Michel Delpuech : "Rhône-Alpes ne s'affaiblit pas en accueillant l'Auvergne"

Six mois après sa nomination comme préfet de la région Rhône-Alpes, Michel Delpuech revient sur les grands dossiers de la rentrée, de Renault-Trucks à la fusion avec l'Auvergne et la réorganisation des services de l’État. En pointe lors du bras de fer avec UberPop, Michel Delpuech ne regrette pas l'approche qu'il a eu du dossier. Le préfet s'est donné, par ailleurs, comme ligne de conduite de "faciliter la vie des entreprises".

Acteurs de l'économie-La Tribune : Comme préfet "préfigurateur" dans le cadre de la réforme territoriale, vous avez notamment en charge la réorganisation des services de l'État pour la fusion Auvergne et Rhône-Alpes. Par ailleurs, vous êtes originaire du Cantal, alors selon vous que peut apporter l'Auvergne à Rhône-Alpes et inversement ?

Michel Delpuech : Lyon est désormais au centre d'un territoire, cela va muscler la métropole à l'ouest. Par ailleurs, l'agglomération clermontoise est une agglomération dynamique, par son tissu économique et ses entreprises. Je rappelle que la plus grande entreprise de la région sera Michelin, avec son siège et son centre de recherche et de développement à Clermont-Ferrand. Il y a aussi des sociétés et des entreprises de chimie, de pharmacie, d'aéronautique. L'agroalimentaire est également très présent. Il y a de très nombreuses complémentarités.

Rhône-Alpes ne s'affaiblit pas en accueillant l'Auvergne. Le pôle clermontois est un atout supplémentaire au côté de Grenoble, de Saint-Étienne ou des Savoies. Pour les acteurs économiques auvergnats, c'est une évidence.

Moins du côté rhônalpin ?

Peut-être, oui, notamment du côté d'Annecy ou Chambéry, certains ont peur que l'on pense trop à l'Auvergne et moins aux Savoies. Les acteurs économiques cantaliens, en revanche, comprennent très bien l'intérêt d'être rattaché à Lyon et les opportunités nouvelles que cela peut leur apporter. Alors oui, ils se disent comment je vais venir à Lyon. Ils vont réfléchir à des navettes aériennes dont les coûts peuvent être partagés.

Michel Delpuech

Comment va se traduire cette réorganisation pour l'administration au 1er janvier 2016 ?

Il y aura une administration régionale de l'État sur le nouveau grand territoire Auvergne et Rhône-Alpes : un préfet de région, des préfets de départements et les grandes directions de l'administration, DRAC, DREAL, ARS, etc. Les trois académies sont maintenues, mais avec avec une nouveauté : la création des régions académiques. Un recteur de région académique sera ainsi l'interlocuteur unique vis-à-vis du préfet de région et du président de région.

Sans surprise, Lyon a été choisie comme capitale de la future grande région et accueillera la majorité des directions des services de l'État. Mais n'y a-t-il pas un risque de centralisation à l'échelle de ce nouveau territoire ?

Tous les moyens ne vont pas être rapatriés à Lyon. Nous sommes dans une logique de multi-sites fonctionnels. Nous allons mettre en œuvre des pôles fonctionnels et compétents pour la totalité de la future région. Par exemple, on va placer à Clermont-Ferrand, la direction de l'Agriculture (DRAAF) qui sera compétente sur la totalité du territoire.

Le niveau régional de l'État, c'est la stratégie, la cohérence, la cohésion. Le niveau départemental, c'est la mise en œuvre, la proximité avec les élus et les acteurs de terrain. J'insiste sur cette notion de proximité qui apparaît comme une nécessité. Nous avons à la fois des régions plus vastes, plus puissantes et en même temps, l'État réaffirme sa volonté d'être présent dans la proximité, au niveau du département autour des préfets, sur lesquels je vais beaucoup m'appuyer.

Cela implique de revoir les façons de travailler. La visioconférence sera nécessairement plus utilisée. On ne va pas travailler demain comme on le fait avec la région actuelle, la nouvelle région est trop grande pour cela. D'ici la fin de l'année, nous allons affiner cette organisation, et ensuite, il y a aura un temps d'adaptation avec la formation de fonctionnaires à de nouveaux métiers. Il faut également voir l'accompagnement social. Cela prendra peut-être un ou deux ans. L'objectif étant que tout soit effectif au plus tard 2018.

René Souchon, président de la région Auvergne, estimait sur notre site, qu'il n'y aurait pas, avec la réforme, d'économies d'échelle à attendre pour la collectivité avant plusieurs années. L'État est-il plus optimiste pour ses services et ses finances ?

