Jacques Attali, Monsieur « Y'a qu'à faut qu'on »

Jacques Attali rend les entrepreneurs de l'Hexagone coupables de "ne pas innover, ne pas inventer, ne pas réinvestir leurs profits, ne pas former les chômeurs, s'accrocher à leurs rentes"... et même de participer au "repli de la France". L'économiste a-t-il perdu la tête ?
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)

On savait l'ancien sherpa de François Mitterrand capable de fatuité, de suffisance voire d'arrogance. Pour qui a eu l'opportunité de l'interviewer dans son hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine, les souvenirs sont en effet contrastés. Notamment lorsque le ton cassant, la froide distanciation, les incessantes interruptions pour consulter le téléphone portable glacent l'échange et dominent, dans la perception que s'en fait l'interlocuteur, la fulgurance des analyses, les subtilités de raisonnement, une sagacité qui éclaire de manière singulière les enjeux de prospective, enfin l'exceptionnel et visionnaire engagement au profit de la microfinance. Mais « là », que penser ? Et que dire ?

Entrepreneurs coupables

« Là », c'est en ouverture du Journal du dimanche du 29 juin. Interrogé sur l'origine des blocages qui entravent la dynamique de réforme et sur l'appel de huit organisations patronales sommant François Hollande et Manuel Valls de mettre concrètement en œuvre leurs promesses du printemps, le président de PlaNet Finance « retourne » l'exhortation sur ses signataires. Et vilipende le comportement des entrepreneurs, à ses yeux « aussi conservateur que celui de l'Etat, des syndicats, des régions, ou des autres détenteurs de rente ». Et de s'interroger : « Qu'attendent-ils, eux les entrepreneurs, pour innover, inventer des produits nouveaux, réinvestir leurs profilts ? Qu'attendent-ils pour former les chômeurs et investir dans le durable ? Trop d'entre eux s'accrochent à leurs rentes. Depuis trente ans, ce repli a énormément abîmé la marque de la France. Trop d'entreprises n'ont pas pris conscience que si elles ne changent pas elles seront balayées par le grand vent de la concurrence. Et la France avec ».

Mystère

Oui, cher lecteur, l'un des principaux coupables des maux économiques et sociaux de l'Hexagone, l'un des principaux responsables du retard, de l'immobilisme, du malthusianisme caractéristiques de la France, a pour nom « entrepreneur ». Il faut être bien assis pour lire sans vaciller une ineptie d'une telle ampleur. Comment un cerveau aussi bien irrigué que celui de Jacques Attali peut-il emprunter des méandres aussi empoisonnés ? Mystère, et d'autant plus irrecevable qu'il émane d'une personnalité ne connaissant strictement rien à la réalité de l'aventure entrepreneuriale telle que des millions d'artisans et de patrons, notamment de TPE et de PME, l'initient puis la vivent.

Que sait-il ?

Que sait-il, lui qui s'est toujours bien gardé de s'exposer au suffrage universel, du « prix » humain, émotionnel, financier, familial - parfois sacrificiel - que les entrepreneurs « payent » pour assurer le développement, le maintien, ou la sauvegarde de l'activité et des emplois consubstantiels ? Sait-il « qu'innover, inventer des produits nouveaux, réinvestir les profits » constitue la raison d'être de toute entreprise et balise son comportement au quotidien ? Sait-il que tout entrepreneur porte en lui - et partage avec ses collaborateurs - la conscience qu'il faut toujours se remettre en question, bouleverser ses certitudes, scruter la concurrence, et réinventer des modèles ? Sait-il ce que nombre d'entrepreneurs produisent pour servir la cause des territoires, secourir des employés en détresse, créer des partenariats, essaimer les intiatives, ensemencer au-delà de leurs prérogatives ? Sait-il que tout entrepreneur porte intrinsèquement, dans sa racine et son ADN, l'ambition d'avancer, le goût de "s'ouvrir", le rejet du « repli »

Illusion

En s'attaquant à un groupe sans distinguer les différences de chacun de ceux qui le composent, Jacques Attali tombe dans le piège grossier de l'amalgame et de la généralité dont on le devinait pourtant protégé. Et ainsi de pourfendre sans nuance non des cheminots mais les cheminots, non des sénateurs mais les sénateurs, etc. Et les absurdités ne s'arrêtent pas là. Lorsqu'il réclame d'« orienter les 32 milliards annuels de la formation vers les 5 millions de chômeurs », le conseiller d'Etat confortablement protégé par le même système inhibiteur qui nourrit ce qu'il combat désormais, oublie-t-il que la compétitivité de toutes les entreprises, publiques comme privées, exige de parfaire les compétences des salariés, y compris afin de « muscler » leur employabilité et leur disposition aux mobilités interne comme externe ? Quant à sa conviction que « le pays serait sorti d'affaire » (sic) si Nicolas Sarkozy avait mis en œuvre les recommandations de la Commission pour la libéralisation de la croissance qu'il avait alors présidée, elle ne peut que faire sourire : si incontestablement nombre de ces mesures étaient pertinentes, utiles, et pour certaines audacieuses, leur déploiement concomittant relevait de l'illusion.

