Catherine de Kersauson : "L'indépendance de la chambre régionale des comptes doit être garantie"

Très sollicitées, les chambres régionales des comptes, créées en 1982, veillent au contrôle de l’intégralité du secteur public local. Celle d'Auvergne-Rhône-Alpes, dépendant directement de la Cour des comptes comme l’ensemble des autres entités, traite en moyenne une soixante de dossier par an. Catherine de Kersauson, première magistrate sur le territoire, détaille le mécanisme d’une institution parfois méconnue des citoyens. La présidente pointe les lacunes récurrentes des établissements publics contrôlés, à l’instar d’investissements mal préparés ou d’une mauvaise gestion du personnel. Si certains sujets sont sensibles – cinq à six cas sont portés annuellement à la connaissance du juge pénal –, elle réfute l’existence de pression, appelant cependant au renforcement de certains dispositifs garantissant l'indépendance de la structure.

Acteurs de l'économie - La Tribune. Vous êtes entrée à la Cour des comptes en 1995 et vous présidez la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes depuis décembre 2011 après avoir été présidente de celle des Pays-de-la-Loire. Quelle photographie faites-vous de la gestion publique du territoire ?

Catherine de Kersauson. Il n'est pas de notre ressort de donner une vision globale de la situation financière des organisations publiques de la région. Nous le faisons uniquement en lien avec la Cour des comptes, et de manière plus globale, dans le rapport sur les finances locales publié chaque année en octobre. Il m'est donc difficile de poser un diagnostic général ou d'exprimer un sentiment personnel, ce qui ne serait pas conforme avec la fonction de magistrat. En revanche, je peux tout de même apporter un élément de réponse en me référant au nombre de saisines budgétaires que reçoit la chambre et qu'elle a à traiter. Cela peut être un indicateur de la situation financière des collectivités territoriales, lorsque nous les comparons d'une chambre à l'autre.

Ainsi, sur celle d'Auvergne-Rhône-Alpes nous traitons une soixantaine de saisines budgétaires par an. Un nombre qui se situe dans la moyenne basse des chambres. En Pays-de-la-Loire, cela est encore nettement inférieur, car le territoire est plus modeste, et à l'inverse pour la CRC de Guadeloupe, Martinique et Guyane, les saisines budgétaires sont très importantes, et marquent les difficultés financières des collectivités locales de ces régions. Les saisines sont ainsi un exemple à mes yeux de la santé des finances publiques locales d'un territoire.

Les chambres régionales des comptes ont été créées en 1982 contrairement à la Cour des comptes, juridiction financière de l'ordre administratif qui contrôle les finances de l'État et des administrations, vieille de plus de 200 ans. Quelles sont vos missions ?

Nous travaillons en lien avec la Cour et le réseau des chambres régionales sur le contrôle de l'intégralité du secteur public local à savoir les collectivités territoriales, les intercommunalités, un grand nombre d'organismes dotés de comptables publics ainsi que sur les sociétés d'économie mixte, les sociétés publiques locales financées par des collectivités et des associations recevant plus de 1 500 euros de subventions. Nous avons trois grandes missions : examiner les comptes et la gestion de ces organismes ; juger les comptes des comptables publics pour s'assurer qu'ils assument bien leur mission ; et rendre des avis budgétaires aux préfets sur saisine de leur part.

De quelle manière examinez-vous un dossier de gestion publique d'une structure ou d'une collectivité publique ?

La chambre établit un programme de travail annuel inscrit dans le cadre d'une programmation pluriannuelle qui comporte quatre grands axes stratégiques à savoir : la maîtrise de la dépense publique, la lutte contre les atteintes à la probité, la rationalisation de la carte territoriale ou encore l'efficacité des services publics locaux. Ils sont réfléchis et arrêtés aux niveaux national et régional. À partir de là, nous allons nous donner des thématiques de contrôle qui peuvent être communes comme sur l'efficacité des services publics locaux par exemple.

A la chambre nous travaillons également sur des thèmes régionaux de contrôle comme dernièrement celui concernant le spectacle vivant ou prochainement celui portant sur la gestion des domaines skiables. Enfin, les autres travaux portent sur les principaux enjeux financiers sur lesquels nous revenons tous les cinq à six ans, mais aussi sur des organismes qui peuvent être de taille diverse et sur lesquels nous avons identifié des risques de situation financière fragile.

À partir de quel moment diligentez-vous une enquête ?

Nous disposons d'un logiciel d'analyse financière qui nous permet de coter une situation financière d'une collectivité par exemple et d'apprécier ses difficultés. Notre réseau partenaire (finances publiques...) peut également nous faire un signalement, tout comme le dépouillement quotidien de la presse. Enfin, nous recevons des signalements de citoyens et de membres d'oppositions des assemblées. Tout cela participe au terreau utile à notre travail.

Votre mission est de vous assurer que les finances publiques sont bien utilisées et gérées, dès lors quelle réaction observez-vous chez les ordonnateurs lorsque vous les prévenez d'un contrôle ?

Nos équipes sont généralement bien accueillies avec un peu de circonspection et de peur, mais les ordonnateurs voient dans nos contrôles la possibilité de bénéficier d'un regard externe, éclairé et éclairant qui les aidera à réformer tel ou tel aspect dans la gestion de leur structure ou collectivité. Une dimension que je perçois à la lecture de leurs réponses à nos travaux. En revanche, si nous découvrons ou mettons le doigt sur des sujets sensibles, les relations peuvent être plus tendues, mais cela reste très épisodique.

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Quels problèmes rencontrent le plus souvent ces établissements publics ?

