis que le dialogue en mode projet, en mode collaboratif et participatif, n'en est lui qu'au stade d'expérimentations timides et clairsemées.

Absence de pragmatisme

TPE et PME ? Le sujet n'a eu de cesse d'être reporté. Aujourd'hui le voilà enfin abordé - et ce via la création de commissions régionales paritaires - mais d'une manière bien curieuse. Alors que ce monde des PME/TPE est orienté vers le concret et la proximité, on lui propose une instance lointaine et sans objet précis. Non seulement ces commissions n'auront pas droit d'accès aux PME/TPE mais les voilà instituées au niveau régional, celui des grandes régions : l'on voit tout de suite comment la PME d'Aurillac aura à cœur de saisir une commission qui siégerait à Lyon.... L'on aurait pu être plus pragmatique et en profiter pour traiter, au plus près des territoires, d'un sujet comme celui de la formation par exemple, et ce dans un contexte où le compte personnel de formation créé en 2013 peine à voir le jour. On a préféré une instance traitant de tout mais qui risque de ne traiter de rien.

Innovation et performance globale ? Une enquête récente de la Fondation européenne de Dublin nous apprend que notre pays est, avec ceux de la Méditerranée et d'Europe centrale, celui qui pratique le plus un management hiérarchique, peu ouvert sur l'extérieur. En parallèle, il est l'un des plus mal classés sur la capacité à mener un dialogue social extensif et dans la confiance. Et en termes d'indice de performance et de bien-être au travail, nous sommes parmi les derniers de la classe européenne.

Des chiffres trompeurs

Le diagnostic est sévère, peut-être trop. On nous objectera que la négociation d'entreprise n'a cessé de progresser et que 36 000 accords ont été signés en 2014. Mais ces chiffres sont malheureusement trompeurs: ils masquent pour beaucoup ici un semblant de négociation salariale, là des accords qui recopient à peu de choses près les termes de la loi. La négociation effective se concentre elle dans un nombre réduit de grandes entreprises, creusant un peu plus le fossé entre grands et petits, pour ne rien dire du clivage public /privé. L'on objectera aussi que les attitudes ont évolué notamment au sein d'un monde syndical qui serait devenu plus constructif. Certes, mais les divisions et les surenchères perdurent et, à l'inverse, bien des managers d'aujourd'hui ont pris de la distance vis-à-vis de formes et de processus qu'ils considèrent bien plus comme des contraintes que comme des l'opportunité. Sans parler du fait que le système éducatif les prépare toujours aussi peu, et aussi mal, à gérer les relations sociales.

Un projet trop timoré

Face à tout cela que nous propose le projet Rebsamen ? Une série de mesures, aux ambitions modestes : une dose de simplification par ici, une louche de parité par là, un zeste d'innovation et un doigt de reconnaissance par ailleurs. En dépit de quelques cris d'orfraie, surtout patronaux, ceci ne choque pas grand monde. Mais c'est bien là le problème. Car, à l'aune des multiples et souvent brutales transformations du travail et des entreprises, les évolutions du dialogue social à la française restent extrêmement timorées.

Or c'est d'une reconstruction,  pour ne pas dire restructuration, dont il a besoin. Mais ce défi se heurte  aujourd'hui à une triple alliance: celle d'un déficit de volonté des partenaires, d'un défaut de capacité des pouvoirs publics,  d'un désintérêt enfin de ses principaux « clients », salariés et employeurs. L'on pourrait se contenter de le regretter. Mais face à des légitimités du politique et des corps intermédiaires qui n'ont cessé de de se dégrader, il conviendrait désormais de s'en alarmer et d'innover socialement, et plus encore, massivement.

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Commentaire 1
à écrit le 22/04/2015 à 17:50
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Pure politique sans réelle expérience pratique du dialogue social (n'a jamais été ni employeur privé ni salarié), il était bien incapable de produire un texte utile sortant des sentiers battus des scribes fonctionnarisés de l'administration française...

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