(J. Longuet, EDF) : "Le 100% d'énergie renouvelable est technologiquement impossible"

A la tête de la plus importante délégation régionale d'EDF, Jacques Longuet développe une vision locale et nationale aiguisée par rapport aux grands enjeux de l'électricien. Au cours de cet entretien éclairant, le délégué Auvergne-Rhône-Alpes met en avant le rôle économique local majeur de l'entreprise publique, militant notamment pour la préférence régionale. Il souligne le potentiel du territoire dans les ENR, notamment de la filière photovoltaïque, malgré ses grandes difficultés actuelles, détaillant aussi les capacités du secteur nucléaire régional. L'ex-dirigeant d'ERDF affirme que le nucléaire reste incontournable dans la stratégie énergétique, estimant "que le 100% d'ENR est aujourd'hui technologiquement impossible" et mettant en garde contre "le danger que ces positions dogmatiques et politiques peuvent représenter". Tout en assurant, au sujet de la sûreté des installations nucléaires "que ce n'est pas à moi, responsable d'EDF, d'être rassuré, mais aux citoyens."
(Crédits : DR)

Avec 15 000 salariés, 4 centrales nucléaires, plus de 3,5 millions de clients, et 22 % de la production d'électricité du territoire national, Auvergne Rhône-Alpes est un territoire majeur d'EDF. Quel état des lieux faites-vous de votre délégation régionale ? Quelles principales singularités peut-on observer ?

La spécificité d'EDF Auvergne-Rhône-Alpes réside dans son large spectre de moyens de production d'électricité : énergies hydrauliques et renouvelables (photovoltaïque et éolien). Permettez-moi de rappeler que ce territoire est le berceau de l'hydraulique. Il concentre 39 % de la production française dans ce domaine. Mais aussi production nucléaire, grâce aux 14 tranches réparties dans 4 centrales, sur les 58 que comptent les centrales françaises, représentant ainsi 21 % de la production nucléaire d'électricité. Nous produisons le double de nos besoins en consommation (61TWh - 121TWh). La spécificité de la région réside donc, également, dans sa capacité à exporter de l'énergie, en direction de l'Italie, la Suisse, et bien sûr, vers d'autres régions françaises.

Les métiers d'EDF sur le territoire sont très pointus, et enregistre des résultats de grande qualité. Le nucléaire, alors qu'il a été beaucoup chahuté par des problèmes de fabrication et de ségrégation carbone, a su, par ses procédures et sa recherche d'excellence permanente, augmenter de 20 % ses disponibilités, tout en satisfaisant l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). L'hydraulique, dans la région enregistre des résultats excellents, grâce notamment à des projets de pointe qui continuent à densifier la production dans les Alpes. Notre force est de continuer à produire sur les ouvrages existants, tout en développant de nouveau.

Nous avons également une clientèle très dynamique. Son développement se poursuit, dans chaque catégorie : particuliers, tertiaires et industries. Des industries très complémentaires et des PME très fortes, un tissu industriel solide, mais aussi une agriculture dynamique. Notre direction commerce - dans le cadre d'une concurrence ouverte et la fin des tarifs régulés aux entreprises - est restée compétitive grâce à ses capacités d'innovations (services, offres, contrôle et maîtrise de la consommation, etc.) et des réponses localisées et adaptées aux besoins de chacun des clients.

Autre point intéressant, la diversité des métiers apporte une grande richesse à l'entreprise sur le territoire. Nous avons des femmes et des hommes très attachés au service public et à la culture d'entreprise. Même s'ils ne sont pas toujours d'accord avec les décisions de la direction que je représente, cela n'empêche pas l'intérêt supérieur d'être assuré à travers notre mission de service public, c'est-à-dire l'intérêt des clients. C'est une vraie force.

Quelles pistes d'amélioration avez-vous ciblées ?

