Acteurs de l'économie - La Tribune. Depuis quelques années, les affaires politico-financières se succèdent et remettent en cause la légitimité de nos représentants. La France est-elle en retard en matière de transparence et de corruption, notamment du point de vue de ses élites politiques ?
Isabelle Attard. La corruption n'est pas le seul fait des élites ! Je n'arrête pas de le répéter. Certes, les récentes affaires Fillon ou Cahuzac ont mis en lumière des pratiques scandaleuses de députés ou de ministres, mais il ne faudrait pas jeter un voile sur la petite corruption, le clientélisme de tous les jours. Sur le terrain, on constate quotidiennement des arrangements entre exécutifs locaux, petites intercommunalités ou conseils départementaux, du style : "je finance ta salle des fêtes et en échange tu trouves une salle pour mon meeting". C'est déjà un début de corruption, même à petit niveau. Et malheureusement, les gens s'y sont habitués.
J'ai une anecdote pour l'illustrer. Quand j'ai été élue, certains électeurs sont venus me trouver pour que je paye leurs contraventions. Ils pensaient que j'allais leur faire sauter. Parce que pour eux, c'était normal qu'un élu ne paye pas ses PV ! C'est ancré. Ça fait partie d'une tradition. Et quand on refuse d'être accommodant, les gens ne comprennent pas.
Vous avez vécu plusieurs années en Suède. Ces pratiques sont-elles tolérées là-bas ?
Certainement pas ! Et si une telle pratique venait à s'ébruiter, cela ferait scandale.
Cette petite corruption que vous dénoncez qui repose sur des échanges de bons procédés entre élus, n'est-elle pas inhérente à tout exercice politique ?
Privilégier un dossier plutôt qu'un autre, en faisant fi de leurs qualités intrinsèques, simplement parce qu'il est porté par une connaissance : on appelle ça du clientélisme. Cela veut dire que l'on est plus capable de privilégier l'intérêt général. Pour moi, c'est un premier niveau de corruption.
Quelle différence peut-on faire entre l'approche française de la transparence et l'approche scandinave ?
Là-bas, on ne rigole pas avec l'argent public. Les règles de transparence strictes et contraignantes, édictées depuis très longtemps, permettent un contrôle citoyen accru qui limite ce genre d'affaires. D'ailleurs, le guide du parlement suédois contient une phrase assez emblématique de cette approche. Dans le chapitre "La démocratie", il est indiqué : "La démocratie est, par définition, le gouvernement du peuple. Cela implique pour les citoyens, non seulement le droit d'élire leurs représentants au parlement, mais aussi l'accès à une information et à un débat libre et ouvert. C'est pourquoi la liberté de la presse et la liberté d'expression sont toutes deux inscrites dans les lois fondamentales de la Suède".
L'accès à toute l'information est carrément inscrit dans les règles de fonctionnement du parlement. Les parlementaires scandinaves doivent littéralement rendre des comptes à leurs administrés ! Les parlementaires français, quant à eux, se voient allouer une somme dédiée aux remboursements de leurs frais sans aucun contrôle.
Assiste-t-on à une prise de conscience de la part des Français, qui estiment désormais que cette situation ne peut plus durer ?
Je ne pense pas qu'il y ait davantage de comportement scandaleux aujourd'hui qu'hier. Simplement, il y avait moins d'enquêtes, moins d'initiatives citoyennes sur ces sujets, et la relative prospérité dans laquelle nous vivions rendaient les affaires peut-être moins injustes aux yeux des électeurs.
De plus, nous avons pris un tel retard en matière de transparence de la vie publique que tous ces petits arrangements qui semblaient normaux avant, reviennent désormais éclabousser la classe politique. Je pense que la succession des affaires va provoquer une prise de conscience de la part des élus, et que dans 20 ans, l'exercice de la transparence sera acquis. Je suis plutôt optimiste de ce point de vue-là. De toute façon, ça ne peut pas être pire...
L'élection de Trump, la validation référendaire du Brexit, ou le résultat des primaires à gauche et à droite peuvent être interprétés comme l'expression manifeste d'un vote de défiance. Selon vous, faut-il considérer que c'est une bonne ou une mauvaise chose ?
