Rossignol : Tout schuss sur le textile

Bruno Cercley, Pdg de Rossignol, met en avant la bonne santé financière du groupe qui, avec 240 millions d’euros de CA, est le leader mondial du matériel de ski. Pour le dirigeant, cette réussite s’explique par le caractère innovant de l'entreprise installée dans l'Isère. Mais pour rester n° 1 mondial, Rossignol compte sur un développement sur les marchés émergents (Russie et l’Asie). Surtout, l'équipementier sportif développe une importante stratégie de diversification, avec la création d'une filière de prêt-à-porter de luxe et le rachat de Time, spécialiste du cycle, afin d'assurer au groupe un plus grand équilibre entre les saisons.
Le patron de Rossignol espère atteindre un chiffre d'affaires de 270 millions d'euros d'ici trois ans.

ACTEURS DE L'ÉCONOMIE- LA TRIBUNE. Comment appréhendez-vous cette saison d'hiver, sachant que les premières neiges ont été longues à arriver ?

BRUNO CERCLEY. Il existe deux options. Soit vous devenez fous, soit vous abordez le sujet calmement, comme on le fait depuis des années. Certes, ce n'est pas un bon démarrage de saison, mais tout reste possible. L'an dernier également, la neige est arrivée tardivement, mais nous avons tout de même réalisé une saison correcte.

L'expérience de ce type de situation nous permet de prendre moins de risque. Nous n'avons pas, ou quasiment pas, de stock. Pour Rossignol, la situation actuelle n'a pas tant d'importance dans la mesure où les magasins sont déjà achalandés. Les conséquences interviendraient dès lors, la saison prochaine, lorsque les détaillants feront le point sur leur stock en fin de saison. Pour le moment, il n'y a rien d'alarmant.

Quels sont les chiffres clés du groupe ?

Aujourd'hui, Rossignol emploie 1 200 personnes pour un chiffre d'affaires de 240 millions d'euros. Lors du dernier exercice, nous avons enregistré une croissance de 8%, alors que le marché mondial était en recul de 5%. Avec 23% de parts de marché, l'entreprise est le leader mondial dans le domaine du ski. Et avec 17% de parts de marché, nous sommes le deuxième fabricant mondial de chaussures alpines.

Rossignol est un groupe industriel. Nous maîtrisons nos productions avec quatre sites dédiés répartis en France, en Italie et en Espagne. Une partie de notre production est sous-traitée en Europe de l'Est, ainsi que, pour une petite part, en Chine, mais de moins en moins. Cette production mondiale nous permet d'avoir une bonne vision sur les avantages de fabriquer tel ou tel produit en France ou dans un autre pays.

Cette souplesse de production est un avantage pour l'entreprise. Elle permet de mettre rapidement de nouveaux produits sur le marché. La forte croissance que nous enregistrons est en grande partie liée à cette flexibilité. Parmi les autres piliers de notre réussite figurent aussi la passion de nos équipes et les résultats sportifs en compétition.

Bruno Cercley

L'entreprise iséroise emploie 1200 personnes et réalise un CA de 240 millions d'euros. Crédits : EF/ADE

Dans ce contexte, quelles sont les prévisions et les perspectives de croissance de Rossignol ?

Nous prenons le parti de conserver cette croissance. Ainsi, d'ici trois à quatre ans, nous pourrions atteindre 260 ou 270 millions d'euros de chiffres d'affaires. C'est éventuellement la bonne taille pour l'entreprise. Précisons que notre stratégie ne s'inscrit pas dans la volonté de prendre des parts à tout prix sur n'importe quel marché.

Mais il est clair qu'il nous reste encore une marge de progression en ski, en chaussures, en accessoires, en snowboard, etc. Il subsiste des secteurs sur lesquels s'exprimer et nous sommes focalisés sur ceux-là.

Lors du Before Winter qui s'est tenu à Chambéry, fin novembre, vous avez insisté sur le fait qu'avec une baisse des charges salariales, Rossignol pourrait encore augmenter ses résultats. Quel message souhaitiez-vous faire passer exactement ?

Les charges constituent aujourd'hui une question fondamentale pour la compétitivité des entreprises. Je nourris une conviction profonde : si demain les charges sur les salaires baissent de 20% , le problème du chômage peut être résolu en France. C'est aussi simple que ça.

Certes se pose la question de la dépense publique, pour laquelle il faut bien sûr atteindre des équilibres. Mais quand vous vous retrouvez face à des concurrents qui n'ont pas les mêmes problèmes, il ne faut pas s'attendre à être leader. Je voyage beaucoup. Toutes ces expériences renforcent ma certitude que nous avons le plus beau pays du monde. Mais bon sang, qu'on nous aide un tout petit peu !

