Bruno Grandjean, FIM  : "Lyon est au cœur d'une région capitale pour l'industrie"

Président de la Fédération des industries mécaniques (FIM) depuis juin 2016, acteur de l'industrie du futur, dirigeant de Redex, un fabricant de machines pour la sidérurgie pesant près de 50 millions d'euros de chiffres d'affaires, Bruno Grandjean est venu défendre la French Fab devant les entrepreneurs et industriels lyonnais. Rencontre avec celui qui milite pour une industrie portée vers l'avenir sans pour autant renier son passé. Avec la nécessité de convaincre les plus jeunes de tenter l'aventure.
(Crédits : S.Borg)

Acteur de l'économie - La Tribune : Quelle est votre définition de l'industrie du futur ?

Bruno Grandjean : Ce sont les savoir-faire anciens hybridés avec le numérique, qui se réinventent par la technologie, mais aussi dans leurs modèles économiques. Le numérique nous permet de réinventer l'industrie, de métisser des technologies en sortant des frontières classiques. Ainsi, on rebat les cartes : on crée de nouveaux modèles économiques, mais aussi de nouveaux process.

Comment se positionnent les industries mécaniques dans ce processus ?

L'innovation est continue dans la mécanique. Les mécaniciens sont les architectes de l'industrie : ce sont eux qui construisent les nouvelles usines, les nouveaux produits, et ce phénomène se produit depuis plusieurs années.

Nous sommes une fédération très transversale qui irrigue une multitude de secteurs. Lorsque nous nous modernisons, c'est l'ensemble du tissu industriel français qui accélère sa modernisation. Il n'y a pas d'industrie forte sans une filière mécanique forte.

Nous sommes dans une phase d'accélération. Il ne s'agit pas de faire table rase du passé. Il faut garder les pieds dans les territoires, dans les racines nos entreprises et avoir la tête dans les nouvelles technologies, la mondialisation. Il nous faut réussir la symbiose entre ces deux univers.

Prenez les décolleteurs de la vallée de l'Arve : ce sont des entreprises d'usinage et de production qui ont su réinventer de nouveaux process à travers la robotique, la fabrication additive avec les imprimantes 3D. On est un peu des Monsieur Jourdain. On a fait de l'industrie du futur sans vraiment le savoir.

Se mobiliser pour cette cause nous a semblé essentiel. Il est de notre devoir, à nous, chefs d'entreprises parfois issus de famille d'industriels, d'écrire cette nouvelle page. Et comme la mécanique est au cœur de cette transformation, nous avons estimé qu'il fallait être devant pour montrer la voie.

A noter que Lyon est au cœur d'une région capitale pour l'industrie. Connectée aux réseaux suisse et allemand, contrairement à l'Ile-de-France, elle compte des leaders, comme Michelin, mais aussi pas mal d'ETI. On y trouve un écosystème complet avec de très bonnes écoles. Elle possède la taille critique nécessaire pour régénérer de l'industrie. Elle est au cœur du dispositif Alliance pour Industrie du Futur.

Vous êtes également très impliqués dans cette Alliance pour l'Industrie du Futur. Où en est-on dans les entreprises ?

Son premier objectif, c'est de moderniser les usines. C'est un résultat acquis. La dynamique est lancée. Cette modernisation se met en place : on note un accroissement des ventes de robots de +25 % en 2017.

Depuis deux ans, on note également la reprise de l'investissement productif. Les industriels français font le pari de l'avenir. On leur a souvent reproché d'être malthusiens, conservateurs, attentistes, passéistes, de regarder dans le rétroviseur. Là, ils ont dit : "on y va, on prend des risques, on modernise nos usines". Il ne s'agit pas juste d'acheter des machines pour être à la mode. C'est vraiment une décision ambitieuse et responsable prise par la quasi-totalité des industriels.