La réforme mise en œuvre va générer d'elle-même des économies immédiatement puisque des doublons vont apparaitre. Un nouveau service créé ne doit pas être la somme des deux services existants. Mais les fonctionnaires ne seront pas perdus, ils iront vers d'autres taches. Nous estimons que, toutes directions confondues, ce sera 10 % d'économie mécanique au niveau régional de l'État.

Michel Delpuech

Pourtant avec cette nouvelle région, dans l'esprit du grand public, Aurillac-Lyon ou Annecy-Moulins ce n'est pas très parlant...

Si l'on regarde au niveau national, le rapprochement entre Auvergne et Rhône-Alpes était sans doute le plus facile. La zone de défense sud-est, c'est Auvergne et Rhône-Alpes. Le cancéropole, c'est Clermont-Ferrand et Lyon, les rectorats travaillaient aussi en bonne intelligence.

Le véritable enjeu, et les Régions devront être très attentives sur ce point, c'est un enjeu d'équilibre du territoire entre les métropoles et le reste des territoires. La loi conforte les métropoles et donne aussi aux régions des compétences élargies pour en faire des locomotives économiques. Dans le même temps, il ne faut pas que le développement se fasse seulement dans les métropoles.

Comment voyez-vous cette rentrée sur le plan économique ?

Incontestablement, nous sommes dans une phase de redressement, avec une conjonction de facteurs favorables, comme la baisse des prix du pétrole. Le CICE, ce n'est pas un effet secondaire. L'année II du CICE représentera un montant d'un 1,6 milliard d'euros pour les entreprises rhônalpines. De ce point de vue, nous avons un faisceau de données qui permet d'être plus optimiste, mais cela reste fragile et nos concitoyens attendent maintenant que cela se traduise au niveau de l'emploi.

Ma ligne de conduite, c'est de faciliter la vie des entreprises, notamment pour les procédures quand il y a des développements à faire, de nouveaux bâtiments, des équipements, créer une nouvelle ligne de production, etc. Derrière, il y a des autorisations à obtenir, il y a des normes à respecter : santé, environnement, sécurité, les gens le comprennent très bien. Ce que les dirigeants ne comprennent pas, c'est l'instabilité des normes et l'absence de visibilité. Notre devoir, en mode projet, c'est de recevoir le chef d'entreprise, de mettre les services de l'État concernés autour d'une table pour l'aider à concrétiser son projet.

Sur le plan de l'emploi chez Renault Trucks, la pilule du plan social est encore amère...

L'objectif, c'est zéro licenciement sec. C'est ce que l'on a demandé aux dirigeants de Renault Trucks. Ils ont encore un peu d'efforts à faire. On me dit aujourd'hui que ce serait peut-être de 30 à 50 licenciements, nous demandons encore un effort pour atteindre zéro licenciement contraint. Mais sur Renault Trucks, il y a une autre question qui se pose et qui ne se réglera pas localement. Quelle est la stratégie du groupe à moyen terme ? Les propos tenus par les dirigeants de Volvo avec le ministre de l'Économie Emmanuel Macron étaient plutôt rassurants, mais j'espère que cela va se concrétiser autour du futur directeur général. Sur ce dossier, nous restons extrêmement vigilants.

Un dossier, particulièrement complexe, dans lequel les services de l'État ont été très impliqués, celui de Cenntro Motors-Ex SITL, rien n'a bougé sur le plan industriel. Êtes-vous surpris ?

C'est un dossier quand même bizarre. La reprise s'est faite sur une base d'une activité et il ne s'est rien passé. De fait dans les mois qui ont suivi, c'est l'État qui a payé les salariés via le fond partiel. On finit par se demander si le business model (reprise des salariés et développement des véhicules électriques) qui avait été présenté devant le tribunal de commerce était crédible. Je me suis posé la question de la réalité du projet industriel. On monte une reprise et puis il ne se passe rien. Dans l'immédiat, on n'en est pas à la remise en cause. Pour le moment, la priorité reste de mettre en œuvre le projet de départ en espérant que cela se concrétise désormais.

Michel Delpuech

Deux mois après la suspension de l'application, quel bilan tirez vous de cette affaire UberPop à Lyon ?

Je ne regrette pas l'approche que j'ai eue sur ce dossier. J'avais pris un arrêté déjà à Bordeaux sur des motifs d'ordre public. C'est justifié, quand vous avez des agressions la nuit. Quand j'ai pris l'arrêté dans le Rhône, la situation le nécessitait car le ton montait.

Des technologies nouvelles apparaissent et il n'est pas question de les remettre en cause. Il y a ainsi des modes de comportements qui se développent à partir de là, des modèles économiques, des modèles sociétaux, et cela non plus, on ne peut le remettre en cause.

