Les quatre vices de la réforme territoriale

La fusion des régions suscite de nombreuses critiques et interrogations mais tout n'est pas négatif dans cette démarche. Par Jacques Lévy géographe et professeur à l'École polytechnique fédérale de Lausanne, directeur du laboratoire Chôros.

La réforme territoriale a jusqu'ici de nombreux défauts. On peut en identifier au moins quatre. C'est d'abord une action top-down, technocratique qui ignore un aspect pourtant essentiel désormais de toute transformation de l'espace politique : la faire avec les intéressés, c'est-à-dire les habitants.

Des critères mécaniques

On a remplacé le complexe équilibre entre les ressources objectives (telles que laprésence d'une métropole) et les ressources subjectives (les identités et les attentes des citoyens concernés) par des critères mécaniques de taille qui, chacun en convient par ailleurs, n'ont rien d'« européen ».

En Allemagne, souvent donnée en exemple, le ratio entre le plus grand (la Rhénanie-du-Nord-Westphalie) et le plus petit (la Sarre) des Länder est bien plus élevé qu'entre les nouvelles régions françaises. Comme ses voisines, la société française se différencie spatialement, avec de grandes et de petites villes, de l'industrie et du tourisme, des cultures et des histoires diverses.

Renoncer à imposer une grille identique pour tous aurait pu constituer une démarche de bon sens, respectueuse des singularités mais porteuse d'un principe commun : rendre possible une nouvelle autonomie, avec plus de liberté et plus de responsabilité, pour les territoires.

L'erreur de ne pas avoir supprimer les départements

Deuxième erreur, le refus de la démarche subsidiaire, consistant à partir de l'échelon local (appelé « intercommunalité ») pour créer des régions comme autant de réseaux d'échange et de développement entre les huit ou neuf cents « pays » locaux. Ceux-ci existent déjà. Ils expriment les modes d'habiter (résidence, travail, éducation, commerce, loisirs, mobilité), qui constituent la dimension géographique de la vie quotidienne des Français.

Un autre aspect critiquable du processus fut de dessiner des frontières avant de définir des compétences. Si on ne sait pas à quoi sert une région et de quelles missions la société la dote, comment peut-on procéder à un découpage cohérent ?

Enfin, contrairement à ses promesses du début, le gouvernement a refusé de supprimer le conseil de département, cette instance régressive qui confond les vivants avec les morts, les habitants avec les kilomètres-carrés et la solidarité avec le clientélisme. L'occasion se présentait de rendre un peu moins opaque, c'est-à-dire un peu moins injuste, l'architecture des pouvoirs en France. l faudra encore attendre.

Une fusion pas complètement négative

Il est vrai que cette réforme est née dans des conditions paradoxales puisque l'exécutif s'est lancé dans cet exercice risqué alors qu'il était très impopulaire. Le résultat n'est pas complètement négatif sur trois points. Il y a eu, quand même, du mouvement, ce qui rendra de futurs mouvements plus faciles.

Ce changement a aussi permis la construction d'espaces qui font un sens - la région lyonnaise (Rhône-Alpes + Auvergne), le grand Languedoc (Midi-Pyrénées+ Languedoc-Roussillon) ou la grande Aquitaine (Aquitaine + Poitou-Charentes + Limousin).

Dans le cadre d'une concertation entre tous les acteurs concernés, il y avait là, au moins, des propositions honorables. Enfin, cette réforme a été, dans l'ensemble, approuvée, dans son principe, par les Français. Si le « mouvement du 11 janvier » rend possible une nouvelle légitimité, on peut espérer que le gouvernement repartira sur de bonnes bases, notamment en donnant la parole aux citoyens plutôt qu'aux notables et en créant un Haut Conseil des Territoires dont la mission, consultative, serait essentielle pour toute réforme à venir : éviter aux décideurs de se tromper de présent.

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Commentaires 2
à écrit le 03/03/2015 à 10:35
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Les critères de décision pour rapprocher tel et tel territoires n'ont jamais été mis en débat, cela aurait donné au projet un brin de sens dont il avait besoin car il est engageant dans le temps. Du coup les échanges ont porté sur des arrangements po...

à écrit le 27/02/2015 à 20:49
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le parisianime envaie toute la France et nous fera crever

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