Parlons désormais des challenges. Pour améliorer notre efficacité, nous devons apporter des réponses qui doivent être encore davantage dans la proximité. Les décisions ne doivent se prendre ni à Paris, ni à Lyon, mais dans les territoires concernés. Les responsables ont des attentes différentes en fonction des zones géographiques, et il faut prendre en compte cette réalité. Cette capacité à s'adapter dans les territoires doit se renforcer. Enfin, nos différents métiers doivent renforcer leurs convergences et leurs synergies.

Le deuxième axe d'amélioration repose sur la capacité d'écouter les attentes sociétales des clients et des citoyens. EDF est un groupe industriel, mais aussi de service public. À ce titre, les différentes métropoles, ainsi que l'exécutif régional, nous attendent sur des questions majeures, à l'instar de la précarité énergétique, mais aussi sur la problématique de l'éloignement de certaines personnes de l'emploi. Nous avons donc un rôle à jouer dans la réinsertion. Dans cette perspective, différentes initiatives ont été enclenchées, afin de créer des processus de qualification rapide qui seront disponibles sur l'ensemble des métropoles de la région. L'idée est de fédérer d'autres entreprises autour de cette responsabilité sociale.

"Tout industriel doit veiller aux retombées de proximité"

Le poids d'EDF dans l'économie régionale n'est pas négligeable, avec presque 2 milliards d'achats par an dans la région et 35 000 emplois locaux créés grâce à la contribution d'EDF. Comment appréhendez-vous ce rôle moteur ?

Nous devons maintenir un haut niveau d'achat et d'investissement pour continuer à contribuer à plus de 35 000 emplois indirects en Auvergne-Rhône-Alpes. C'est un point majeur de notre activité. Le groupe achète environ 2 milliards d'euros par an sur la région. Cela se traduit par environ un milliard d'euros d'achat grâce à nos investissements - un montant qui augmentera certainement grâce au programme de grand carénage du nucléaire -, mais compte tenu de la grande puissance industrielle de la région, d'autres entités d'EDF achètent à des entreprises du territoire, d'où les 900 millions d'euros de plus. La nécessité est également de maintenir un haut niveau d'apprentissage. Nous avons en moyenne 1 000 alternants au sein des 23 unités de notre délégation.

Quid de la "préférence régionale", évoquée lors de la présentation de votre feuille de route, à l'été 2016 ?

Mon propos n'est absolument pas politique et s'inscrit dans la stratégie d'entreprise : celle d'être un acteur multilocal. Les clients, les citoyens ont un besoin grandissant d'identification et de proximité. Cela doit se retrouver dans l'impact économique des sociétés locales, c'est-à-dire que nos besoins d'achats et d'investissements locaux doivent impacter les acteurs du territoire. Nous travaillons dans les règles de la concurrence, mais de telle façon que notre activité bénéficie d'abord à l'emploi local. L'activité hydraulique, par exemple, développe cette philosophie depuis de nombreuses années. Les sites nucléaires dans le cadre des travaux de maintenance courante font également appel à de nombreuses entreprises locales et régionales. Il faut faire grandir nos entreprises de proximité afin qu'elles puissent être, ensuite, compétitives pour répondre aux appels d'offres.

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Comment cela se matérialise ?

Nous appliquons les règles d'appel d'offres. Mais lorsque vous accompagnez les entreprises locales depuis plusieurs années, que vous collaborez, que  vous leur donnez des conseils afin d'avoir des meilleures performances, de fait, elles sont ensuite plus compétitives et mieux placées pour répondre à la demande.

Même la division nucléaire épouse désormais cette logique, notamment à travers le plan carénage qui sera très porteur pour l'économie locale. Un tiers de l'activité nucléaire aura des retombées économiques sur le territoire, contre quelques pour cent auparavant. Tout industriel doit veiller aux retombées de proximité, car tout cela profite économiquement à l'ensemble du territoire.

"L'exécutif régional veut accompagner le développement du nucléaire"

Quel regard portez-vous sur la politique économique et énergétique de Laurent Wauquiez ?

