Tony Meloto : "Créer les conditions d’un capitalisme éclairé"

Ancien cadre chez Procter et Gamble, Antonio Meloto a fondé l’ONG Gawad Kalinga en 2003 afin d’éradiquer l’extrême pauvreté aux Philippines. Son modèle repose sur un triptyque : esprit d'entreprise, partage de règles de vie communes et solidarité. Son but : sortir 5 millions de Philippins de la pauvreté d’ici à 2024. Une utopie ? Non, un modèle de développement économique. Acteurs de l'économie-La Tribune l'a rencontré lors de son passage à Lyon.
Tony Meloto, fondateur de l'ONG Gawad Kalinga.

Pourquoi avoir créé la fondation Gawad Kalinga ( "prendre soin " en tagalog, langue ayant servi à la création du filipino, ndlr) ?

Alors que j'occupais un poste à responsabilités dans une grande multinationale (Procter et Gamble, ndlr), j'ai réalisé qu'accéder à tout ce que je souhaitais n'avait pas de réelle valeur. Au contraire, il m'est apparu indispensable de partager ce que j'avais, afin de rendre le monde meilleur, y compris pour tous ceux qui me sont chers.

J'aime évoquer ma "crise de milieu de vie". J'ai acquis la certitude qu'il était artificiel de demeurer dans une bulle de confort et de sécurité, insensible au devenir du monde, à la pauvreté croissante et à la misère, arc-bouté sur ses privilèges de classes. Il est impératif de considérer l'autre comme partie intégrante de sa famille, au-delà de sa famille biologique. À cette unique condition, nous pourrons assurer à nos enfants un avenir durable.

Quel est but de cette fondation ?

La stratégie de Gawad Kalinga (GK), dont la mission est d'éradiquer la pauvreté aux Philippines, repose sur le miracle de la solidarité et sur la fondation d'une économie solidaire. Il s'agit d'amener les organisations non gouvernementales, telle GK, à travailler avec le gouvernement, les simples citoyens avec des grandes multinationales, les plus démunis avec les grandes universités. Nous voulons que les compétences et les ressources des plus riches profitent aussi aux plus faibles et aux plus pauvres. Nous cherchons à créer les conditions d'une situation gagnant-gagnant. Il est question de créer pas moins qu'un capitalisme éclairé. Afin de ne plus considérer les pauvres comme une charge ou une menace, mais comme une chance.

Pour vous, la première étape consiste à restaurer la dignité des pauvres.

La pauvreté, selon moi, passe par une restauration de la dignité de l'être humain. Elle est d'abord un problème comportemental, avant de constituer un problème économique. Les pauvres se trouvent dans un état perpétuel de survivance, ce qui les conduit à devenir des prédateurs et des mercenaires, a fortiori les hommes. De leur côté, les riches se placent d'eux-mêmes dans une situation d'oppresseurs. L'équilibre de notre monde s'en trouve menacé.

Si nous utilisons la richesse des plus aisés pour faire émerger la richesse enfouie des plus pauvres, alors nous parviendrons à un monde plus juste. Et il est de la responsabilité des riches de faire éclore les talents des plus pauvres. Et de converger vers l'excellence et le bien-être commun. Il faut cesser de considérer les pauvres comme un simple objet de charité. Eux-aussi regorgent de talents et de compétences. Il suffit de les faire s'exprimer.

Gawad Kalinga se présente comme une "plate-forme de convergence". Quels en sont les principes ?

Nous travaillons simultanément dans une double approche, à la fois "top-down" et "bottom-up". Notre but est de sortir le plus démunis de la pauvreté et de leur donner les moyens d'accéder à ce marché dont ils sont exclus. Le mouvement vient aussi du bas de la pyramide, et pas seulement d'en haut.

Pour de grandes multinationales, investir au profit des plus pauvres représente un intérêt. Car quand ils sortiront de leur condition misérable, les pauvres seront à leur tour en mesure de consommer. Et il est probable qu'ils se trouvent vers les marques qui les ont aidés à sortir de la pauvreté. C'est aussi pourquoi, par exemple, un groupe comme le constructeur automobile Hyundai s'est engagé à nos côtés.

