Adéquat : "Nous n’avons pas de limite pour des acquisitions potentielles"

Elle se situe au 7e rang des agences de travail temporaire et de recrutement, son chiffre d'affaires connaît une croissance à deux chiffres depuis 2010, et dispose de 230 agences en France et en Belgique...L'entreprise de travail temporaire et de recrutement Adéquat compte poursuivre sa lancée et se fixe l'international comme ambition - à travers de potentielles acquisitions - alors que le marché français est saturé. Face à cette situation, elle mise sur une diversification de ses offres. Mais pour continuer à croître, la société basée à Lyon devra réussir le virage de la transformation digitale. Entretien à trois voix, avec Philippe Guichard, président du directoire, Jérôme Rieux, directeur général et Arnaud Brun, directeur général délégué, sur les ambitions de l'entreprise qui fête cette année ses 30 ans et s'offre, pour l'occasion, le naming de la Tony Parker Academy.

Acteurs de l'économie - La Tribune. Adéquat s'est fixé un objectif : atteindre le milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2018. Il est aujourd'hui de 730 millions d'euros. Quels sont vos leviers de croissance pour l'atteindre ?

Arnaud Brun. L'an dernier, Adéquat a connu une croissance de 26 %. Un rythme de développement qui se poursuit en ce début d'année. Pour franchir ce cap du milliard d'euros de chiffre d'affaires dans deux ans, nous misons essentiellement sur notre croissance organique, avec la poursuite de notre stratégie d'ouverture d'agences, au rythme de 30 à 40 par an.

Pour nous, ce chiffre d'affaires n'est pas difficile à atteindre. Il s'agit avant tout d'une étape symbolique. Notre objectif est surtout le développement à l'international.

Vous misez uniquement sur la multiplication du nombre d'agences ou prévoyez également de réaliser des croissances externes dans l'année à venir ?

En France, nous misons uniquement sur la croissance organique pour accélérer notre développement. Nous voulons rester les leaders de notre croissance. En Belgique, cette stratégie est identique.

Mais dans les autres pays que nous visons actuellement, comme l'Angleterre ou le Benelux, nous nous développerons plutôt grâce à des opérations de croissance externe. Nous sommes sur un marché protégé, les législations ne sont pas les mêmes entre les pays. Même si en Europe les règles s'harmonisent dans le domaine des ressources humaines, l'évolution reste lente. Pour ce type de déploiement, il est donc plus simple de ne pas s'implanter directement, mais de réaliser des acquisitions.

Quelles sont, justement, vos ambitions à l'international ?

L'objectif est de réaliser au moins une acquisition à l'étranger en 2017. Nous avons actuellement des mandats en cours sur plusieurs pays. Nous ne nous mettons pas de limite. Outre les pays limitrophes, nous regardons aussi le Québec.

Cette ouverture à l'international est-elle le signe que le marché français est arrivé à maturité ?

Philippe Guichard. Plusieurs facteurs expliquent cette volonté. A commencer par la lecture de notre marché, ainsi que de nos clients. Certains d'entre eux se développent à l'international, d'autres ne sont pas français. Nous devons être en mesure de les accompagner au delà de nos frontières. D'autres clients ont pour l'instant une approche locale. Mais cela va évoluer : avec les mutations technologiques, il sera possible d'avoir une réflexion globale avec des adaptations locales à moindre coût. Notre secteur va forcément être impacté, et nous devons anticiper ce mouvement.

L'autre facteur est endogène. Notre modèle s'appuie sur une croissance organique. Se développer à l'international est un moyen de la poursuivre car notre métier initial du travail temporaire est saturé en France. En dix ans, le marché est resté pratiquement atone, même s'il remonte depuis trois ans. Cependant, il n'a fait que corriger la baisse importante connue depuis la crise. En 2007, le secteur dégageait 22 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Nous n'avons toujours pas retrouvé ce niveau.

La date du Brexit a été annoncée. Il aura lieu le 29 mars 2019. Est-ce que la sortie de la Grande-Bretagne de l'Europe peut avoir des conséquences sur votre développement dans cette région, voire le remettre en cause ?

