Taxe Tobin : honte sur l’Europe

Les ministres des finances des pays européens concernés par l'élaboration de la taxe Tobin ont tranché : les produits dérivés sont épargnés. Victoire des lobbys sur l'Europe. Et ainsi l'occasion de rassembler les citoyens d'Europe à deux semaines du scrutin autour d'une noble cause est enterrée.
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)


J - 13 avant le scrutin européen. Le 25 mai, il est possible (probable ?) que nous assistions en France et dans d'autres pays eux aussi gangrénés par le mal nationaliste, au mieux eurosceptique au pire europhobe, à un rejet massif du rêve européen. Excepté les irresponsables traditionnels (Marine Le Pen) ou soudains et opportunistes (Laurent Wauquiez militant pour une Europe des 6, l'effacement de l'Espace Schengen, et des dispositifs protectionnistes), les efforts des leaders politiques pour crier haut et fort la nécessité et le rêve d'Europe auront été substantiels à défaut d'être efficaces.

Quelques engagements rassurent

Bien sûr, il n'aura échappé à personne que ces mêmes discours mobilisateurs se télescopant à quelques encablures du scrutin sont, pour la plupart, invisibles pendant les cinq années qui séparent les échéances électorales. Et même pire : certains des plus hardis partisans de la dernière heure ne manquent pas l'occasion, le reste du temps, de vilipender l'Union, la Commission ou le Parlement européens lorsque la défense ou la disculpation de leur politique nationale l'exigent. Mais tout de même, du puissant appel de Daniel Cohn-Bendit à la pédagogie de Pascal Lamy (Notre Europe - Institut Jacques Delors) ou à la mesurée plaidoirie d'Alain Juppé (Le Monde, 6 mai), quelques engagements rassurent.

Justement, à quoi le maire de Bordeaux exhorte-t-il dans le quotidien du soir ? « A parler de l'Europe de manière affective ». Or, cruelle et malheureuse coïncidence, c'est ce même jour que les ministres des finances des onze Etats concernés (notamment l'Allemagne, la France, l'Espagne et l'Italie) annonçaient la création d'une taxe Tobin européenne (ou taxe sur les transactions financières) destinée à prélever un infime pourcentage sur lesdites transactions financières afin de financer des projets de solidarité ou de développement internationaux. Seule grande absente : bien sûr la Grande-Bretagne, principale place financière d'Europe, qui s'est désolidarisée du projet.

Serpent de mer

Cette création aura été saluée comme une heureuse naissance par ses architectes, le ministre français Michel Sapin en tête. « Le serpent est en train de sortir de la mer », s'est-il félicité. En réalité, il continue d'y régner. En effet, cette naissance est infectée par de rédhibitoires malformations congénitales qui la condamnent à vivre a minima. In fine elle qui, à l'origine, possédait tous les atours pour susciter une « affection » européenne, s'est sabordée sous le joug notamment des lobbys bancaires, des organisations patronales, des professionnels du chiffre brandissant le spectre d'un tarissement des financements sur le Vieux continent.

En effet, la mesure qui doit voir le jour le 1er janvier 2016 ne s'appliquera qu'aux échanges d'actions (prélèvement de 0,1%) et à de très rares produits dérivés. Or ces derniers concentrent l'essentiel non seulement de la manne (qu'il était convenu initialement de taxer à hauteur de 0,01%) mais surtout de l'anathème. Une très faible part de ces instruments financiers destinés à couvrir les risques des investisseurs sert l'économie réelle, le reste constituant de la spéculation financière. Résultat, si les estimations de recettes faisaient état d'un total annuel de 34 milliards d'euros, le retrait des produits dérivés allège la besace mécaniquement 20 milliards.

Utilité d'Europe

Mais plus que ces recettes, l'Europe a manqué une opportunité unique, à quelques jours du scrutin, de rassembler ses citoyens autour d'une cause altruiste, généreuse, utile face aux méfaits de la financiarisation. Une cause à même de transcender les lignes de fractures politiques et les singularités culturelles des pays, une cause en laquelle chacun peut se retrouver quelles que soient son histoire ou ses convictions, une cause qui aurait contribué à enraciner l'identité de l'Europe et à faire la preuve de l'utilité d'Europe, y compris en l'occurrence face au choléra de la financiarisation. Une cause finalement susceptible de nourrir les citoyens d'Europe de l'« affection » espérée par Alain Juppé. Acte manqué.


  


 

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