Jean-Yves Blay : "La transformation d'un cancer en maladie chronique est à portée de main"

Jean-Yves Blay a pris les rênes du centre anti-cancer Léon Bérard à Lyon en novembre 2014. Ce médecin et chercheur mondialement reconnu, va poursuivre la mutation de l’établissement, à la fois hôpital et pôle de recherche d’excellence en cancérologie. Sur le plan de la recherche, la médecine moléculaire et personnalisée est au cœur des nouveaux enjeux. Sur le plan hospitalier, la réorganisation est amorcée et la réduction du déficit a pris de l’avance.

Acteurs de l'économie : Vous lancez un appel aux dons pour réunir 3 millions d'euros, afin de finaliser l'installation d'équipes de recherche dans un nouveau bâtiment. Est-ce que cela veut donc dire que vos financements actuels sont insuffisants ?

Jean-Yves Blay : Ils sont insuffisants parce qu'on augmente notre activité de recherche, parce qu'on se développe. La médecine moléculaire en cancérologie est en train de prendre un essor phénoménal ces dernières années. En réalité, le soutien de nos financeurs habituels comme l'Arc, la Ligue, la FRM, l'Université Claude Bernard, n'est pas en défaut. Pour construire ce bâtiment, nous avons bénéficié de leur soutien ainsi que celui de la Région Rhône-Alpes. Nous avons également investi des fonds propres. Au total, le bâtiment Cheney B représente 15 millions d'euros d'investissements.

Les trois millions que nous recherchons sur trois ans, auprès d'entreprises et du grand public, sont destinés à équiper les trois étages encore vacants. Même si le contexte avait été idéal, nous aurions quand même initié cette démarche, car il s'agit d'aller vite. Avec les progrès dans le domaine de la médecine moléculaire, de la médecine personnalisée, nous avons besoin d'accélérer et de franchir une étape dans nos domaines de recherche.

Pourtant le centre Léon Bérard accusait un déficit de 11 millions d'euros. Où en est-on ?

Il faut rappeler que le CCLB est composé de deux entités distinctes. La partie hospitalière, qui elle était déficitaire d'environ 11 millions d'euros, et puis il y a la partie recherche, budgétairement indépendante. C'est elle qui est concernée par l'appel aux dons. Ce sont deux budgets totalement étanches. La levée de fonds actuelle ne servira pas à combler le déficit structurel de la partie hospitalière.Pour cela, nous avons mis en œuvre un plan de retour à l'équilibre Cap 2016 qui doit permettre un retour à l'équilibre à la fin 2016.

Jean-Yves Blay

Il s'agit d'optimiser nos organisations, d'être plus efficace avec les mêmes moyens. Par ailleurs, nous avons une capacité d'amélioration du service aux patients. Nous pouvons en traiter plus avec les outils et les plateaux techniques dont nous disposons. Ce plan se déroule avec même un peu d'avance sur les objectifs prévus. Une partie des efforts restent à faire même si on a fait la moitié du chemin. Actuellement, notre déficit structurel est un peu inférieur à 5 millions d'euros. Nos prévisions étaient beaucoup plus lentes. Nous aurions dû être autour de 6 millions.

Un mot sur l'endettement du centre : 70 millions d'euros...

On le réduit progressivement. Globalement, nous voulons restaurer une capacité d'autofinancement en 2016-2017. Il faut bien rappeler que notre mission de développement et d'innovation comportera de toute façon toujours une part d'endettement.

Traiter plus de patients avec les mêmes moyens, comment est-ce perçu par le personnel ?

Nous sommes une maison de taille moyenne. Ce qui est extrêmement frappant c'est l'engagement de tous les personnels pour les patients. L'ensemble des gens veut travailler plus et mieux au service des patients. Ce qui implique de grands changements d'organisation.

Il faut accueillir plus vite les malades, répondre plus efficacement, utiliser les outils de communication modernes entre le patient et son médecin traitant, afin réduire les délais. On s'aperçoit là que nous avons des marges de progression importantes.

Sur quoi travailleront les équipes de recherche dans le bâtiment Cheney B concerné par l'appel aux dons ?