Un schéma régional est actuellement en élaboration, et il ne m'appartient pas de le commenter. Mais il me semble que l'exécutif est très attentif aux enjeux énergétiques. L'exécutif ambitionne d'accompagner le développement du nucléaire. À ce titre, il a notamment été demandé au président Levy le renforcement de l'expertise nucléaire dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, mais aussi de la formation.

Nous travaillons ainsi en étroite relation avec la région sur l'émergence d'un CFA des métiers de l'énergie, afin de renforcer le sourcing. Compte tenu du développement à venir de l'énergie dans les 10 ans, nous devons nous assurer que les ressources à l'embauche, aussi bien pour EDF que pour nos sous-traitants, seront disponibles.

EDF possède sur la région Auvergne-Rhône-Alpes des outils de recherche et développement mondialement connus. Nous voulons renforcer la visibilité de notre expertise nucléaire. À ce titre, le Pôle nucléaire Bourgogne est particulièrement intéressant. Il est actuellement focalisé sur l'aval. L'idée est de le renforcer par ce qui fait la force de la région, c'est-à-dire toutes les sociétés qui travaillent sur l'ingénierie nucléaire : de conception, d'exploitation, mais aussi de déconstruction.

Le souhait est donc de renforcer un Pôle nucléaire Bourgogne qui va s'étendre en Auvergne-Rhône-Alpes, et qui fonctionnellement, va prendre la dimension ingénierie. Une recherche de nom est actuellement à l'œuvre, et des annonces devraient intervenir début juillet. Cette structure sera révélatrice de l'impulsion que souhaite donner la région à la filière nucléaire.

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Auvergne Rhône-Alpes est la première région de France pour les énergies renouvelables (ENR). Elle concentre 29 % de la production dans ce secteur, et est au-dessus du seuil des 23 % qu'impose la loi - au niveau national - d'ici 2020.  Le reste du territoire national a semble-t-il du retard sur cet objectif. La région a-t-elle la vocation d'« absorber » les éventuelles défaillances des autres territoires ?

Il faut être objectif : la force de la région Auvergne-Rhône-Alpes dans le domaine des ENR, vient de son avantage naturel et historique qui permet, notamment, d'avoir un grenier hydraulique fort.

Comment appréhendez-vous ces grands enjeux ? Quel peuvent être, aujourd'hui, le rôle et les capacités des ENR ?

Au regard de la typologie de la région, ainsi que de son bilan énergétique, et alors que la croissance d'énergie va croître naturellement, nous devons travailler sur deux axes très forts : l'isolation thermique des bâtiments et les transports.

Ainsi, la première chose à faire pour réussir la transition énergétique à l'horizon 2050 et de diminuer par quatre la production de C02. Cela suppose l'éradication du charbon, ainsi que d'une grande partie de la consommation directe du pétrole. A ce titre, l'énergie nucléaire contribue, elle aussi, particulièrement à la production en toute sureté d'une électricité compétitive et faiblement émettrice de CO2.

D'ici 2050, une forte croissance de l'électricité est prévue, entre 1 et 2 % par an. La base nucléaire est consolidée, et j'espère qu'elle le sera encore davantage. Mais, aujourd'hui, le développement de nouvelles capacités de production doit passer par les énergies renouvelables. La complémentarité entre l'énergie nucléaire et les ENR va encore davantage s'affirmer dans les années qui viennent. Si l'on remplaçait du nucléaire aujourd'hui ou de l'hydraulique par du photovoltaïque ou de l'éolien, cela n'aurait pas d'impact sur l'émission de Carbonne, et ne répondrait donc pas aux exigences de la loi sur la transition énergétique. Il ne faut pas se tromper d'objectif.

Le nucléaire est-il aujourd'hui, toujours indispensable ?