Vous abordez la question de la concurrence internationale. Sur quels marchés stratégiques l'entreprise peut-elle se positionner pour assurer son développement ?

Dans notre secteur, celui du sport d'hiver, trois grands pays pèsent la moitié du marché mondial : la France, les États-Unis et l'Autriche. Ils représentent près de la moitié du nombre total de journées-skieurs, évaluées à 320 millions par an.

Sur ces trois terrains de jeu, l'objectif est de conforter nos positions. À titre d'exemple, Rossignol réalise actuellement 25% de son activité en France, avec notamment 55% de parts de marché pour les skis. Là, il sera difficile de faire mieux.

Il nous faut ensuite poursuivre notre développement en Suisse, en Italie, au Japon, au Canada et en Scandinavie. Dans ces pays, je pense que nous avons encore des réserves de croissance. Restent la Russie, la Chine et l'Asie en général, qui constituent les pays en devenir. Avec les Jeux olympiques de 2018 et de 2022, la Corée du Sud et la Chine vont s'ouvrir à la pratique des sports d'hiver. Cela prendra quelques années, mais les Asiatiques vont adopter ces disciplines. Et nous serons là !

Bruno Cercley

 Bruno Cercley souhaite poursuivre le développement du groupe sur les marchés émergents. Crédits : EF/ADE

Pour prendre des parts de marché, il faut notamment innover. Quelle est la place de la R&D chez Rossignol ?

Ingénieur de formation, j'estime que le produit est au centre de tout. La R&D est présente dans l'ADN de Rossignol depuis toujours. Désormais, dans cette nouvelle compétition, le travail consiste à relier la recherche avec l'usage final et le marketing. Nous nous employons à nous différencier à chaque nouveau produit. C'est exactement dans ce sens que nous avons récemment noué un partenariat avec le CEA Tech de Grenoble. Pour nous, ce contrat de cinq ans est fabuleux.

Lire aussi : Rossignol signe avec CEA Tech pour cinq ans

Même si une partie de notre stratégie est orientée vers l'innovation, nous ne sommes pas pour autant dans une logique de renouvellement global de nos gammes à chaque saison. Annuellement, un tiers est concerné par des évolutions, qui peuvent prendre la forme de ruptures fortes ou uniquement de restyling.

Votre stratégie de développement passe également par une diversification de vos activités, avec la création de votre filiale de textile urbain de luxe Rossignol Apparel, mais aussi en optant pour de la croissance externe avec l'acquisition en cours de l'entreprise Time, spécialisée dans le cycle. Quels sont vos objectifs derrière ces décisions ?

Le spectre de notre activité doit englober l'ensemble des activités outdoor. L'activité vélo s'inscrit dans cette équation. Mais il s'agit aussi de répondre à la contrainte de la saisonnalité. Actuellement, nous réalisons l'ensemble de notre chiffre d'affaires sur quatre mois. Le rachat de Time doit nous permettre d'assurer une activité également l'été. Le groupe sera ainsi plus équilibré entre les saisons, présentera davantage de cohérence.

Time réalise près de 12 millions d'euros de chiffre d'affaires. Cette entreprise fabrique ses cadres de vélos en France et en Europe selon un procédé original. Elle s'inscrit dans la même logique que Rossignol. À savoir, maîtriser l'industrialisation. J'aime l'idée de produire dans notre territoire. Le rachat de Time n'est pas encore officiel, mais devrait l'être d'ici à fin février. Il nous devrait nous faire gagner en équilibre.

Lire aussi : Rossignol souhaite racheter Time

Au-delà de cette cohérence industrielle, les différentes activités d'été et d'hiver peuvent engendrer des synergies au sein de l'entreprise, notamment dans la distribution, la commercialisation, la R&D. À titre d'exemple, je rappelle que c'est la fixation de ski qui a engendré la pédale automatique de vélo.

Rossignol

Pour le Pdg de Rossignol, l'un des piliers de la réussite de l'entreprise réside dans "la passion de (ses) équipes." Crédits : EF/ADE

D'autres diversifications dans les sports estivaux sont-elles à prévoir ?

De nombreuses possibilités sont envisagées, comme la pêche, les sports d'eau, etc. Mais il faut que nous soyons légitimes. L'idée n'est pas de se lancer à tout prix sur de nombreuses activités, s'il n'existe pas de synergies. La Scandinavie propose du ski, du vélo et de la pêche. Voilà une vraie synergie. Nous allons commencer par le vélo...

Et concernant la création de la filiale Apparel ?