L'objectif, c'est de rapprocher la recherche fondamentale qui trouve de nouveaux concepts, et les applications à l'homme, la recherche clinique. C'est ce qu'on appelle parfois la recherche de transfert.

On constate tous que la difficulté se situe au niveau de ce passage. Comprendre ce qui se passe chez le patient pour mieux le traiter. Or les délais entre l'identification d'une cible importante en cancérologie et la mise à disposition d'une solution thérapeutique pour le patient sont parfois extrêmement longs. L'idée est de raccourcir ces délais pour que des patients bénéficient plus vite d'un traitement innovant.

20 à 25 %, des patients du centre bénéficient actuellement de traitements innovants issus de la recherche. L'objectif est à terme d'atteindre les 50 %. Les malades pourront également bénéficier de traitements ciblés grâce à la médecine personnalisée. Elle permet de traiter un patient de façon individualisée en fonction des spécificités génétiques et biologiques de sa tumeur.

Jean-Yves Blay

Cette médecine personnalisée, comment peut-on la définir ?

Il faut avant tout comprendre ce qui fait démarrer la cellule tumorale de manière à la bloquer. Or, il se trouve qu'une partie de ces systèmes d'activations des cellules cancéreuses par des gènes, que l'on appelle oncogènes, sont partagés d'une tumeur à l'autre. Certains oncogènes se retrouvent impliqués dans le cancer du sein, mais aussi de l'estomac ou même de certaines tumeurs du sang.

Cela aboutit à une vision complètement différente de la maladie. On va avoir par exemple 10 % des cancers du sein avec telle anomalie particulière, partagée avec 10 % des cancers de l'estomac. C'est une vision matricielle. C'est transversal et c'est intéressant à exploiter. La frontière que nous avions ces 50 dernières années entre cancers de tel ou tel organe ne s'estompe pas complètement, mais la biologie est parfois en partie commune et cela nous guide pour le traitement.

Qu'est-ce que cela change concrètement dans les traitements ?

Au lieu de "tirer" indifféremment sur toutes les cellules, on va pouvoir cibler ces cellules cancéreuses qui portent une anomalie en particulier. Par voie de conséquence, ce sont des traitements moins toxiques et qui peuvent être partager d'une tumeur à l'autre. On voit fleurir des protocoles thérapeutiques partagés entre différents cancers.

Quels sont vos autres projets durant ce mandat ?

Il y a quatre axes sur lesquels je veux travailler. Tout d'abord le parcours du patient. On constate qu'on a une capacité d'amélioration sur nos organisations. Nous voulons fluidifier l'accès du patient, aux outils de diagnostic, et aux thérapeutiques les plus efficaces possible, le plus rapidement possible. Deuxième axe, le big data, les méga-données, sont en train d'envahir, dans le bon sens du terme, la médecine. On a notre disposition des outils qu'on ne soupçonnait pas d'avoir encore il y a quelques années. Il faut intégrer cela dans le dossier informatisé du patient. C'est un challenge très complexe.

Troisièmement, je veux que l'on développe encore plus que par le passé des liens et des partenariats scientifiques et médicaux efficaces. On est tous engagés dans le même projet. Nous voulons l'excellence pour le patient, dans un contexte, on ne va pas se voiler la face, qui est complexe sur le plan budgétaire. Mais les périodes difficiles sont souvent propices à des changements efficaces et à de grandes choses. Nous voulons réinvestir notre mission de diffusion de l'excellence.

La médecine moléculaire ne doit pas être exclusivement au centre Léon Bérard ou aux HCL. C'est une médecine que l'on doit mettre à la disposition de tous dans la région. En plus, la région va s'agrandir, avec l'Auvergne, dans laquelle il y a un centre de lutte contre le cancer qui est très actif, et avec qui nous traçons des liens forts pour construire cette médecine moléculaire. Mais notre mission c'est que les avancées ne se limitent pas au seul patient traité dans notre établissement.