Oui, le nucléaire reste aujourd'hui indispensable. Pourquoi ? Chaque jour, les ENR, particulièrement le photovoltaïque, font face à une "éclipse énergétique". Par exemple, la production photovoltaïque française, qui correspond à environ 3 tranches nucléaires, s'arrête au moment où le soleil se couche. Mais les entreprises et les clients continuent de consommer. Nous constatons même une "pointe du soir". Nous devons donc maintenir un niveau de production important pour satisfaire la demande de nos clients, ce qui suppose des capacités adaptées. Cette "éclipse énergétique" est également valable pour l'éolien, qui représente 7 à 8 tranches nucléaires. Certes, le système français, grâce à RTE, vise à équilibrer à tout moment consommation et production. Sauf que si la base n'est pas solide, si les fluctuations sont très importantes, cela engendre le déclenchement d'autres moyens de production, comme ceux des barrages hydrauliques, qui sont très réactifs.

"Ne pas mettre en danger le système énergétique français pour des raisons politiques"

Certaines politiques estiment que la France est en capacité de produire 100 % d'ENR d'ici 2050...

Nous savons que techniquement, nous ne pouvons pas descendre en dessous d'un mix de 50-50, entre une base énergétique stable et celle de l'intermittence. J'entends effectivement certains politiques dirent que le 100 % ENR est une réelle possibilité. À l'instant T de la recherche technologique, aujourd'hui, et pour les 20 à 30 ans qui viennent, les moyens ne sont pas réunis pour assurer une plus grande part d'énergie renouvelable. Les technologies de stockage ne sont pas encore économiquement au point

Il faut donc aller dans deux directions. Se rapprocher à terme des 50 - 50, mais en même temps, innover grâce au développement de la recherche sur d'autres outils de stockage. Le coût aujourd'hui des stockages correspondant à 10 fois le prix du kWh. Cette technologie est donc actuellement réservée à des usages particuliers. Les seuls stockages rentables sont dans les Alpes, grâce à une disponibilité de l'eau. L'enjeu est de réfléchir à d'autres stockages. C'est tout l'objet des grands projets de smart grids, sur lesquels nous sommes fortement engagés.

Mais la rupture technologique, c'est-à-dire les batteries air-zinc, est annoncée pour 2025 en termes d'utilisation, et pas avant 2030 pour un business model stable et rentable. Cette prochaine rupture permettra l'amélioration des rendements de la production d'hydrogène à partir de l'intermittence. Les rendements actuels sont, au niveau du prix, inabordables par rapport au marché. Par contre, cela peut changer si les rendements augmentent. L'hydrogène, pour lequel notre région est très bien placée, notamment grâce aux compétences du bassin grenoblois, est un outil intéressant sur l'allongement de l'autonomie de la batterie. Mais pour stocker l'intermittence, c'est-à-dire l'éolien ou le solaire disponible sans besoin de consommation, c'est aujourd'hui mécaniquement impossible en termes de coût.

Nous n'allons pas mettre en danger le système énergétique français pour des raisons politiques et idéologiques. La réalité technologique et économique est la seule donnée qui prime.

Si demain, les technologies de stockage permettent d'assurer la production énergétique suffisante, et sont viables économiquement, le nucléaire sera-t-il toujours une nécessite ?

La réponse tient en une équation : équilibre de balance énergétique française, indépendance, respect des normes environnementales. Si une autre filière industrielle aussi puissante et porteuse d'emploi existe demain, il y aura alors compétition et on regardera quel sera le plus performant. Il ne faut pas être dogmatique.

"Aura est LA Région où la filière photovoltaïque peut réussir"

L'hydraulique tire la production d'ENR dans la région, alors que l'éolien est moins en évidence, même si un projet important a été mis en route récemment, à savoir celui de Montagne ardéchoise, le plus important de la région Auvergne-Rhône-Alpes avec une puissance de 66,5 MW. Quels seront les futurs projets dans l'éolien, et quels sont les objectifs dans ce domaine ?

Le projet Montagne ardéchoise se déroule en plusieurs étapes. Son inauguration va être suivie de nouvelles mises en service, et sera renforcée par une trentaine d'éoliennes pour atteindre 73 mégawatts. Nous avons d'autres projets également dans la montagne du Pilat.

