Pas d'actions et pas d'activités quotidiennes sans une multiplicité d'objets et de dispositifs techniques plus ou moins compliqués. Les humains agissent avec des objets et des dispositifs qu'ils trouvent ou rendent disponibles dans leurs environnements d'action. Toute activité anthropique requiert des objets et des dispositifs techniques, des activités les plus sacrées aux activités les plus profanes. Cette mobilisation est à la fois usage d'objets et de dispositifs (processus d'instrumentalisation) et détour par la fabrication d'objets de et de dispositifs techniques et spatiaux (dotation en instruments et dispositifs techniques et spatiaux, processus d'instrumentation).

L'accès aux objets nous classe socialement

Il est si peu de choses qui ne se font sans objets techniques que l'accès aux objets nous classe socialement et politiquement, nous distingue et crée les conditions de l'inclusion ou de l'exclusion sociale. L'accès aux dispositifs techniques comme les réseaux permet de déterminer les conditions d'existence des êtres par le monde. Le malheur du handicap comme celui de la pauvreté a en commun l'accès limité aux objets qui forment le monde. Ainsi le monde devient-il impraticable ou plus difficilement praticable, l'action impossible ou difficile, la relation aux autres rompue ou bornée. D'une certaine manière la citoyenneté de droit, celle qui relève de la capacité d'action et d'agir au quotidien, de s'activer, relève de l'accès aux objets disponibles dans le monde.

Fabriquer des objets pour exister individuellement et collectivement

C'est en ce sens qu'il convient d'entendre le terme « usage » et son rapport à l'« innovation » : c'est la nécessité dans laquelle somatiquement et cognitivement nous devons disposer d'objets et donc en fabriquer pour être et exister individuellement et collectivement. La technique, à la fois comme fabrication (produire les objets) et comme usage (utiliser des objets), est ce qui fait bouger le monde, ce qui le fait changer ou rester dans une grande stabilité. Les sociétés et les différents encastrements (économiques, politiques, sociaux) qu'elles organisent, favorisent ou non la technicité et l'expression technicienne.

Au fond la merveille et l'émerveillement ou la séduction des objets, mais aussi parfois l'effroi qu'ils suscitent, proviennent toujours des licences d'action qu'ils ouvrent, des offres en pratiques qu'ils font. La lunette de Galilée a surtout été une autre façon de voir le monde, de le penser, de s'y mouvoir et d'y agir autrement avec toutes les conséquences que l'on sait. Nombreuses sont les sociétés qui dans l'histoire, y compris contemporaine, se sont protégées des inventions et objets techniques et continuent même d'en interdire l'accès à certains de leurs membres.

Les objets techniques sont subversifs

Les objets techniques et sans doute plus encore la technique sont subversifs parce qu'ils sont autant d'ouvertures dans la contingence du monde.Quid des ouvertures que constituent aujourd'hui la numérisation, l'émergence de villes intelligentes ? Quel monde se profile ? Les objets qui apparaissent avec cette « intelligence » par les réactions sociales politiques et économiques qu'ils suscitent nous en disent long sur ce qui s'ouvre : débat sur la propriété, sur le partage, sur les pluralités d'êtres, sur l'égalité des accès, sur les solutions environnementales devraient nous montrer où sont les voies de l'innovation… mais aussi celles de la réaction qui limite l'imagination technique.