Le grand sujet, c'est comment adapter notre corpus juridique et social à ces activités nouvelles. On ne peut pas accepter qu'une activité se développe hors la loi, alors que pour la même activité le prestataire d'à côté, quels que soit ses défauts, est tenu à des obligations : obtenir une licence, payer des impôts, des charges, etc. La vraie question, c'est comment ces activités peuvent se développer dans un mode régulé, qui contribue à notre conception de notre modèle social. Sinon, c'est la loi de la jungle.

On a tout entendu sur UberPop, querelle des anciens contre les modernes...

Oui, mais qui paie la TVA, qui paie les charges ? Très vite, on est rattrapé par un besoin de régulation. Sinon vous faites cela pour tous les sujets, comme la garde d'enfants. Alors d'un côté, on exigera d'assistantes maternelles qu'elles aient tels diplômes, telles normes, et de l'autre, on fait ce qu'on veut ? Est-ce qu'on peut tout laisser faire hors la loi ?

Si vous mettez 3,5 milliards d'euros sur la table, vous pouvez régler la question des taxis. C'est le montant de la valorisation des licences au niveau national. Une personne qui a investi pour pouvoir travailler, qui a mis de l'argent et qui espère, quand il va s'arrêter, se faire un petit pécule en revendant sa licence, vous ne pouvez pas le spolier. Cette profession doit se moderniser, doit faire des efforts, doit respecter la loi, par exemple il n'est pas normal qu'il n'y ait pas de terminaux CB dans tous les taxis, mais pour autant, vous ne pouvez pas imposer à une activité un cadre et dans le même temps laisser d'autres faire leurs normes sur la même activité. Il faut un traitement égal.

Où en est-on depuis l'attentat de St-Quentin-Fallavier sur la sécurité des sites Séveso ?

Après ce drame et les incendies de l'Etang de Berre, nous avons mis en œuvre un dispositif immédiat de riposte avec des patrouilles. Par ailleurs, tous les sites Seveso de la région feront l'objet d'une inspection d'ici la fin de l'année pour vérifier que les plans d'intervention sont à jour. Mais, derrière il y a une question de fond. La prise en compte du risque Seveso est née après un accident industriel. Tout a été conçu pour prévenir le risque industriel, on n'a pas forcément le corpus totalement adapté sur le plan de la sûreté.

La réflexion s'engage désormais pour que la prise en compte des sites Seveso ne se fasse pas seulement au niveau du risque industriel, de la santé ou de l'environnement. Nous devons renforcer la dimension de la sûreté pour la prévention des intrusions et des attentats. Les textes doivent évoluer notamment en ce qui concerne l'habilitation des intervenants extérieurs sur ces sites.

L'attaque avortée dans le Thalys a mis en évidence la question de la sécurité dans les trains, les TGV, comme les TER. Comment sécuriser les trains?

La présence humaine a ses limites. Il y a un travail étroit et de qualité entre la PAF et les services de sécurité de la SNCF pour multiplier les patrouilles. Il faut aussi systématiser la vidéo dans les gares, les rames, cela permet de renforcer la dissuasion, et s'il se passe quelque chose, fait avancer les investigations. Je ne demande pas mieux que les collectivités territoriales s'engagent dans cette voie. L'État est mobilisé au maximum, mais on ne peut pas imaginer une patrouille dans chaque rame ni dans chaque wagon.

Michel Delpuech

Face à la crise agricole, quels moyens l'État va déployer pour venir en aide aux agriculteurs ?

Ce qu'attendent les agriculteurs, c'est que leur travail soit justement rémunéré. On a actuellement une triple crise : de l'élevage laitier, de l'élevage porcin et de l'élevage bovin. Il y a une chute des cours, avec une consommation qui baisse également et surtout un problème de compétitivité des exploitations. Le 7 septembre, un Conseil européen se tiendra sur les questions agricoles pour aborder les problèmes de fond. Il faut aller vers des politiques qui permettent de faire remonter les cours en faisant jouer les mécanismes d'intervention sur les marchés. C'est ce que tente d'obtenir le ministre de l'Agriculture auprès des partenaires européens.

Dans l'immédiat, un plan de soutien à l'élevage a été mis en place. Il s'organise avec des cellules départementales qui étudient les cas les plus difficiles, pour mobiliser des crédits d'État, le fonds d'amortissement de charge. On a déjà reçu 4,2 millions d'euros. Concrètement, cela se traduit pour les agriculteurs par des étalements de cotisations MSA, éventuellement des reports de cotisations fiscales. C'est de l'aide conjoncturelle pour alléger les trésoreries.

Sur le plan des infrastructures où en est le dossier de l'A45 ?