Cependant, si l'éolien est une source énergétique majeure, elle demeure, parfois, un problème culturel. Beaucoup de collectivités se disent favorables à cette ressource, mais pas chez soi ! Nous devons progresser dans le domaine de la concertation avec les territoires. Nous n'avons pas été performants dans celle-ci pour le projet au Pilat, alors que la réussite du programme Montagne ardéchoise est notamment le fruit d'une concertation intelligente entre les équipes d'EDF Energie Nouvelle, et celles du département, notamment autour de la création d'emplois locaux.

En 2013, EDF NR reprenait Photowatt, une activité d'assemblage de panneau solaire. Selon nos informations, sans l'actionnariat solide d'EDF, l'entreprise pourrait être de nouveau en difficultés. Difficultés du secteur exprimées également par la chute de Sillia VL. Les entreprises françaises ont-elles toujours vocation et intérêt à construire ces panneaux alors que la concurrence chinoise est ultra agressive et que le savoir-faire allemand est aussi une donnée à prendre en compte ?

Je ne suis pas dans le comité exécutif qui a la responsabilité de cette participation. Mais ma conviction personnelle concernant Photowatt est que cette entreprise est un véritable bijou de technologie. Le niveau actuel du rendement de ses panneaux photovoltaïque est meilleur de 3 à 4 points par rapport aux panneaux chinois. Ils sont certes plus chers, mais avant tout de meilleure qualité. Photowatt est aujourd'hui une entreprise de pointe mondiale, qui n'a pas à souffrir de l'expertise allemande. Si la performance technologique est au rendez-vous, l'entreprise doit, en revanche, améliorer son bilan économique, dans la lignée des dernières transformations.

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Les fabricants français de la filière ne sont pas perdus. À mon sens, les compétences technologiques d'entreprise comme Photowatt seront même un atout qui tirera l'ensemble de la filière. D'autres acteurs de la région sont à la pointe, notamment dans le sourcing du silicium. S'il y a un endroit en France où la filière photovoltaïque peut réussir, c'est en Auvergne-Rhône-Alpes.

Le soutien des pouvoirs publics est-il assez fort ?

Le soutien pourrait passer par une plus grande valorisation des rendements d'entreprise à la pointe comme photowatt. Mais c'est également à nous, EDF ENR, d'insister sur cette expertise, plutôt que d'attendre un soutien public. Notre challenge doit être de convaincre nos partenaires privés du bien-fondé économique et technologique de travailler avec notre filiale, en faisant de la pédagogie pour explique que l'équation suivante sera gagnante : oui le panneau coûte plus cher à la fabrication, mais sur le long terme, il est économiquement plus avantageux.

"Tirer les leçons de Fukushima"

La région Auvergne Rhône-Alpes sera particulièrement concernée par les travaux de "Grand Carénage" des centrales nucléaires, estimés - à minima - à 47 milliards d'euros au plan national. Comment allez-vous appréhender cette grande manœuvre sur le territoire ? Que représente l'enveloppe d'investissement pour cette action sur le territoire ?

Premier élément de clarification : sur les 47 milliards d'euros estimés de travaux, seulement 20 milliards d'euros seront rajoutés en sus. Des travaux de maintenance naturels sont déjà réalisés au fil de l'eau depuis plusieurs années.

La vision du grand carénage ne doit en aucun être centralisée. Une approche locale s'impose. Nous développons en étroite collaboration avec les quatre patrons des centrales de la région un projet d'investissement  de ces infrastructures, profondément ancré dans les territoires. Certains programmes démarreront dès cette année, et d'autres dans cinq à six ans. Chaque site travaillera avec son réseau d'entreprises sous-traitantes.

Globalement, l'enveloppe représente cinq milliards d'euros d'investissement sur le territoire sur les dix prochaines années, soit 500 millions d'euros d'investissement en plus par an. C'est un effort significatif, qui bénéficiera au territoire, car un tiers de ce montant retombe sur les acteurs économiques locaux : c'est-à-dire, 170 millions d'euros pour les entreprises locales par an pendant 10 ans. Rares sont, dans la crise économique actuelle, les entreprises qui peuvent avoir une capacité d'investissement de cette dimension.

