Michel Tavernier (Aravis-Aract) : "Il faut remettre le dialogue au coeur des organisations"

Le bien-être des salariés est devenu un thème sociétal fort - et un enjeu pour les entreprises si bien que le gouvernement a pris des mesures pour en faire une priorité du monde du travail. Mais avec ses langages, pratiques et concepts, difficile d'y voir clair. Michel Tavernier, directeur d'Aravis-Aract - qui deviendra en 2017 l'Association régionale pour l'amélioration des conditions de travail Auvergne Rhône-Alpes - donne quelques points d'explication.
(Crédits : DR)

La thématique du bien-être au travail n'a jamais été aussi présente dans le débat public que ces dernières années. Quel est l'événement marquant qui a mis en avant et impulsé cette dynamique ?

La signature en 2013 de l'Accord national interprofessionnel (Ani) officialise son point de départ, marquant un tournant avec le terme de "Qualité de vie au travail (QVT)". Toutefois, cette notion n'est pas nouvelle puisqu'elle vient de loin. Elle fait ainsi référence au "bien-être au travail", courant appréhendé principalement dans les milieux de la recherche anglo-saxonne des années 1970, plus en avances que les autres.

La nécessité de trouver un meilleur équilibre entre performance économique et performance sociale, de lutter contre l'absentéisme ou encore de développer l'engagement des salariés l'ont remise au goût du jour. Depuis, chaque pays développe une approche différente.

Le gouvernement en a pris la mesure et a inscrit l'amélioration de la Qualité de vie au travail dans son Plan santé au travail PST 3. Ce qui lui confère une autre dimension, une autre visibilité.

Les problématiques soulevées ne sont pas nouvelles comme vous l'avez indiqué. Quelle est la particularité de la Qualité de vie au travail ?

Avec la crise des risques psychosociaux, la montée en force des maladies professionnelles ou encore les problèmes d'absentéisme, le travail a été souvent vu ces 20 dernières années comme un facteur de risques. Les approches se sont concentrées sur la réparation et la prévention des risques. La QVT propose aujourd'hui d'agir sur les conditions qui peuvent, en amont, rendre le travail positif et épanouissant, dans une approche générale de qualité de l'entreprise.

La QVT réunit donc de nombreuses dimensions autrefois traitées séparément. Une approche moderne de l'entreprise qui associe tous les acteurs dans une logique globale pour mieux articuler performance économique et bien-être des salariés. Elle vise notamment à mettre de la cohérence entre les différentes politiques de l'entreprise : accompagnement des changements, prévention de la pénibilité, amélioration du dialogue social, évolution du management... Pour y parvenir, la QVT place les questions liées au travail au centre des préoccupations et cherche à en faire un objet de dialogue.

Qualité de vie au travail, bien-être au travail, bonheur au travail... une diversité des termes est employée mais ont-ils la même signification ? Le même gène ?

Le terreau commun reste le courant de pensée du "bien-être au travail", sur lequel les recherches académiques ont démarré dès les années 1970, aux Etats-Unis. Des formulations en découlent ensuite dont l'appellation française officielle de Qualité de vie au travail. Et alors que nous étions jusque dans les années 2000 dans une approche plus négative du travail, source de risques, son aspect positif et épanouissant est désormais mieux mis en avant.

Le constat au cœur de ces différentes approches est connu : si les personnes se sentent bien dans leur travail  et accomplissent un travail de qualité, elles ont toutes les chances de rester dans l'entreprise, de s'épanouir et de se développer. Le résultat est donc gagnant-gagnant pour l'organisation dans son ensemble.

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Pour quelles raisons la Qualité de vie au travail est-elle devenue un sujet majeur ?

Nous évoluons dans un monde économique qui s'accélère, avec de plus en plus d'exigence, de rapidité, et de mutation technologique conduisant les relations entre les hommes vers des schémas descendants plutôt que "construits ensemble". Mais cette situation ne correspond plus du tout à la réalité, ce qui engendre des mécanismes négatifs entre les individus. Le dialogue se détériore entre les salariés et le haut de l'entreprise. Résultat : il s'est délité et a été remplacé, depuis 30 ans, par le langage stratégique.

Les dirigeants parlent plus de compétitivité, de satisfaction client, de performance, et de rentabilité, peu à peu, qu'ils ne dialoguent avec leurs salariés. Le travail est devenu invisible et sa capacité à créer de la valeur n'est pas reconnue comme l'a bien écrit Pierre-Yves Gomez dans son livre "Le travail invisible, enquête sur une disparition". C'est-à-dire que nous observons une distance entre la stratégie d'entreprise et le travail réel. Réduire les écarts entre ce qui se passe sur le terrain et la stratégie de l'entreprise, c'est l'essence même de la QVT.

Est-ce à la portée de toutes les organisations ?

