Bien-être et travail une notion impalpable

Bien-être réel, perçu, relatif : on se perd dans ce concept vague et ses éventuelles mesures opérationnelles. Dans le monde du travail cette notion est à géométrie variable, un effet accentué par l'évolution même du travail. Ce qui menace le travail aujourd'hui, ce n'est pas tant la pénibilité que la perte de sens

Ainsi, depuis longtemps, je suis persuadé que la définition de la santé par l'Organisation mondiale de la Santé - « État de complet bien-être physique, mental et social, ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité » - est une forte incitation à l'usage de drogues. Je ne crois pas que l'on puisse être dans un tel état, sinon quelques secondes par an, et ce, les bonnes années. Prétendre gommer l'angoisse, l'anxiété, la peur de mourir, n'aide guère les humains à supporter leur fardeau et à jouir du bonheur d'être vivants. Je me méfie de la notion de « bien-être », subjective. Ainsi, quand on demande s'ils sont en bonne santé, les Américains l'affirment et viennent en tête du classement. Quant aux Japonais, en queue de ce même classement, ils vivent cinq ans de plus que les Américains. Bien-être réel, perçu, relatif : on se perd dans ce concept vague et ses éventuelles mesures opérationnelles.

Le chômage n'est pas bon pour la santé.

Pour quitter le bien-être et évoquer le fait de vivre, toutes choses égales par ailleurs, les femmes qui travaillent vivent un an et demi de plus que celles qui ne travaillent pas. Le chômage n'est pas bon pour la santé. En revanche, la retraite est excellente. D'après plusieurs études, plus un travail est déterminé par d'autres, contraint par la hiérarchie, moins la personne au travail a un choix sur ce qu'elle fait, moins celle-ci est en bonne santé. De même, plus une famille est grande (enfants, petits-enfants, amis proches, etc.), plus ses membres vivront longtemps. Autrement dit, plus on est intégré socialement - et le travail y contribue - plus l'on vit vieux et en bonne santé. Ainsi, dans les années 1950, les personnes qui vivaient le plus longtemps étaient, en France, les instituteurs. Aujourd'hui, ce sont les professeurs d'université. Et contrairement à ce qu'affirment de prétendus écologistes, les agriculteurs sont en meilleure santé que la moyenne de la population car, maîtres de leur journée de travail, ils ne le subissent pas.

Redonner du sens

Mais le travail change. L'emploi salarié dans une institution à laquelle on consacre sa vie devient l'exception. Un nombre croissant d'entreprises reprises par des fonds financiers ont pour objectif unique le bas de bilan de trois à cinq ans après le rachat de telle ou telle société. Le sens donné aux employés n'est plus celui du métier, de la communauté, de l'intégration sociale, mais celui de la valeur financière pour d'autres qu'eux. L'emploi devient une variable d'ajustement et le sens de ce qui est accompli se perd. Certes, du fait du marché du travail, surtout dans les villes moyennes, ces entreprises n'ont aucun mal à recruter, mais les employés savent à quoi s'en tenir et s'estiment peu engagés envers leurs nouveaux « patrons ».

Les Français attachent une importance spécifique à la dignité, au respect dans toute situation de travail. Philippe d'Iribarne qualifie cette dimension de « logique de l'honneur », « aussi exigeante dans les devoirs qu'elle prescrit que dans les privilèges qu'elle permet de défendre ». D'où les fortes réactions corporatistes, mais aussi l'excellence française dans les métiers du luxe. Ce qui menace donc le travail ce n'est pas tant la pénibilité que la perte de sens, d'autant qu'avec la réforme des 35 heures, on a laissé entendre que l'on ne pouvait vraiment s'épanouir qu'en dehors des périodes de travail.

Logique de l'absurde

Enfin, la surprotection du travail ici, crée le chômage là. Si l'on est, en France, de plus en plus exigeant, jusqu'à l'absurde, sur les questions de sécurité au travail, on ne veut rien savoir de ceux qui extraient, dans des pays lointains, le charbon que nous importons, où des conditions de travail de ceux qui, ailleurs, fabriquent nos chaussures et nos vêtements.
Comment le travail va-t-il s'intégrer dans le parcours de vie d'un jeune de trente ans qui changera d'entreprise, de métier et de pays ? Comment le retenir en France ? Quel est le bon niveau de protection d'un salarié ? À ces questions, il me semble urgent de répondre, en laissant chacun définir son bien-être.

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