Quels sont les challenges du grand carénage ?

Le défi est de répondre aux prescriptions techniques demandées par l'Autorité de sûreté nucléaire, en accord avec les leçons à tirer des derniers événements. Lorsque l'allongement de la durée d'exploitation d'une centrale est demandé, au-delà de 40 ans, nous augmentons le niveau de qualité et de sûreté. Je souhaite torde le coup à cette image souvent propagée en externe et dans les médias, qu'une centrale de 37 ans est un vieil équipement. Si les éléments sont changés, à l'instar des générateurs de vapeur, qui sont des éléments qui vieillissent vite, faisant face à chocs thermiques, et qu'ils sont remplacés par des éléments de nouvelle génération, plus sécurisés, grâce à des contrôles commandes numériques, le niveau de sûreté est amélioré.

Une centrale qui connaîtrait une augmentation de sa durée  de vie d'exploitation aurait un niveau de sûreté plus fort, comme si une centrale neuve était mise en service. Nous "upgradons" nos centrales. Nous tentons d'expliquer cela. Dans cette logique, nous demandons ainsi un prolongement d'exploitation de dix ans, unité de production par unité de production pour atteindre 50 ans. Et une fois ce prolongement atteint, qu'est-ce qui nous empêche de redemander une extension de 10 ans, pour atteindre 60 ans, comme c'est déjà le cas aux États-Unis, pour le même type de réacteur ?

Le deuxième élément majeur qui s'invite dans la réflexion du "Grand Carénage" est celui des leçons à tirer de Fukushima. Avant d'entrer dans le détail, permettez-moi de rappeler simplement un élément factuel : aucun décès de Fukushima n'est la conséquence d'une défaillance nucléaire. Le grand drame japonais est lié au tsunami, qui a engendré la mort de 18 000 personnes. Les médias ont parfois fait preuve d'amalgame lors de la commémoration de cet événement. Je laisserai les autorités médicales se prononcer, sur les conséquences sanitaires de cette tragédie. La réalité est actuellement la suivante : À Fukushima, à ce jour, aucun décès  n'est établi en conséquence du nucléaire. C'est essentiel de le rappeler.

L'accident de Fukushima a entrainé de nouvelles normes de sûreté et de sécurité. Rappelons ce qu'il s'est passé. L'impact du tsunami sur les rives a coupé l'électricité du territoire. De ce fait, la centrale n'étant plus alimentée, les réacteurs n'ont pas pu être refroidis. La nécessité est donc de construire de nouveaux systèmes autonomes d'électricité. Nous avons donc rajouté une barrière de sécurité supplémentaire, portant leur nombre à 7. Nous sommes progressivement en train d'intégrer à toutes nos centrales un diesel ultime de secours par réacteur. Ces matériels sont en cours de construction sur tous les sites. Enfin, nous avons même décidé, afin de pallier une éventuelle défaillance du diesel de secours, la mise en place d'une force d'action rapide du nucléaire (FARN). Une unité est par exemple basée à la centrale du Bugey. Cette force est capable d'intervenir, en cas d'urgence, sur n'importe quel site nucléaire en France et en simultané sur l'ensemble des réacteurs d'un même site, pour apporter et mettre en œuvre des moyens autonomes de réalimentation en eau, air et électricité.L'amélioration de la sécurité et de la sureté ont déjà engendré des résultats l'an passé : de 37 arrêts automatiques, nous sommes passés à 29. Nous progressons.

Les militants antinucléaires dénoncent le fonctionnement parfois hasardeux de la centrale du Bugey, âgée d'une quarantaine d'années, initialement prévue pour trente ans de production. Les problèmes soulevés par ces derniers sont récurrents : fuites radioactives, pièces non conformes, sécurité discutable, dysfonctionnements à répétition...Est-elle sûre ?