AB. Cette question du Brexit est une grande interrogation pour nous. Quand la croissance d'un pays se dégrade, l'intérim est l'un des premiers marchés à en subir les répercussions. Mais il s'agit aussi de celui qui repart en premier. Après, il peut aussi y avoir des avantages : la monnaie se dévalue, les achats sont moins chers. Il est aujourd'hui difficile de pouvoir anticiper les conséquences du Brexit. Sa mise en œuvre est encore entourée d'incertitudes. Par ailleurs, certains secteurs ne sont pas délocalisables. Ce sont ces derniers que nous devons viser.

Avant la crise de 2008, Adéquat connaissait une croissance à deux chiffres. En 2009, le groupe enregistre une baisse de son chiffre d'affaires de l'ordre de 28 %. Pourtant, depuis, malgré un léger ralentissement en 2012 - 2013, Adéquat maintient un rythme de croissance soutenu autour de 20 %. Comment expliquer cette apparente facilité à rebondir après la crise économique mondiale ?

PG. Entre fermeture d'agences et chômage partiel, beaucoup de groupes de travail temporaire se sont défaits de leurs sources vives, de leurs ressources humaines permanentes. Chez Adéquat, cela n'a pas été le cas. Alors, quand les clients ont de nouveau eu recours au travail temporaire, qu'ils ont rappelé leurs interlocuteurs, chez nous ils ont eu un suivi, ils pouvaient toujours échanger avec leur ancien référant. Ce qui n'était pas le cas dans tous les groupes.

En 2010, Adéquat n'avait pas de dette, de solides fonds propres et une croissance autofiancée. Est-ce toujours le cas ?

PG. Rien n'a changé. Nos fonds propres avoisinent, début 2017, 120 millions d'euros. Nous tenons également à notre indépendance financière car cela permet de voir plus loin. Pouvoir prendre ses décisions et envisager des investissements librement est un véritable confort.

Adéquat

Depuis moins d'un an, un directoire composé de quatre personnes est à la tête d'Adéquat. Comment la transition s'est-elle déroulée ?

PG. Le directoire, tel qu'il est inscrit dans les statuts de l'entreprise depuis moins d'un an, n'est que la manifestation juridique d'une réalité organisationnelle qui existe depuis quatre à cinq ans. Nous sommes dans un processus continu de transmission. Jean-Marc Brun, le fondateur d'Adéquat, a eu à cœur d'assurer la pérennité de l'entreprise et cela passe par une gouvernance qui peut fonctionner y compris en son absence. Ce constat s'est traduit dans la réalité par une forme de collégialité.

A plusieurs on se challenge, on échange. Il faut se méfier des experts. Parfois, le plus candide est celui qui pose la meilleure question. Il n'existe pas un sujet stratégique qui ne soit pas partagé. En termes d'organisation, nous sommes à une époque où la communication est facilitée par des outils ce qui ne ralentit pas la prise de décision. Quand nous travaillons sur des sujets d'investissements, ces questions se préparent dans le temps donc nous ne rencontrons pas de difficultés.

De façon plus formelle n'est-il pas compliqué de reprendre les rênes d'une entreprise dirigée par le même homme depuis près de trente ans, Jean-Marc Brun ?

Jérôme Rieux. Le directoire dirige l'entreprise et le conseil de surveillance donne le cap. Or, depuis plusieurs années Jean-Marc Brun n'était plus dans la partie opérationnelle et s'est plutôt octroyé l'aspect stratégique. Un mouvement amorcé dès 2007. De fait, rien n'a changé dans le quotidien au moment du changement des statuts l'an dernier. Ce que nous vivons aujourd'hui est dans la constance.

La mise en place d'une nouvelle direction accompagne-t-elle une volonté de redéfinir la stratégie du groupe, marque-t-elle un tournant ?

PG. Nous nous inscrivons plutôt dans une continuité, mais qui s'assoit sur une croissance soutenue. Elle ne rime donc pas avec immobilisme. De plus, elle oblige à une remise en cause permanente. L'entreprise connaît une croissance de l'ordre de 26 % par an, et a doublé de taille en trois ans. Nous sommes dans l'obligation de tout changer continuellement.

Adéquat a été sélectionné pour donner son nom à la Tony Parker Academy, dans le cadre d'un contrat de naming qui s'étend sur une durée de douze ans. Pourquoi avoir investi dans ce projet, quel est le montant de cet investissement, et quels sont les retours attendus ? Est-ce pour conquérir de nouveaux publics, accroître la visibilité du groupe ?

