"L'enseignement supérieur est absent du débat présidentiel 2017" Anne-Lucie Wack (CGE)

En septembre 2016, la Conférence des grandes écoles (CGE) formulait 24 propositions pour "faire réussir la jeunesse" et réformer l'enseignement supérieur à l'adresse des candidats à la présidentielle. Parmi les principaux sujets abordés, l'ouverture sociale ou la réussite en premier cycle. Entretien avec Anne-Lucie Wack, présidente de la Conférence des grandes écoles et directrice générale de Montpellier SupAgro, à l'occasion de sa venue à l'INSEEC Lyon.

Acteurs de l'économie - La Tribune. La Conférence des grandes écoles (CGE), dont vous êtes la présidente, a formulé 24 propositions pour l'enseignement supérieur et la recherche en amont de l'élection présidentielle. Quel est le but de cette démarche : sensibiliser, se placer en tant que véritable force de proposition ? Est-ce la première fois que la conférence s'engage de cette façon en période électorale ?

Anne-Lucie Wack : L'objectif est de faire en sorte que les politiques se saisissent des enjeux liés à l'enseignement supérieur. Lors de la précédente campagne, cette thématique était totalement absente des débats. Nous ne voulions pas que cela se reproduise de nouveau.

En 2012, la CGE avait déjà élaboré des propositions. Mais pour faire en sorte que, cette fois, elles soient davantage audibles, nous avons adopté une démarche différente. Nous nous sommes placés du point de vue des familles et des entreprises, et nous avons commandité un sondage national à TNS-Sofres pour savoir comment les Français pensent et comprennent l'enseignement supérieur et qu'elle importance ils lui donnent. L'une des principales leçons est qu'il existe un déficit d'information, tant auprès des jeunes que des familles ou des entreprises. Beaucoup d'informations sont disponibles, mais dans cette masse, face à un tel niveau de complexité, il est parfois difficile de s'y retrouver.

Selon un sondage publié début mars par le cabinet d'étude Elabe, seul un français sur cinq estime que l'enseignement supérieur doit être une priorité pour le prochain chef de l'Etat. Comment l'expliquer ?

Je suis très étonnée. Il faudrait regarder la façon dont la question a été posée car lorsque nous avons réalisé notre sondage, en janvier 2016, 90 % des recruteurs pensaient justement que cette thématique devait être une priorité. De plus, le taux de non-réponse était faible, signe d'un fort intérêt.

Plusieurs organisations regroupant des responsables de l'enseignement supérieur - présidents des universités, des écoles d'ingénieurs - se sont également mobilisées cette année, à l'occasion de la présidentielle. 2017 est-elle une année qui marque un enjeu particulier dans le secteur ? Un tournant est-il à prendre ?

Un des principaux enjeux est l'afflux massif d'étudiants qui entrent dans l'enseignement supérieur. Aujourd'hui, ils sont 2,5 millions. Selon les prévisions, 800 000 de plus vont arriver dans les dix ans. Cette hausse résulte en partie de l'accroissement démographique. Mais elle est aussi liée à la volonté du gouvernement d'élever le niveau d'éducation de la population et de faire passer 60 % d'une classe d'âge dans l'enseignement supérieur, contre 43 % aujourd'hui. Mais, il ne faut pas seulement accueillir ces jeunes. Il faut les faire réussir. Des solutions concrètes sont à mettre en œuvre.

Quelles pistes peuvent être explorées ?

Les jeunes doivent avoir une orientation éclairée. Sur admission post-bac, nous défendons l'idée que les débouchés professionnels doivent être indiqués, pour que les bacheliers ne se dirigent plus vers des filières qui sont saturées alors qu'à l'inverse d'autres comme le digital et le numérique sont à la recherche d'étudiants.

Mais l'une des révolutions que l'enseignement supérieur doit mener est de repenser le premier cycle pour en faire un véritable cycle de formation court permettant une insertion professionnelle au bout de trois ans. Pour l'instant, la filière de licence générale universitaire est surtout pensée pour continuer en master ou en doctorat. Cependant, tout le monde ne veut pas, ne peut pas poursuivre davantage. Mais surtout, cela ne correspond pas à la demande des entreprises, qui veulent aujourd'hui des cadres intermédiaires. Les BTS ou les IUT réfléchissent aussi à cette idée de passer à un cursus en trois ans.

Alors que le premier débat entre cinq des candidats à l'élection présidentielle a eu lieu lundi, estimez-vous avoir réussi à sensibiliser les candidats ?

Dans les débats, à la télévision comme à la radio, le sujet n'est pas évoqué. Une des raisons est sans doute que le débat devient rapidement trop technique. Mais cela est peut-être aussi lié au fait que ce sont des sujets sensibles, voire tabous, dès lors que des questions comme la sélection ou les frais d'inscription sont mis sur la table. Toutefois, les équipes de campagnes des candidats travaillent sur ces questions.