Au-delà de la question technique, c'est aussi l'occasion de travailler sur son management : nous sommes face à un système souvent trop hiérarchique, un manque de responsabilisation et d'implication des collaborateurs. Or, tout le monde doit avoir un rôle à jouer. Certes, il y a un capitaine, mais il n'y a pas plusieurs niveaux de jeux.

L'Alliance, c'est aussi jouer collectif. Au lieu de prendre une personne extérieure, on demande conseil aux collègues et à ceux qui sont estampillés "vitrine du futur" (NDRL : 35 en France dont 5 sur la région Auvergne Rhône-Alpes).

Ce travail entre pairs est nouveau en France : l'alliance a permis un changement de modèle et de vision.

Quelles sont ses implications avec la French Fab ?

C'est une autre approche, encore plus communautaire. Il faut le voir comme un porte-étendard pour ceux qui ont envie de travailler sur cette question de l'industrie du futur, mais sous un angle plus large, notamment sur la question de l'export et de l'international.

French Fab, c'est une fédération professionnelle 4.0, capable de pouvoir modifier notre image de Made in France un peu vieillotte. Dans l'industrie, nous sommes très exposés. Si l'on est mauvais, on est très vite remplacé par un confrère italien, allemand ou chinois. On est en première ligne dans la mondialisation. C'est un bel outil pour recevoir une certaine reconnaissance.

Nous sommes en train de récupérer une certaine injustice : on nous a longtemps présentés comme à la traîne, alors que l'industrie s'est réinventée. Elle est porteuse de certaines valeurs. Tout bouge, et l'industrie sera au cœur de l'évolution.

Que reste-t-il à accomplir ?

Il nous reste à convaincre les jeunes de nous rejoindre. C'est le défi majeur de l'industrie française d'aujourd'hui. Nous réalisons 200 000 recrutements par an. Or, on note des problèmes, y compris de spécialistes de la robotique et de nouvelles technologies.

Les filières professionnelles et technologies sont encore trop perçues comme des filières d'échecs. Menacer un enfant d'aller travailler en usine s'il n'a pas son bac est un véritable drame. Les usines ne sont plus ce qu'elles étaient. Quand vous regardez un reportage sur la pénibilité au travail, ce n'est pas dans les usines, mais dans les entrepôts de logistique...

Nos métiers nécessitent des formations d'excellence, ils sont plutôt mieux payés que la moyenne, les salaires de l'industrie sont supérieurs de 20 à 30 % par rapport à la moyenne, on a besoin de tous les niveaux, pas seulement des ingénieurs.

Je le dis à nouveau : on doit conserver les bases. Certes, l'usinage a beaucoup changé, les machines sont très différentes, mais la coupe, la façon dont on prend les pièces, comment elles réagissent en fonction de la dureté des métaux, en fonction de l'affutage des outils restent des fondamentaux qu'il faut acquérir au contact des anciens.

Comment changer ce regard sur l'industrie ?

Il faut faire le pari du travail en usine ! Et changer l'image d'un passé marqué par 150 ans de souffrance, de lutte, de subordination et de pénibilité derrière elle. C'est un véritable défi culturel. En Allemagne, on trouve des dirigeants politiques issus des filières d'apprentissage, il faudrait que ce soit la même chose en France...

Pour frapper un grand coup, nous allons, avec le mouvement French Fab, montrer la réalité d'une usine en fonctionnement au Grand Palais à Paris en novembre prochain. On veut montrer la France des usines à Paris. Les industriels viendront avec leurs machines, les techniciens, les ingénieurs montreront comment on travaille. Nous devrions accueillir près de 10 000 jeunes par jour.

Nous nous sommes inspirés des décolleteurs de la vallée de l'Arve qui font ce genre d'opération tous les ans à la Roche-sur-Foron et aussi des agriculteurs qui avaient planté des champs de blé sur les Champs-Elysées.

Il n'y a qu'en créant la rupture que l'on peut changer de modèle.

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