JR. Sur le montant, nous n'en dirons pas davantage. Il est de plusieurs millions d'euros sur les douze ans.

Nous n'avons pas cherché le naming, la proposition est venue à nous. D'ailleurs nous n'avons pas été mis en concurrence avec d'autres groupes. Finalement, c'était une évidence pour eux, et pour nous il s'agissait du bon format, au bon moment. L'intérêt est d'asseoir notre positionnement. L'entreprise le mérite : les chiffres de croissance, souvent supérieurs au marché, le démontrent. Et nous avions simplement envie de le faire savoir au plus grand nombre. S'adosser à Tony Parker, et réaliser un projet avec cette personnalité qui réussit ce qu'elle entreprend, est une façon de renvoyer l'image d'une société propre et carrée.

Pourtant le projet est pour le moins atypique dans le monde du basket ?

Il reste cohérent par rapport à notre métier. Au-delà du naming de la Tony Parker Adéquat Academy, nous serons un acteur majeur de la réussite des étudiants de l'académie. Elle s'est donnée pour mission d'offrir un emploi à tous les élèves, même ceux qui ne réussissent pas dans le sport. Dans ce cadre, la mission d'Adéquat sera de créer des conditions pour les rapprocher de l'emploi, mais aussi susciter des vocations.

Certains grands groupes collaborent avec des startups afin de développer leur capacité d'innovation. Est-ce un accompagnement que vous envisagez ?

AB. Nous avons besoin de trouver toutes les manières possibles de sourcer les candidats pour le recrutement. Alors nous regardons ces nouveaux outils de près, nous les essayons. Nous avions par exemple testé une société qui proposait des entretiens vidéos en ligne. Et juste après notre entretien, nous allons rencontrer une jeune entreprise, qui a développé une technologie alliée aux ressources humaines, pour voir s'il est possible de l'accompagner. Cette thématique fait partie de nos ambitions pour l'avenir.

Alors que plusieurs jeunes pousses se montent dans le secteur et proposent de digitaliser les services, comment vous êtes vous adaptez ? Avez-vous déjà pris le virage du numérique ?

JR. Le digital n'a pas révolutionné le business model de la profession, ni du métier. Une grande partie du travail temporaire se fait toujours de façon traditionnelle : la relation physique avec le client et le candidat perdure. L'évolution est plutôt à chercher dans la multiplication des canaux d'interactions avec le client ou le salarié intérimaire.

Une partie de nos échanges juridiques avec nos clients est déjà dématérialisée. Actuellement, nous sommes en plein cœur d'une seconde étape : la dématérialisation administrative avec le candidat, afin de lui apporter, au mieux, l'ensemble de nos services. Cette phase doit voir le jour dans les prochains mois. Mais l'idée derrière est de créer un canal supplémentaire pour qu'il puisse obtenir des informations complémentaires en dehors des heures classiques d'ouverture d'agence. Il existe une réelle demande pour que nous apportions ce service, pour la sécurisation des échanges.

Le digital nous permet aussi d'avoir une meilleure appréhension d'une partie significative de notre métier qui est le sourcing. Nous développons des outils innovants sur notre façon d'aller chercher et d'identifier les candidats.

De quelle façon ?

Au début, pour aller chercher le candidat, on passait une annonce dans la presse, puis sont nés les job board. Mais aujourd'hui, ce n'est plus suffisant. Le candidat se balade partout avec les réseaux sociaux. Il faut devancer ses attentes. Nous cherchons des manières d'identifier les endroits où se trouvent des bassins de personnes en recherche d'emploi et nous essayons d'utiliser toutes les possibilités d'aller le chercher là où il se trouve.

En interne, nous avons développé des idées pour répondre à ce besoin. Nous sommes actuellement en pleine phase de lancement de cette stratégie de sourcing avec des expérimentations, qui restent confidentielles, auprès de certains de nos clients. Pour l'instant, les retours sont positifs : elles plaisent et apportent des bénéfices. Il s'agit d'une façon différente d'aborder la problématique, par rapport à ce qui se faisait avant. Si les expérimentations sont concluantes, nous allons les standardiser. Mais les déployer à l'ensemble du réseau prend du temps.

Adéquat n'est pas uniquement une entreprise spécialisée dans le travail temporaire. Elle a aussi développé une autre marque, Adsearch, spécialisée dans le recrutement. Quelle est cette offre, sa part dans la groupe et quelle est sa complémentarité par rapport aux autres branches ?