L'enseignement supérieur est le dernier un maillon de la chaîne éducative qui commence à la maternelle. L'école, elle, est un véritable sujet dans les débats. Et c'est une bonne chose car nombre de problèmes que nous retrouvons dans le supérieur prennent leur source dès le primaire ou même la maternelle. Et pourtant, les problèmes sont majeurs. Par exemple, l'origine sociale des étudiants conduit à ce que l'on appelle l'écart social de "diplômation". Un enfant d'ouvrier ou d'employé à moins de 30 % de chances d'obtenir un diplôme dans l'enseignement supérieur. Pour un enfant de cadre, ce ratio atteint 70 %.

Faire de l'ouverture sociale une cause nationale est d'ailleurs l'un des cinq leviers identifiés par la CGE pour "faire réussir la jeunesse". Pourtant, ce constat d'inégalité des chances n'est pas nouveau. Comment faire en sorte de réduire l'écart, de façon plus concrète ?

Cette question concerne autant les grandes écoles que les universités. Les universités accueillent tous les étudiants, mais sans garantie de réussite. En licence, le taux d'échec est élevé avec nombre de jeunes qui redoublent, se réorientent ou décrochent. Les grandes écoles sont sélectives, mais font réussir tous les étudiants. Il faut que les deux convergent.

Depuis des années, au sein des grandes écoles, nous avons développé des programmes, avec les cordées de la réussite, mais aussi des entreprises, des associations, des fondations, qui œuvrent pour l'inclusion sociale. Nous savons désormais comment faire, comment aller chercher ces jeunes qui ne se projettent pas dans l'enseignement supérieur. Mais il est nécessaire de changer d'échelle pour faire en sorte que la démarche devienne systémique et ainsi, réduire cet écart social.

Ce changement d'échelle, nous l'avons chiffré avec des actions concrètes. Par exemple, pour un programme de 60 000 jeunes accompagnés, le budget est de 30 millions d'euros sur trois ans. Pour nous, il s'agit du grand sujet de demain. Si on ne le résout pas, la situation va s'aggraver, d'autant plus avec l'afflux de ces nouveaux étudiants dans les années à venir.

L'une des propositions que vous défendez est de doubler le nombre d'apprentis d'ici 2025. Une volonté de valorisation de l'apprentissage, qui figure déjà dans la feuille de route du gouvernement actuel. Que souhaitez-vous apporter de plus ?

Dans la stratégie nationale de l'enseignement supérieur, telle que définie par le gouvernement, l'objectif est de passer à 200 000 apprentis dans le supérieur, soit un taux inférieur à 10 % des étudiants. Nous proposons d'aller plus loin. Dans les écoles, nous avons déjà en moyenne 15 % d'apprentis. L'objectif est d'atteindre les 25 %. Cette volonté correspond à une aspiration des jeunes qui n'ont pas tous envie d'un parcours académique pur mais aspirent à d'autres formes d'intelligences, plus ancrées dans l'entreprise.

L'idée est aussi de créer une filière d'excellence, en arrêtant d'opposer l'apprentissage dans le supérieur et celui avant le bac. L'envisager globalement, le développer dans le supérieur permet de tirer l'ensemble vers le haut, et de travailler sur l'image d'excellence de l'apprentissage, auprès des familles ou des étudiants.

Autre exemple de mesure que vous proposez : "instituer l'obligation pour chaque étudiant en master de s'engager via le service civique ou d'autres formes". Ce développement de compétences citoyennes, est-ce vers quoi l'enseignement supérieur doit tendre aujourd'hui ?

Il s'agit d'un mouvement de fond, qui part de la jeunesse elle-même. Les jeunes ne sont pas individualistes, mais engagés. Ils veulent s'impliquer dans l'économie sociale et solidaire, dans l'entrepreneuriat social. Ils sont prêts à gagner moins pour travailler sur ces sujets. Ils sont à la recherche d'une entreprise différente, plus humaine. Cette jeunesse nous pousse dans la bonne direction.

La récente loi "Citoyenneté et égalité" demande aux établissements d'enseignement supérieur de favoriser l'engagement citoyen des étudiants en dégageant du temps dans le cursus, en reconnaissant cet engagement dans le diplôme ou des certificats. L'idée est de tirer parti de cette force de la jeunesse pour transformer et améliorer la société.

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Commentaires 4
à écrit le 25/03/2017 à 11:21
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"L'enseignement supérieur est absent du débat présidentiel 2017". Bigre. Cet état de fait ne me paraît être, ni une anomalie, ni particulièrement surprenant. Les élections présidentielles sont faites pour élire un président de la république et non u...

à écrit le 24/03/2017 à 9:27
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Heu... vous avez vu le niveau intellectuel de 5 candidats médiatiques ? On aimerait déjà bien qu'ils aient une notion de l'enseignement tout court, vous êtes bien exigeante je trouve !

à écrit le 23/03/2017 à 15:58
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je vais rassurer cette dame tout est absent du debat presidentiel, sauf les costumes de fillon, la couleur des chaussures de fillon, les membres de la famille de fillon qui auraient ete embauches a un moment donne, etc etc etc une election a la tru...

à écrit le 23/03/2017 à 14:36
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Les présidentielles n'est pas un débat gouvernemental, attendre les législatives pour cela! Sinon ce serai mettre notre Président au service de la zone administrative qu'est l'UE de Bruxelles et n'en faire qu'un simple préfet!

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