Les principaux sujets portent sur des investissements mal préparés ou sur la gestion du personnel. Dans ce domaine, les critiques portent souvent  sur le temps de travail, les politiques de promotion, l'utilisation irrégulière des heures supplémentaires, des primes distribuées, le recrutement de contractuels sur des postes qui ne le justifient pas, de collaborateurs de cabinet au-delà des quotas prévus, etc. Ce sont des sujets difficiles, car souvent anciens dans ces structures territoriales. Cela suppose de la part des élus une évolution dans leur manière de gérer.

Vos équipes de contrôle ou vous-même en tant que présidente de la chambre régionale, pouvez-vous parfois subir des pressions ?

Je n'en subis pas et mes équipes non plus. Je le saurais si cela était le cas. La chambre et les magistrats sont respectés.

Êtes-vous parfois contraint à ne pas investiguer certains dossiers lorsque des enjeux financiers sont conséquents par exemple ?

Nous ne sommes freinés par rien du tout ! En revanche, nous n'avons pas la capacité d'aller sur tous les fronts en même temps, car nous avons des moyens contenus. Et parfois, sans doute que nous pouvons passer à côté de dossiers plus sensibles, qui mériteraient une attention particulière. Mais je ne suis pas certaine que si nous étions plus nombreux, nous pourrions tout contrôler.

Quelle évolution constatez-vous dans la gestion des infrastructures publiques et des collectivités territoriales ? Rigueur et efforts sont-ils plus importants qu'auparavant ?

La gestion publique locale s'est professionnalisée dans les collectivités alors que la gestion s'est davantage complexifiée conséquence d'une décentralisation difficile. J'observe donc plus de rigueur et une prise de conscience de la nécessité de maîtriser les dépenses locales de plus en plus prégnante, ce qui n'empêchera jamais des cas isolés d'atteinte à la probité. De plus, nous constatons que les citoyens ont une exigence beaucoup plus grande de transparence sur les gestions publiques locales, notre rôle s'en trouve accru de ce fait.

Néanmoins, la difficulté pour notre institution est d'être perçue uniquement comme un instrument de détection des atteintes à la probité, car nous ne sommes pas le juge judiciaire.

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Dès lors, le statut des chambres pourrait-il évoluer afin que cette image change ?

La Cour et les chambres ont un rôle d'information du citoyen inscrit dans la Constitution. Les agents publics doivent ainsi rendre compte de leur administration. Ce rôle a été renforcé avec la loi NOTRe et il est désormais prévu que dans l'année qui suit la présentation à l'assemblée délibérante d'un rapport d'observations définitives, l'ordonnateur est tenu de présenter un plan d'actions tenant compte des observations et recommandations de la chambre. C'est un grand pas en avant puisque cela n'était pas le cas auparavant. Et si nous constatons une infraction au Code pénal, seul le juge pénal est compétent. Sur une année, nous transmettons entre cinq et six dossiers sur 60 à 70 que nous traitons.

Enfin, il existe aussi la Cour de discipline budgétaire et financière. Celle-ci a pour mission de sanctionner les irrégularités dans la gestion publique financière. Créée en 1948, elle peine néanmoins à trouver sa place. La question est donc de savoir comment elle pourrait mieux développer son activité et être plus efficace.

Dans votre éditorial du rapport d'activité de 2016, vous écrivez que la chambre a rendu un nombre sans précédent d'ordonnances et de jugements. Comment parvenez-vous à traiter davantage de dossiers avec des moyens qui n'augmentent pas ou peu ?

Il est vrai que la tendance est à l'accroissement des missions. Depuis 2017, nous devons aussi contrôler les établissements médico-sociaux, et expérimentons la certification des comptes des collectivités territoriales. Cela vient s'ajouter à nos missions historiques. Cela nous prend donc des moyens et des ressources humaines et nous conduit à faire des choix et à mieux nous organiser. La dématérialisation nous aide significativement dans ce sens et devrait nous faire gagner en efficience. Nous sommes tout de même capables de mener nos missions de manière efficace, avec des magistrats toujours plus compétents parce que mieux formés. De plus, à l'occasion du regroupement des chambres en 2012, nous avons constaté un renouvellement important des effectifs. Un turnover donnant un nouvel élan.

Ce turnover au sein des chambres régionales des comptes est sensiblement profond chez les magistrats. Une manière aussi de garantir l'entière indépendance de l'institution ?

La mobilité est importante au regard de l'indépendance et confère une certaine dynamique à la chambre. C'est aussi la raison pour laquelle le mandat de président de CRC est d'une durée de sept ans, que les présidents de section ne peuvent pas être promus sur place, et que les magistrats doivent désormais faire une déclaration d'intérêt à leur prise de fonctions. Il est important que l'indépendance de notre institution soit garantie par un ensemble de dispositifs. Et que le citoyen ait confiance.

Vous contrôlez les finances publiques, mais vous devez aussi être d'une grande exemplarité dans la gestion de vos ressources. Qui contrôle ainsi les chambres et la Cour des comptes ?

Elles font l'objet de contrôle régulier de la part de la mission d'inspection des CRC. Il s'agit d'une forme de contrôle interne. Elle est présidée par un magistrat de la Cour. Environ tous les cinq ans, la Cour des comptes se soumet quant à elle à un audit par les pairs réalisé par une Cour des comptes étrangère.

En 2018, vous aurez atteint la limite des sept années de présidence à la tête de la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes, soit la limite du mandat. Que comptez-vous faire ?

Un magistrat sera nommé pour me succéder. Quant à moi, je retournerai vraisemblablement à la Cour des comptes, à Paris.

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Commentaire 1
à écrit le 20/05/2017 à 10:53
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Cette institution serait surement moins "méconnue des citoyens" si elle sanctionnait ceux dont ses rapports dénoncent les pratiques, ou si, au minimum, elle ne se contentait pas de réponses totalement inappropriées à ses observations. Exemple récent ...

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