Pour ce qui est de Rossignol Apparel, c'est différent. Il s'agit de la création d'une filiale. Notre marque crée des vêtements depuis longtemps, mais ils étaient réservés à la pratique du sport. Se contenter aujourd'hui d'apposer notre logo uniquement sur des vêtements de ski, c'est un peu réducteur. Notre idée est donc de proposer au consommateur des produits pour la ville (chemise, pull, jean, etc.) tout au long de l'année, inspirés de l'histoire de Rossignol, avec des matières techniques de très grandes qualités.

Actuellement, le textile ne représente que 10% de notre activité mais, à terme, il représentera plus que le matériel. Dans les quatre ans, je pense que l'on peut déjà atteindre la barre des 40 millions d'euros de CA.

Cette nouvelle aventure sera abordée avec prudence, car l'enjeu majeur est de convaincre au-delà de l'univers de la montagne. Pour réussir dans ce domaine, nous avons décidé d'ancrer cette filiale à Milan, au cœur du Corso Venezia. Un showroom, ainsi que nos équipes créatrices, y seront installés. Cinq boutiques en stations (Chamonix, Megève, Courmayeur, Cortina d'Ampezzo, Crans-Montana et Saint-Moritz) seront également ouvertes, avant de s'enraciner en ville.

Les premières collections sortiront l'hiver prochain. La présentation de la ligne est cependant prévue dès le mois de janvier, lors de la fashion week de Paris.

Rossignol est également novateur dans le digital et les objets connectés. Quelle est la part du numérique dans la stratégie globale de l'entreprise ?

C'est un axe fondamental de notre stratégie. Hier, notre travail était de vendre nos produits aux détaillants. Aujourd'hui, il consiste à aider le commerçant à écouler nos produits. Notre mission est centrale : nous devons persuader le consommateur d'acheter des skis Rossignol, Dynastar ou des chaussures Lange, dans un contexte de forte concurrence.

Pour y parvenir, il faut créer une connexion importante entre nos marques, nos produits et nos consommateurs. Si nous y parvenons, nous facilitons le travail du revendeur. Cette alchimie passe par la création de contenus pour le consommateur. Pour réaliser ce dessein, et fonder une communauté active, le numérique, les réseaux sociaux sont des outils essentiels. C'est ce que nous faisons au quotidien avec nos différentes applications. L'autre vecteur important dans cette réussite est la présence en ligne de nos champions, qui relaient les informations et contribuent à ce phénomène communautaire.

Bruno Cercley

 Les champions sponsorisés par Rossignol sont des relais de communication essentiels. Crédits: EF/ADE.

 La problématique du réchauffement climatique fait-elle partie de vos préoccupations ? Explique-t-elle en partie votre stratégie de diversification ?

Le climat et son évolution nous font réagir. On ne peut pas travailler dans le domaine des sports d'hiver sans s'interroger sur ce phénomène. À Chamonix, la Mer de Glace a perdu plus de 100 mètres d'épaisseur en 20 ans. Sur leurs montagnes, les Autrichiens couvrent les glaciers avec des couvertures géantes pour sauver ce qui peut l'être.

Le réchauffement affecte les stations de manière très claire, et il faut s'en préoccuper. Je faisais partie d'un panel lors de la Cop 21, ce qui m'a permis de constater que les gens sont conscients des problèmes. Alors, est-ce que ce phénomène nous questionne ? Oui. Est-ce que c'est la raison pour laquelle nous diversifions nos activités hors sport d'hiver ? Non. Sans même parler du climat, avoir une activité saisonnière reste problématique. La vraie motivation est de trouver un point d'équilibre entre l'hiver et l'été. Le réchauffement climatique ne fait que renforcer cette opinion, mais ce n'est pas l'élément déclencheur, car les gens continuent de skier en France et dans le monde.

Rossignol songe-t-il à une entrée en bourse afin d'accompagner son développement ?

Non. Nous sommes très prudents sur ce sujet. Nous cherchons d'abord à capitaliser sur nos acquis et notre croissance que nous voulons progressive, maîtrisée et autofinancée, notamment dans le cadre d'Apparel. Dans ce ce cas précis, les actionnaires financent eux-mêmes cette nouvelle activité, mais de manière mesurée. Sur la partie acquisition, les actionnaires jouent là aussi leur rôle, avec l'aide des banques. L'idée n'est pas d'aller chercher des capitaux extérieurs.

Rossignol

Le groupe Rossignol commercialise également les gammes Dynastar, Lange ou Look. Crédits : EF/ADE

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Commentaire 1
à écrit le 08/01/2016 à 14:42
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exercice clos au 31 mars 2005 : 217,9 millions pertes : 2,5 millions sinon, pour un journal économique, c'est bien ce que vous dites

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