GK défend une vision sociale de l'entrepreneuriat. Quelle en serait votre définition ?

Pour nous, cet entrepreneuriat social relève d'une nouvelle forme de capitalisme, un capitalisme éclairé, ce que Jacques Attali appelle l'économie positive, ce que que le Forum économique mondial désigne sous le vocable "économie responsable". Il s'agit de créer de la richesse, sans laisser personne pour compte, tout en respectant l'environnement.

Nous ne cherchons plus le profit maximum, mais bel et bien le profit optimum, qui participe de la création d'un progrès social et d'une prospérité durable. L'entrepreneuriat social est par essence une activité économique qui prend en compte l'humain et la vie. Il doit permettre d'allier compétence, bienveillance et profit.

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Tony Meloto, le 18 mai, au lycée Bellevue, qui apporte son soutien au projet GK.

Est-il possible selon vous de combiner entrepreneuriat social et logique de profit ?

On peut tout à la fois être leader sur un marché et viser le bien-être commun. L'efficience économique est tout à fait compatible avec une vision morale de l'économie qui permettre de mieux distribuer les richesses, de manière plus équitable. Le profit ne doit plus être seulement considéré en termes économiques. Il est essentiel de retenir et de lui préférer la notion de valeur : celle de l'être humain, celle de la nature, celle de la solidarité, celle de la paix.

Il ne faut pas diaboliser le monde des affaires. Son pouvoir est souvent, selon moi, bien supérieur à l'action politique des gouvernements, dont la durée de vie peut s'avérer très aléatoire. Les grandes compagnies multinationales survivent aux gouvernements qui se succèdent.

L'entrepreneuriat constitue selon vous un levier pour sortir de la pauvreté...

J'aime à dire qu'aux Philippines, nous avons les hommes et nous avons la terre, mais nous manquons d'entrepreneurs. C'est pourquoi Gawad Kalinga cherche à attirer des entrepreneurs étrangers pour que leur exemple serve aux Philippins. Notre système éducatif ne crée pas des entrepreneurs, bien au contraire il crée des demandeurs d'emploi qui cherchent un travail à l'étranger. Les plus brillants de nos étudiants sont attirés par les pays riches, où ils ne trouvent que des emplois temporaires. Il est essentiel que les Philippins redeviennent créateurs de richesses dans leur pays, pour que ces richesses profitent au plus grand nombre.

Le marché philippin constitue une réelle opportunité pour les prochaines générations d'entrepreneurs, c'est pourquoi GK travaille avec les plus grands réseaux d'écoles de commerce et d'universités, en France notamment. Le but est de faire considérer les Philippines comme un véritable marché en Asie, qui ne se résume pas au marché chinois. Les marchés émergents ne doivent pas être négligés. Ils constituent de nouveaux partenaires potentiels.

Cette vision globale du marché est-elle essentielle ?

Ce qui est essentiel, c'est de s'affranchir du niveau micro-économique pour atteindre le macro-économique. On ne résout pas de grands problèmes comme la pauvreté au niveau micro-économique. Or c'est une vision qui l'emporte encore aux Philippines dans le combat global contre la pauvreté.

La micro-finance, le micro-crédit sont des dispositifs qui aident les femmes, mais paradoxalement ne servent pas ou très peu les hommes. C'est une perte de capital humain et aussi un danger. Les hommes demeurent dans un état de pauvreté qui crée les conditions de la violence. Éradiquer la pauvreté, c'est aussi restaurer la paix.

Vient de paraître La richesse des pauvres -  L'extraordinaire expérience de Tony Meloto et de son ONG Gawad Kalinga, de Thomas Graham, éditions Rue de l'échiquier.19 €.

Retrouvez toutes les informations relatives au projet de construction de village Gawad Kalinga Lyon.

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