AB. Lorsque nous avons lancé Adsearch, le but était de développer une marque complémentaire en misant sur l'intérim et le recrutement sur des métiers plus techniques. En créant une marque à part, cela nous permet de fournir à nos clients toute une gamme de services. Aujourd'hui, nous avons une soixantaine de consultants, principalement dans les grandes villes de France. L'intérêt pour nous est de continuer à prendre des parts de marché sur cette partie du recrutement.

Cette activité, qui n'est là que depuis cinq ans, représente 1 % du chiffre d'affaires, car ce n'est que de la marge, mais 10 % des résultats d'Adéquat. Sa croissance est de l'ordre de 60 % en 2016, et nous visions une croissance à trois chiffres pour la suite.

Vous avez également récemment développé Inside Staffing, un service de recrutement personnalisé avec des agences intégrées au sein même des entreprises. Quel est l'intérêt de cette offre ?

Le métier a évolué et les exigences de nos utilisateurs sont de plus en plus grandes. Ils nous demandent de venir chez eux, de créer une équipe spéciale pour gérer leur volume d'employés. Raison pour laquelle a vu le jour ce format d'agences implantées au sein même des entreprises. Mais pour affecter des ressources, cela suppose un business récurrent.

Nous allons plus loin dans les services, par rapport à ceux proposés dans les agences de ville : nous avons cette capacité à aller sur le terrain, nous voyons les salariés, nous les co-manageons, nous recrutons sur place. La première agence a vu le jour en 2012 en région parisienne. Aujourd'hui, sur les 230 agences d'Adéquat, une quarantaine sont des agences intégrées.

Randtsad a créé une structure similaire nommée Randtsad Inhouse Services. En quoi la proposition d'Inside Staffing est-elle différente ? Cette démarche est-elle courante dans le secteur ?

Peu d'agences d'intérim propose ce service, car ce dispositif nécessite une forte culture du client ainsi que des services qu'il est possible de lui apporter. Sur ce segment, notre ranking est plus élevé que celui d'Adéquat - qui se place à la 7e place sur le marché de l'intérim, et génère 4 % du chiffre d'affaires global. Sans avoir de chiffre exact, mais nous sommes identifiés comme l'un des meilleurs acteurs dans cette discipline.

Cette démarche est-elle l'illustration de ce vers quoi doit tendre l'intérim à savoir davantage de personnalisation ?

Comme dans tous les métiers de service, la personnalisation est essentielle. Comme toutes les entreprises ne peuvent pas s'adapter autant, cela permet de faire une sélection dans le marché. L'intérêt du développement de nos différentes marques est justement d'être en capacité de répondre aux différents besoins des clients.

Quelle vision plus globale avez-vous du marché de l'intérim, qui a connu un léger rebond en 2016 ? Quelles sont les évolutions notables ?

JR. La reprise du travail temporaire est un indicateur positif car il s'agit de la preuve que les entreprises ont calé un niveau insuffisant pour répondre à la demande. Souvent, cette évolution se traduit à terme par davantage d'emplois fixes.

Au sein même d'Adéquat, nous avons aussi des intérimaires "CDIsés" depuis un an. L'idée est toujours la même, ils se rendent chez les clients, disposent d'un contrat de travail de date à date mais la seule différence est qu'on les rémunère entre deux missions.

Pourquoi avoir vous développé ce type de contrat au sein d'Adéquat ?

JR. La profession a pris un engagement : créer 20 000 emplois de ce type en trois ans pour montrer un signe vers l'employabilité, alors que le statut d'intérimaire peut être décrié. Compte tenu de notre taille, il était important d'y contribuer.

Comment imaginer le métier dans dix ans, quelles tendances émergent ?

Nous allons continuer à accompagner les besoins de flexibilité des entreprises. Mais comme il s'agit d'un métier très encadré juridiquement, les évolutions de notre métier seront corrélées à celle du monde du travail.

Le suivi d'expérience d'un individu sera plus fort. Dans dix ans, plus personne ne fera de curriculum vitae car les individus se baladeront avec leur expérience visible. Autrement dit, la personne sera lisible en fonction de ses compétences professionnelles, de son vécu. Cette information sera disponible, et disponible immédiatement.

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