La centrale du Bugey est aussi sûre que les 58 tranches françaises. Elle accueille en plus, sur son site, la force d'action rapide nucléaire. Elle a donc les meilleurs moyens d'intervention. Pensez-vous qu'on mettrait l'entité qui devrait éventuellement, un jour, agir ailleurs, dans la centrale la moins sûre ? Non.

A LIRE | La centrale du Bugey dans le viseur de l'ASN

La centrale du Bugey est l'une des premières qui passera le test de l'Autorité de Sûreté Nucléaire pour démontrer qu'elle a "upgradé" son niveau de sûreté. Pour moi la réponse sera dans l'examen de sûreté. Et l'ASN a montré sa totale indépendance.

"La France n'a jamais connu d'accident nucléaire"

Comment gérez-vous le risque d'attentat ? Certains militants de Green Peace se sont notamment introduits sur des sites nucléaires...

Dans chaque enceinte nucléaire, une unité de la gendarmerie assure le filtrage et la sûreté du site. Elle agit avec une extrême rigueur. Concernant l'événement que vous évoquez, il ne m'appartient pas de dire s'il s'agit de défaillance. Je constate seulement que l'atterrissage d'un militant sur un dôme, alors que cette structure peut résister à un crash d'un Boeing, ne me semble pas tellement dangereux, aussi malintentionné que puisse être ce-dit militant. C'est à mon sens un buzz médiatique. Ce que je sais c'est qu'aussi spectaculaire que soit cet acte, il a été parfaitement suivi et il est resté sous le contrôle des "forces de sécurité" de la gendarmerie présentes sur sites.

Lorsque je constate le professionnalisme des équipes dans les quatre centrales, je suis très rassuré. Mais ce n'est pas à moi, responsable d'EDF, de l'être, mais aux citoyens.

La France n'a jamais connu d'accident nucléaire. Même s'il est de notre responsabilité en tant qu'exploitant responsable de toujours nous préparer au pire. Ce n'est pas un hasard si Areva et EDF sont demandées dans plus de 20 % du parc mondial. Ce n'est pas un hasard, non plus, si, face à l'enjeu du développement du nucléaire dans le monde, la filière française est très sollicitée. 100 réacteurs sont à construire en Chine, 50 en Inde, etc. Nous aurons une forte présence sur ces marchés.

Le démantèlement nucléaire est un marché mondial évalué à 220 milliards d'euros. N-y-a-il pas là un relais de croissance incroyable pour EDF, et de par la typologique du parc français, un terrain d'expérimentation privilégié pour améliorer cette expertise, alors que la filière nucléaire française n'a plus grand-chose à envier aux autres acteurs mondiaux dans le domaine de la construction....

Les 100 réacteurs chinois qui seront construits demain ne pourront pas se passer des compétences françaises. L'amitié, ainsi que les relations diplomatiques entre la France et la Chine, notamment dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, font que la France ne sera pas isolée.

Concernant le marché du démantèlement : oui, il constitue un levier économique très important dans lequel la France, et tout particulièrement la région Auvergne-Rhône-Alpes a un rôle clé à jouer. Deux entités sont actuellement en démantèlement (notamment Bugey 1, NDLR). Le savoir-faire se développe grâce une expertise de l'ingénierie de démantèlement dont le cœur est à Lyon.

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Le territoire doit prendre sa part dans ce marché. Nous allons beaucoup plus déconstruire en Europe que l'on va construire. Les marchés, notamment à l'Est, vont s'ouvrir. Ils seront une occasion pour la filière et les sous-traitants de s'exporter dans les années à venir.

Comment gérer stratégiquement ce grand écart, entre la volonté de prolonger les centrales et cette politique de démantèlement ? EDF a-t-il le potentiel pour être sur tous les fronts ?

Ce n'est pas un grand écart. Ce sont des marchés différents. Nous démantèlerons un jour nos centrales. Mais pourquoi démanteler des infrastructures qui sont à un niveau de sécurité optimal, et performant économiquement ?