Ce sera une bonne chose si l'on arrive à avoir une alternative au Front National. C'est ce que je m'évertue à construire avec d'autres au sein du collectif "La belle démocratie". Ça n'est pas évident, car ils ont longtemps été seuls sur ce terrain.
La méfiance que l'on observe vis-à-vis des journalistes et des intellectuels n'est-elle pas un frein à la construction de cette alternative ?
D'abord, il y a média et média. Aujourd'hui, plus de 90 % des médias français sont entre les mains de moins d'une dizaine de millionnaires. Il en résulte une vision unique qui présente le capitalisme comme seule possibilité tout en dénigrant ses alternatives.
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Ensuite, je ne perçois pas la méfiance que vous évoquez. Au contraire, j'aimerai bien que les gens soient parfois un peu plus critiques sur ce qu'ils peuvent lire ou écouter dans les médias.
Attention, je défends les médias libres et indépendants, à condition qu'ils le soient vraiment.
Dans ce contexte, que proposez-vous pour refonder la vie politique ?
Il faut exiger le non-cumul des mandats dans le temps. Je pense que la professionnalisation de la vie politique est ce qui fait le plus de dégât dans notre société et François Fillon en est le parfait exemple. Il a commencé sa vie professionnelle en temps qu'attaché parlementaire. Il n'a jamais exercé de métier dans toute sa vie. Sa déconnexion est évidente.
Cela permettrait également d'ajouter de la diversité à la vie démocratique. Aujourd'hui, le parlementaire type est un homme blanc, de plus de 50 ans, avocat, médecin ou issu de la fonction publique. Cette uniformité fait de gros dégâts sur la compréhension des enjeux de notre société.
Il faut aussi appeler les Français à prendre leurs responsabilités. Comme on dit : on a les élus que l'on mérite. La société elle-même devrait s'appliquer plus d'éthique sans qu'il soit besoin de légiférer.
Vous avez aussi un usage atypique de votre réserve parlementaire...
Je milite pour sa suppression. On est le seul pays au monde où des parlementaires distribuent de l'argent. C'est quasiment du clientélisme institutionnalisé. Entre temps, j'ai essayé de mettre en place un système qui soit le plus équitable possible en constituant un jury tiré au sort, chargé d'examiner des projets. Les décisions d'attribution des subventions sont prises de façon indépendante par ce jury, dans le cadre d'une charte que j'ai rédigée. Si je suis réélue, je souhaite aller plus loin dans ce sens.
Que pensez-vous des mouvements citoyens ? Les partis sont-ils finis ?
Nous sommes dans une phase de transition entre des partis tout-puissants et des mouvements citoyens qui privilégient l'action sans avoir forcément envie de se définir sur l'échiquier politique. Les partis ont la force de frappe, mais ils n'apportent plus de nouvelles idées parce que leurs préoccupations sont devenues électorales.
Je ne veux pas généraliser, mais je pense qu'il y a davantage de créativité en dehors des partis aujourd'hui. Les mouvements citoyens apportent plus d'horizontalité, de proximité, d'expertise.
Etre députée citoyenne, pour moi, c'est faire participer le plus possible les habitants de ma circonscription, et plus largement les Français, aux prises de décisions. Je considère que l'intelligence est collective et que les élus ne sont pas des experts, loin de là.
Cela peut-il passer par une utilisation plus importante du numérique dans nos démocraties ?
Je me méfie du numérique car je suis députée d'une circonscription dans laquelle il y a encore beaucoup de zones blanches. Je m'appuie plutôt sur le livre de Jacques Testart, L'humanitude au pouvoir, dans lequel est décrite la mise en place de conventions citoyennes, pour mobiliser au niveau local.
Mais les citoyens se sentent-ils vraiment concernés ? Sont-ils présents à ce genre d'initiatives ?
Les citoyens ne sont pas aux ordres des députés. Il n'y a pas de convocation possible. Il faut construire, au fur et à mesure, sur la confiance et dans la durée. Pour moi, le rôle d'un élu doit être celui d'un animateur du territoire. On s'étonne que les Français n'aient pas confiance dans les hommes et femmes politiques, mais eux-mêmes ne leur font pas confiance en refusant de les impliquer !
Militez-vous pour l'établissement d'une VIe république ?
Oui, à condition qu'elle soit parlementaire ! Il y a de très bons exemples qui montrent que l'on peut avoir un régime à la fois stable et représentatif.
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