La procédure est prolongée huit mois pour permettre aux collectivités de la Loire de s'organiser pour le financement. L'infrastructure va coûter environ 1,2 milliard d'euros, si vous faites porter cela par les simples péages cela ne fonctionnera jamais. Où les péages seront raisonnables et l'amortissement ne se fera pas, ou bien les prix seront tels que personne n'ira sur cette autoroute. Le modèle ne fonctionne qu'avec une contribution publique importante de l'ordre de 842 millions d'euros. L'État est prêt à prendre la moitié, aux collectivités d'en prendre l'autre moitié. Lors de ma visite dans la Loire, j'ai été frappé par la volonté farouche des élus ligériens de mettre l'argent nécessaire sur la table.

Mais le président du Conseil départemental du Rhône, Christophe Guilloteau est un opposant au projet, ça ne pose pas un problème d'avoir un tel hiatus entre deux territoires que cette autoroute doit relier ?

Bien sûr que cela pose un problème, mais l'État est au-dessus de ça et la procédure est engagée pour le choix du concessionnaire et se poursuit.

Le président de la Métropole de Lyon, Gérard Collomb a évoqué des pistes pour un grand contournement de Lyon par l'est. L'idée serait de reporter au plus loin le trafic de transit à partir de l'A432, puis l'A43 à quatre voies jusqu'à Saint-Priest et l'A46 sud ?

Effectivement, ASF a été mandatée pour un passage à trois voies de l'A46 sud, en prenant en compte la problématique des nœuds de Ternay et de Manissieux à Saint-Priest.

Parallèlement, avec la Métropole de Lyon, nous allons lancer une étude conjointe pour voir la faisabilité qui imposerait un péage de transit à Lyon via le tunnel de Fourvière, de manière à faciliter le choix de l'itinéraire en rééquilibrant la question tarifaire, puisqu'actuellement cela coûte plus cher de contourner Lyon. Techniquement, cela ne poserait pas trop de problèmes, la difficulté portera davantage sur les aspects juridiques.

Michel Delpuech

Le calendrier de la privatisations de l'aéroport Saint-Exupéry est engagé, les acteurs économiques demandent toujours l'ouverture de droits au trafic pour de nouvelles compagnies étrangères. Air France continue de réduire son offre sur Lyon, est-ce qu'il n'apparaît pas légitime que l'État accorde des droits à des compagnies aériennes même étrangères, mais qui font vivre cette plateforme ?

Le dossier est plus complexe et c'est une réflexion qui mérite de se tenir au niveau européen. Que ce soit à Londres, Paris ou Francfort, la montée en puissance des compagnies du Golfe fait perdre à vitesse accélérée des parts de trafic aux compagnies européennes, notamment Air France, Lufthansa et British Airways. Depuis l'Europe, les compagnies du Golfe alimentent leurs hubs vers l'Asie, l'Australie, etc. La part de marché des compagnies du Golfe vers l'Asie Pacifique a cru de 22 à 34 % alors que dans le même temps celle des compagnies européennes a reculé de 38 à 27 %.

C'est une situation qui préoccupe la Commission européenne. Cela dépasse le dossier lyonnais, même après la privatisation de l'aéroport ce problème persistera.

Quand Genève se dit intéressée par Lyon-St Ex qu'en pensez-vous ?

Ce n'est pas nécessairement une mauvaise idée. Je pense qu'il y a matière à rechercher des complémentarités avec Genève qui a de fortes contraintes d'environnement et d'infrastructures, contrairement à Lyon.

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Commentaires 4
à écrit le 05/09/2015 à 17:10
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Cher PatrBoud , Heureusement qu'il existe pour les professionnels de la finance des sources infiniment plus fiables que les ébauches d'articles de Wikipédia, comme Euronext, Bloomberg ou Boursorama, entre autres !!! Et puisque la composition de l...

à écrit le 03/09/2015 à 20:04
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Le préfet va devoir revoir ses fiches : la plus grande entreprise de la nouvelle région restera Casino (siège à Saint-Etienne) avec un CA consolidé de 48,5 Md€ en 2014 et 335 000 salariés, contre un CA de 19,5 Md€ et un peu moins de 112 000 salariés...

le 05/09/2015 à 14:55
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bonnes infos de Wikipédia.... sauf que le groupe FINATIS (Rallye) propriétaire majoritaire avec 49% de Casino est situé à .... PARIS.... cordialement

à écrit le 03/09/2015 à 17:15
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Beau discours parfaitement en ligne avec ce que sont ces "hauts" fonctionnaires, produits de l'ENA qui tiennent l' ETAT, comme le chiendent tient le mur... Hommes politiques (de gauche ou de droite), membres des cabinets ministériels (de gauche comm...

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