Les modèles classiques de l'entreprise et de l'emploi bougent et nous ne savons pas ce qu'il en sera dans 10 ans. Ils percutent la dimension collective du travail et modifient la nature même du dialogue.

Il n'est donc pas facile pour une entreprise de se lancer dans une démarche d'amélioration de la QVT quand celle-ci est engagée dans une succession de mutations imposées. Cependant, toutes les organisations peuvent s'employer à l'appliquer si la volonté est là. Cela prendra du temps mais sera bénéfique à leurs évolutions.

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Certaines entreprises et startups du digital proposent par ailleurs des services à leurs employés. Salle de sport, nourriture à volonté, espace de détente, etc. Est-ce une réponse à la Qualité de vie au travail ?

C'est sans doute attractif, mais ce n'est pas le cœur du problème. Ce n'est pas suffisant si l'on ne s'attaque pas aux sources de dysfonctionnements : organisation, relations sociales, formes de dialogues.

Tout de même, depuis longtemps, des entreprises s'appliquent à mettre en œuvre des dispositifs afin de favoriser la qualité de vie au travail en leur sein. Des concepts tels que le lean management (plus ancien), ou l'entreprise libérée (plus récent) sont apparus avec leurs avantages et inconvénients. Existe-t-il pourtant un concept unique adaptable à toutes les entreprises ?

Nombreuses sont les démarches - positives - conduites autour de l'autonomie et de la responsabilisation du salarié. Dans tous les cas, les démarches qualité de vie au travail consistent à progresser sur les aspects qui, dans une entreprise donnée, contribuent aux yeux de la direction, des managers, des salariés à la qualité de vie au travail. Ceci étant, la recette miracle n'existe pas. La seule serait sans doute de savoir mieux savoir se parler et s'écouter.

Cette approche du dialogue freine encore les dirigeants et managers, pourquoi ?

Le terme "Qualité de vie au travail" peut encore être vague pour des patrons. Certains se concentrent d'abord sur la vie de leur entreprise et sa pérennité : "Cherchons d'abord à être efficaces et travaillons", pensent-ils. Ils ne font pas le lien entre la QVT et des possibilités de réduire les difficultés de l'entreprise. D'autres craignent, en favorisant le dialogue interne, d'ouvrir la boîte de Pandore. C'est une erreur ! C'est parce qu'il n'y a pas ce dialogue autour du travail, qu'aucune solution pertinente n'est trouvée.

De quelle manière un patron pourrait-il appliquer la QVT ?

La QVT peut véritablement s'appliquer si le dirigeant est moteur, sensible à cette question et y croit. La démarche peut être déployée à plusieurs moments de la vie de l'entreprise, dès lors qu'il s'interroge sur son avenir : à l'occasion d'un nouveau projet global, d'une phase de renouvellement des pratiques RH.

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Patrons et dirigeants doivent faire évoluer leur manière de manager, de déléguer, et de transmettre. Mais faut-il aussi que la "Qualité de vie au travail" soit une dimension enseignée dans les grandes écoles de commerce, de management, et les universités ?

Je le crois. Dans les formations de managers, il est important que cette notion soit prise en compte ainsi que le fonctionnement social de l'entreprise. Ce qui n'est pas encore le cas. Notre association participe actuellement à un projet régional partenarial baptisé "Santé, performance et qualité de vie au travail", associant la Carsat, Thésame, la Direccte, et la Région. L'un des chantiers, piloté par l'Ecam, vise précisément à améliorer la formation des ingénieurs et managers dans ce sens. La volonté est donc de créer un mouvement, pour que d'autres l'intègrent afin d'aller encore plus loin sur cette problématique.

La "Qualité de vie au travail" est-elle l'émanation de la "Responsabilité sociétale des entreprises" (RSE)  - "concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales, et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base volontaire" ?

Nombreuses entreprises disposent encore d'un service RSE et appliquent différentes mesures. Il s'agit d'une approche globale prenant en compte les parties internes et externes de l'entreprise.

Mais aujourd'hui, il est vrai que nous en parlons beaucoup moins. Ce que l'on constate cependant à l'épreuve de la pratique, c'est que les dimensions "développement durable", "droits de l'homme", "relations avec les consommateurs"des politiques qu'elles mettent en oeuvre sont souvent plus mobilisatrices que les dimensions "conditions et relations de travail". La QVT est une évolution, elle ne remplace pas la RSE mais elle peut la compléter sur ces aspects.

La QVT, est-ce aussi une mesure afin de redonner du plaisir à travailler, et du sens au travail ?

Bien entendu même s'il ne faut pas imaginer que nous sommes dans un monde de Bisounours. La QVT permet de développer conjointement l'épanouissement, le plaisir dans le travail et les performances de l'entreprise. De passer de cette vision négative à une vision plus positive. Une vision que les salariés pouvaient ressentir auparavant par la culture d'entreprise.

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