Jean-Yves Blay

Quand vous parlez de partenariats scientifiques et médicaux. Il y a tout un écosystème de biotechs dans la région avec lequel vous pourriez être amené à travailler au plus près ?

C'est mon quatrième axe, l'innovation. On observe effectivement que l'environnement des entreprises est très favorable aux biotechs dans la région, mais en Suisse également, nous souhaitons développer des partenariats innovants avec des grands groupes pharmaceutiques, mais également des petites startups. Cette volonté d'innovation se traduit également par des partenariats avec des universités et des hôpitaux étrangers qui sont intéressés par des interactions avec nous. Notre taille, notre positionnement géographique, les trois plans cancers qui on eut un impact majeur, tout cela nous rend très attractifs vu de l'étranger que ce soit en Europe, en Amérique du Nord, mais aussi au Moyen-Orient et en Asie.

Le cancer n'est pas une maladie de pays riches. C'est une pathologie très largement émergente en Asie ou en Afrique. Le cancer est en passe de devenir la première cause de décès dans de nombreux pays africains et je crois qu'avec l'augmentation de l'espérance de vie partout sur la planète, l'augmentation de l'incidence du cancer est quelque chose d'inévitable. C'est un enjeu clé qui n'est pas encore résolu.

Le pari que nous faisons c'est que ce n'est qu'au travers de partenariats internationaux qu'on y arrivera et que l'on pourra disséminer cette médecine de l'excellence. Une médecine qui n'est pas forcement chère. Depuis plusieurs années, une équipe fait de la recherche médico-économique sur le site et montre que contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'excellence au départ est plutôt moins chère, car le patient rechutant moins et retrouvant une activité cela coûte moins cher à la collectivité.

Projeter l'excellence, cela permet de faire des économies en première intention après la question du prix des traitements reste à travailler, mais ce point là reste mineur dans le budget de la santé en France.

Les malades du cancer sont aussi des victimes sociales. La maladie n'est pas toujours bien acceptée notamment dans les entreprises, et quand des personnes victimes du cancer reprennent une activité rien n'est simple. Est-ce que ce sont des aspects sur lesquels vous travaillez ?

Cela a été mis en exergue dans le troisième plan cancer. On a plusieurs points sur lesquels nous travaillons. On est engagé dans des programmes de sciences humaines et sociales avec l'École Normale Supérieure, et avec l'Université Catholique de Lyon
Au fond, la question que nous voulons investir c'est quelles sont les attentes des patients ? Quelles sont leurs difficultés après et comment peut-on les résoudre ? On est en phase de recherche. Par ailleurs, beaucoup de travail a été engagé par les associations de patients. Notamment pour un retour d'anciens malades à une capacité d'emprunt. Au demeurant, c'est un nouveau corpus sur lequel on doit interagir. Les associations de patients doivent prendre une place plus importante

Quelle est sur le plan médical votre plus grande inquiétude et quel est votre plus grand espoir ?

Ma plus grande inquiétude c'est va-t-on avoir assez de médecins, spécialistes et généralistes pour absorber l'incidence des cancers à l'avenir. Mon plus grand espoir c'est que depuis quelques années on a franchi des marches majeures du point de vue de la compréhension de la maladie. Désormais, la transformation d'un cancer qu'on n'a pas pu guérir en maladie chronique est à portée de main.

Pour rappel, combien de cancer guérit-on ?

Un cancer sur deux ne rechutera pas dans la vie des malades. Ce qui est considérable si on regarde 50 ans en arrière, nous étions à moins de 20 %.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 01/05/2015 à 8:07
Signaler
Merci pour vos actions et votre communication innovante tant par sa transparence et que par le partage de vos objectifs ambitieux de le Centre de Recherche de Léon Bérard pour la traitement des maladies dans les nouvelles relations médecin-patient d'...

à écrit le 30/04/2015 à 20:43
Signaler
Le seul hic, c'est qu'il y a beaucoup plus de cas de cancers qu'il y a 50 ans, et ce n'est pas fini. Et pendant ce temps, la commission européene autorise l'importation de mais OGM résistant au Round up cancérigène, que tout le monde va manger. Et ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.