"Fessenheim ? une décision industrielle difficilement compréhensible"

Vous désapprouvez donc la fermeture de Fessenheim ? Estimez-vous la décision de la ministre de l'Énergie, Ségolène Royale, comme étant sans fondement industriel, sécuritaire et économique ?

Je suis un démocrate, donc je respecte le processus. Je rappellerais seulement que, en pleine conformité avec la loi sur la « Transition énergétique pour la Croissance verte », le Conseil d'Administration d'EDF a accepté les trois conditions à la fermeture, lors de sa séance du 6 avril 2017.

Mais pourquoi systématiquement arrêter une centrale de 40 ans ? La vraie question repose sur l'examen de sûreté opéré par l'ASN. Pourquoi les Français seraient les seuls à arrêter à 40 ans, alors que nos amis Américains sont déjà à 60 ans d'exploitation, et qu'ils se posent la question du passage à 80 ans ? La question sous-jacente est une question économique. Arrêter une centrale de 40 ans, qui génère de la sous-traitance donc de nombreux emplois locaux, et qui est très rentable, ce qui est le cas de Fessenheim, est une décision industrielle difficilement compréhensible.

Les chiffres qui circulent sur le remplacement des capacités de production en réponse aux fermetures des centrales sont erronés. L'investissement à partir de zéro afin de créer de nouvelles centrales de production (éoliennes ou autres) ne peut pas entraîner un coût inférieur à 60 euros de MWh. L'allongement de l'exploitation d'une centrale nucléaire fait tomber, quant à lui, le coût du mégawatt à 35 euros le MWh. Si la sureté est remplie, il n'y a pas de donc pas question à se poser : il faut prolonger. Oui, cette prolongation aura une limite, mais aujourd'hui, nous ne pouvons pas dire à quand. Et chaque cas est particulier.

Quel impact aura le rapprochement de l'activité réacteur d'Areva avec EDF sur le territoire ?

Des synergies entre les équipes Areva et les équipes EDF seront renforcées. Les équipes travaillent déjà ensemble. Nous avons déjà œuvré au rapprochement culturel. Des fusions au niveau de l'ingénierie seront incontournables. Ce rapprochement est une vraie force pour le groupe. Dans le passé, nous avons sans doute perdu quelques marchés par manque de coordination. Je suis certain qu'avec les équipes d'Areva, qui ont des niveaux d'expertises inégalés, nous serons capables de faire des offres compétitives dans le monde entier, afin de prendre notre part sur la construction des deux cents réacteurs actuellement en projet.

La filière nucléaire française créée 225 000 emplois directs, indirects et induits. La valeur ajoutée est française. Le minerai, l'uranium, les achats français représentent 400 millions d'euros. Les achats de pétroles et de charbon représentent entre 40 milliards et 70 milliards en fonction du prix du baril. Le prix du minerai dans le kWh final est, pour sa part, de 1%. Il n'y a donc aucune conséquence économique.

Ce qui impose aussi certaines dispositions géopolitiques particulières pour assurer l'approvisionnement d'uranium...

Non, car l'uranium est présent dans de nombreux pays du monde. Et il est en surproduction par rapport à la demande. Nous pouvons changer de fournisseur à tout moment.

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Commentaires 2
à écrit le 04/07/2017 à 16:14
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C'est fou de pouvoir prétendre avec autant d'assurance que c'est impossible alors qu'il a été démontré que c'était possible, par les très serieux negawatt, mais aussi par l'ADEME dans une etude tres detaile publiée il y a plusieurs années. Soyons ho...

à écrit le 20/04/2017 à 12:53
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Le 100% EnR n'est surtout pas bon pour son bizness de quasi-monopole, oui ! Encore un ponte qui a 20 ans de retard, pas grave, panneaux allemands et batterie americaines et chinoises vont rafler la mise et meme mettre Enedis a diete, mais a ce momen...

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