Ubuesque

Monsieur « Y'a qu'à faut qu'on » gagnerait à cesser de fustiger les entrepreneurs et à mettre sa formidable vision au service de ce qu'ils réclament humblement : des réformes structurelles pour diminuer les dépenses publiques sans affecter la qualité des services publics, réviser l'environnement fiscal et simplifier le contexte règlementaire, lever une partie des écueils administratifs ou législatifs qui étouffent l'envie de « faire », d'« expérimenter », de « risquer », tout simplement d'« essayer », affronter courageusement les corporatismes qui paralysent la modernisation du système, substituer aux dogmatismes de toutes sortes le simple « bon sens ». Mais pour cela, encore faut-il que la nation soit rassemblée vers une perspective lisible et un destin commun, résultant d'une équitable répartition des droits et des devoirs, d'un juste partage des efforts et des récompenses. Peut-être Jacques Attali serait-il là, dans l'exploration de ce qui fait ciment et avenir dans la société française, précieux. Et de toute façon nettement plus utile qu'à défigurer de manière aussi ubuesque la vocation entrepreneuriale et les visages de l'entrepreneuriat. On le préfère "fournisseur" d'audacieuses perspectives que "donneur" de (mauvaises) leçons.

 

 

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Commentaires 21
à écrit le 12/04/2016 à 0:00
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Mon commentaire arrive un peu tard... mais l'article est très juste. Monsieur Attali tire de son succès de la clarté de ses exposés, qui semblent couler de source si on se laisse bercer par ses raisonnements simplistes... Le sobriqué "Y a qu'a faut q...

à écrit le 03/07/2014 à 9:11
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La ou Atalli passe,l'économie ne repoussera pas.

à écrit le 02/07/2014 à 9:14
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Le seul problème de Jacques ATTALI c'est d'être de la même caste que ceux qu'il critique. Les patrons français ne sont malheureusement pas égaux... Les artisans et petits patrons se battent comme vous l'énoncé... Pour les grands groupe c'est...

à écrit le 01/07/2014 à 14:58
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Arretez de vous moquer de cet homme, bo, intelligent et omniscient ! C'est l'un des rare, qui depuis plus de 30 ans maintenant, arrive à prédire tout ce qui nous arrive. Ce grand Intellectuel français transcende la pensée du sublime inutile, du tartu...

à écrit le 01/07/2014 à 14:25
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Si les diplomés de France se consacraient à entreprendre au lieu de vivre de la rente de l'état , et si l'état cessait de casser la valeur intellectuelle en la préemptant pour la devoyer M ATTALI serait soit millionaire en cas de réussite, soit, en ...

à écrit le 01/07/2014 à 13:09
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Ce n'est point l'acteur économique qui est en faute mais son environnement qui se dégrade!

à écrit le 01/07/2014 à 12:19
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Je pense qu'Attali a raison sur toutes la ligne !

le 01/07/2014 à 13:43
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le propleme ce sont les personnes comme vous pour ne cree rien oui mr attali a raison vous ne cree rien mr jean

à écrit le 01/07/2014 à 10:06
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On lui a demandé son avis, sur les mesures que l'Etat portait mettre en œuvre pour relancer la croissance en France. On l'a ignoré. Il y a aussi beaucoup à faire au niveau des entreprises, même avec la politique contradictoire du Gouvernement. C...

à écrit le 30/06/2014 à 19:28
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Jacques ATTALI a parfaitement raison de mettre en doute la volonté des entrepreneurs de prendre les risques qui font partie intégrante de leur métier. En quoi votre commentaire apporte t il autre chose que la défense d'intérêts de privilégiés et de ...

le 01/07/2014 à 20:02
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et bien faites le donc, puisque apparemment cela paraît facile; voyez ailleurs que le CAC 40, mon ami venez dans une PME-PMI ou ETI je vous donnerai les clés, ma porsche, mon château, mes millions d'euro. c'est simple et je fais à peine 35 heuresn sa...

le 01/07/2014 à 22:30
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+++ UN !

à écrit le 30/06/2014 à 17:17
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A tous : politiques, commentateurs ( surtout) et journalistes, ne confondez pas patrons et entrepreneurs. Merci Un entrepreneur

à écrit le 30/06/2014 à 14:51
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"d'un juste partage des efforts et des récompenses" Comme pour les banques ? On privatise les bénéfices et on socialise les pertes, merci pour le juste partage Tout le probleme francais vient du fait qu'au lieu d'etre unis, les patrons d'un coté qu...

à écrit le 30/06/2014 à 13:15
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Il a raison. Les entrepreneurs francais sont connus pour cette timidité et peur du risque en affaires, mais également pour leur manque d'esprit combatif au profit de bénéfices facilement acquis, mais limités.

à écrit le 30/06/2014 à 11:57
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Très bien dit! nous avons marre de ces types qui ne représentent qu'eux même et ne font que se poser en donneur de leçon. le système sociale français dans son ensemble à vécu et aujourd'hui ce ne sont que les courageux entrepreneurs qui peuvent relev...

à écrit le 30/06/2014 à 11:57
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Le commentateur ne se cache pas de défendre le point de vue des patrons. Il faut donc noter qu'à part l'attaque sur M. Attali (que je ne connais pas) il n'y a aucune trace d'auto-critique dans sa contribution. C'est justement le sujet auquel il aurai...

à écrit le 30/06/2014 à 11:50
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Jacques Attali a parfaitement raison. depuis 30 ans le patronat français a mis en place une stratégie basée sur le recours à des aides publiques diverses et variées avec à chaque fois une constante: promettre une baisse du chômage et en fin de compt...

le 01/07/2014 à 9:59
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l'environnement n'est pas le même, en Allemagne ils n'ont pas les lourds handicaps sociaux des 10 /20 / 50... (avec les taxes et réglementations ubuesques qui vont avec) Un état envahissant, des prud'hommes, une réglementation sans pareille et un co...

à écrit le 30/06/2014 à 11:34
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Magistralement écrit et en plein dans le mille.

à écrit le 30/06/2014 à 11:25
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Lui aussi souffre de la vieillesse, il ne devrait pas ignorer les faiblesses capitalistiques des entreprises francaises par rapport a leurs homologues allemandes.

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