Crise ou conflits ?

Les conflits sociaux, culturels et politiques qui agitaient la société française ont laissé la place à des crises. Crise économique, sociale ou encore crises de valeurs quels choix politiques pour en sortir?
©Laurent Cerino/Acteurs de l'économie

La France qui a commencé à se décomposer avec la fin des Trente Glorieuses avait été structurée par trois grands conflits : social, culturel et politique. Jusque là, en effet, elle s'organisait à partir premièrement de la lutte des classes, opposant le mouvement ouvrier et les maîtres du travail, deuxièmement de la « Guerre des deux France », entre, pour aller vite, catholicisme et République, et troisièmement de l'affrontement gauche/droite. Ces conflits étaient le contraire de la rupture et de la crise, même s'ils ont pu être durs, violents. Ils prenaient l'allure du débat, éventuellement à l'occasion d'un scandale ou d'une « affaire ». Ils mettaient en forme des visions contraires du futur, et les acteurs se reconnaissaient souvent dans des utopies dessinant un autre monde possible, des lendemains qui chantent par exemple.

L'ère des crises

Nous sommes orphelins de cette conflictualité, réduite à des expressions affaiblies, parfois sclérosées. Nous sommes entrés dans l'ère des crises : crise sociale, dans laquelle les ouvriers, comme le FN l'a bien perçu, ont cessé d'être considérés comme le ciel de la terre pour devenir des « oubliés » et des « invisibles », crise culturelle ou des valeurs, à commencer par celle de progrès, crise de la représentation politique, crise de la légitimité des institutions -sans parler de la crise économique. Dans une telle situation, plusieurs scénarios sont possibles, tous dépendant beaucoup, mais pas exclusivement, des impulsions données ou proposées par le chef de l'Etat. Un premier scenario consiste à tenter de mettre fin aux différentes crises en proposant une union nationale, comme on le voit en Allemagne. Nous n'en prenons pas le chemin. Un deuxième scénario consiste à tenter de faire vivre ou revivre, à peu près inchangés, les grands conflits du passé, pour redonner du nerf à notre société : ce n'est pas non plus la voie choisie, elle serait d'ailleurs bien artificielle. Un troisième scénario semble avoir la préférence du chef de l'Etat : il consiste à éviter toute conflictualité, même limitée, de peur peut-être d'un embrasement général, et avec le souci de ne jamais laisser des acteurs se constituer ou s'affirmer, des grands débats se mettre en place.

Un débat congelé

Ce scénario, qui est celui que nous vivons aujourd'hui, vient d'être illustré, après tant d'autres, par la reculade de François Hollande sur la famille. Il laisse la société atone, en même temps qu'il aiguise les frustrations de ceux qui ont des demandes ou des attentes à faire valoir, et qui ne voient pas se profiler leur traitement politique. Il congèle le débat et la conflictualité, il repose sur une absence totale de vision pour l'avenir. Une quatrième piste attend d'être explorée, celle de la construction de nouveaux débats et de nouveaux conflits. Il en existe bien des éléments virtuels. Ainsi, l'écologie politique des années 70 avait ouvert l'espoir d'un essor d'une contestation aussi importante, pour le futur, que ce qu'avait été le mouvement ouvrier, proposé des utopies, fait rêver -des rêves qui ont laissé place à l'institutionnalisation des acteurs, et à l'appropriation tous azimuts des idées qui fondaient leur combat. Tout ce qui touche à la vie et à la mort mériterait d'être mis en discussion, réellement, et si la « manif pour tous » présente des aspects réactionnaires, elle n'en véhicule pas moins aussi des préoccupations qui méritent débat, sur la procréation médicalement assistée ou sur l'adoption par exemple. On ne change pas la société par décret, disait le sociologue Michel Crozier, on ne la congèle pas non plus indéfiniment par des décisions tactiques, au jour le jour. Nous avons besoin d'une autre politique, qui permette à de grands débats et à de grands conflits de nous sortir des logiques de crise actuelles.

 

 

 

 

 

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