Michel Prugue, Coop de France : “le modèle coopératif est en phase avec les attentes des agriculteurs, des consommateurs et des citoyens”

À quelques jours de l’arrivée au Sénat du projet de loi Agriculture et Alimentation, le président de la fédération Coop de France, regroupant 2 700 coopératives, 165 000 salariés et filiales réalisant 85 milliards d’euros de chiffres d’affaires cumulés, est sur le point de terminer sa tournée nationale, destinée tout autant à consulter sa base sur les orientations futures qu’à s’ouvrir sur le monde agricole extérieur. Michel Prugue, par ailleurs président du groupe Coopératif Maïsadour implanté dans le Sud-Ouest, milite, plus que jamais, pour son modèle coopératif, désormais en lien avec son temps.
(Crédits : DR)

Depuis votre élection, fin décembre 2015, votre feuille de route s'inscrit dans le cadre du projet stratégique "Coop de France 2020". Or, vous avez initié une série de consultations, dont vos différentes visites de terrain comme à Lyon ce 12 juin dernier, visant à proposer de nouvelles orientations avant cette échéance. Pourquoi ce pivot anticipé ?

Lorsque nous avons écrit ce projet stratégique, nous n'imaginions pas que de telles évolutions, dans un espace-temps aussi court, allaient se produire. Elles se sont traduites par l'élection d'un nouveau président de la République entrainant dans son sillage un renouvellement de la gouvernance et des parlementaires - sans expérience politique, mais surtout avec moins de vécu technique sur un certain nombre de sujets.

Ces changements ont également interrogé notre façon de fonctionner en tant que fédération nationale : nous consultons donc nos adhérents (dirigeants élus ou collaborateurs de coopératives) pour analyser avec eux ce ressenti : ont-ils le même que nous ? Ont-ils intégré des changements dans leurs entreprises ?

En parallèle, nous avons lancé un grand débat en ligne, de 80 propositions réparties en 6 thèmes. Il est davantage destiné aux salariés des coopératives et aux adhérents agriculteurs. La technologie nous le permet ; elle favorise également la parole, car nos modèles actuels d'échanges peuvent se heurter à la disponibilité des gens, à leur volonté d'aller dans des assemblées physiques ou à la difficulté de prendre la parole en public. Nous ressentons un éloignement entre les coopératives et les adhérents, mais il faut que l'on soit capable de le mesurer, d'aller le vérifier.

S'exprimer en ligne peut garantir la confidentialité d'une personne qui témoigne : nous espérons en savoir plus sur la façon dont chacun s'adapte aux évolutions sociétales, comment il vit ces changements. Nous en profitons également pour rencontrer toutes les autres parties prenantes du monde agricole : nous ne sommes pas fermés. Nous sommes dans une période de notre histoire où il ne faut pas avoir peur du débat et de la remise en question.

À partir de toutes ces données, à l'automne, nous mènerons de nouvelles pistes de réflexions et d'amélioration de notre mouvement coopératif pour revisiter notre projet stratégique.

Quelles premières remontées ont attiré votre attention ?

Je dois dire que les débats sont très constructifs. Ce qui transparaît, c'est d'abord la question de la gouvernance et de la place des femmes, des jeunes et des salariés dans les conseils d'administration. Ce qui pose le débat autour de la montée en compétence des élus dans leur coopérative par le biais de la formation et d'une forme de dédommagement pour le temps consacré au collectif, qui se fait aujourd'hui sur la base du bénévolat.

L'autre grand débat tourne autour des relations commerciales et comment gagner la bataille de la compétitivité quand on est adhérent d'une coopérative. Nous devons faire face à des relations commerciales tendues, avec la grande distribution, mais pas seulement

On ne peut pas réduire la question seulement à un prix de revient face à un prix de vente. Il faut aussi que le consommateur prenne conscience que la pression vers les prix bas, en dessous d'un prix de revient, affaiblit le monde agricole.

Est-ce que le système coopératif est, selon vous, une réponse aux attentes des consommateurs, en quête de plus de transparence, voire de naturel ?

Si on utilise des produits phytosanitaires, ce n'est pas par plaisir, c'est pour venir corriger quelque chose qui ne fonctionne pas. Donc, si ce moyen de production est remplacé par un autre, il n'y a pas de problème, nous serons les premiers à l'utiliser, d'autant plus si on satisfait les attentes des consommateurs, imaginaires ou réelles.

Par contre, il ne faut pas tomber dans l'émotionnel : la disparition des produits phyto ne pourra se faire que dans un espace-temps identique à celui de la disparition de l'automobile ou du nucléaire. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas le faire, mais qu'il faut donner du temps et des moyens à la recherche (la génétique, l'agriculture de précision) pour qu'elle nous apporte les bonnes solutions.

On ne pourra pas se cacher : le marché nous rattrapera. À partir du moment où le mouvement est lancé nous aurons des compétiteurs qui s'adapteront pour apporter la réponse réclamée par les consommateurs.

Si nous faisons notre forte tête, si nous ne voulons pas le faire, nous disparaitrons.

À condition aussi que le consommateur rémunère à son juste prix une forme de production qu'il réclame. Il n'y a aucun autre secteur d'activité qui continue à produire alors qu'il vend à perte...

Comment votre modèle, plutôt entrepreneurial, peut-il encore répondre aux attentes des agriculteurs, les plus jeunes en particulier ?

L'avantage, c'est que chacun peut le faire vivre comme il le souhaite. La coopérative est le prolongement de l'exploitation agricole. Elle sert les besoins de ses membres adhérents. Nous ne faisons pas face à une crise d'adhérent. Il y a autant de gens qui prennent leur retraite, que de jeunes qui arrivent. Bien sûr, ils se demandent souvent ce que peut leur apporter un système coopératif... au final, une chose est importante : c'est la profitabilité du modèle et à quoi il sert : les coopératives ne rémunèrent pas le capital, mais bien le travail et l'engagement de nos adhérents, soit par la redistribution immédiate soit en votant des investissements pour préparer le futur.

Je n'ai pas peur de l'avenir. Je ne m'en fais pas pour le modèle coopératif : il est en phase avec les attentes des agriculteurs, des consommateurs et des citoyens. Mais il ne s'agit pas de faire l'autruche, ce n'est pas notre habitude : il nous faut entreprendre ce travail collectif, nous poser les bonnes questions et envisager les changements qui seront efficients.

Que manque-t-il aux coopératives pour lutter à armes égales avec les groupes privés ?

Notre ADN, c'est de répondre à tous les besoins de l'adhérent, qui divergent en fonction du lieu de production, de son âge, de son lieu d'implantation et de ses ambitions. L'autre difficulté, c'est que nous nous engageons à commercialiser la totalité de sa production alors qu'une entreprise d'un autre statut peut décider, pour des raisons économiques, de refuser la production qu'elle ne peut pas écouler. La coopérative a la responsabilité de trouver une place sur le marché pour tous ses volumes de production : on comprend donc bien que la logique de prix moyen ne permet pas d'aller chercher la rentabilité maximum. Je rêve que la coopérative ait la rentabilité d'une entreprise cotée dont on souligne les performances en bourse : si on arrivait à créer autant de richesses, on rendrait la vie plus facile à nos adhérents ! La coopérative peut prendre plusieurs formes : celle régionale, de proximité, spécialisée dans les circuits courts comme des grands fleurons. Pour moi, le modèle le plus abouti, c'est lorsque qu'une coopérative est capable d'aller vendre à l'international, de financer sa propre recherche pour revendre ses produits sous sa propre marque. Nous sommes déjà une entreprise mission, un antidote à la financiarisation de l'économie.

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