Jérôme Rive, président d’IAE France : "Les IAE n’ont pas la reconnaissance qu’ils méritent"

Directeur de l'IAE Lyon et président d'IAE France qui regroupe 32 établissements, Jérôme Rive défend un modèle d'école universitaire de management ouverte à tous, à l'écoute des territoires. Avec la raréfaction des ressources publiques, ses défis sont substantiels. Les IAE peuvent-ils rester gratuits ? Les universités, leur maison-mère, sont-elles un frein à leur évolution ? Comment s'imposer face aux puissantes business schools ?

Acteurs de l'économie : Quel est l'avenir du modèle IAE dans un contexte concurrentiel international qui fait la part belle aux business schools privées ou consulaires ?

Jérôme Rive, président d'IAE France : Nous sommes dans une industrie de l'enseignement supérieur de la gestion dont la compétition entre établissements consulaires privés et publics est d'ordres régional, national et international. Il faut l'accepter. Les IAE essayent de répondre aux attentes des familles, des jeunes, et des entreprises d'un territoire. Avec des formations et des services différenciés, mais sur un modèle commun. C'est-à-dire qu'à Amiens ou à Valenciennes les IAE n'auront pas les mêmes problématiques et caractéristiques qu'à Aix-en-Provence ou à Paris.

Quand certains IAE développent des licences professionnelles, d'autres mettent en place des formations e-learning... C'est une force du réseau IAE résultant d'une certaine autonomie sur les usages des ressources que nous dégageons. Nous pouvons alors créer et accompagner des projets propres, uniques et caractéristiques.

IAE France ambitionne d'afficher une marque visible à l'international et de promouvoir les synergies entre établissements. Or, le niveau, la taille, le rayonnement des IAE sont hétérogènes. Les établissements de Saint-Etienne ou de Savoie Mont-Blanc n'adhèrent d'ailleurs pas au réseau. La principale force d'IAE France : sa massification (45 000 étudiants) n'est-elle pas aussi sa première faiblesse ?

Notre diversité, nous la présentons comme une réponse à celle des territoires sur lesquels nous intervenons. Dans nos formations, nous accueillons des étudiants issus autant de CSP (catégories socio-professionnelles) + que de CSP -. Le fait que des IAE n'intègrent pas le réseau IAE France doit néanmoins pouvoir prémunir d'une hétérogénéité extrême en matière de réponse aux services attendus. Pour cela, nous avons mis en place une certification qui amène, potentiellement, à l'exclusion d'un membre qui ne respecterait pas cet engagement.

L'IAE de Saint-Etienne souhaitait entrer dans le réseau, mais au moment de sa candidature, son argumentaire ne correspondait pas au modèle souverain. Ensuite, la maitrise de la marque est essentielle. Si nous avons décidé de travailler sur le vecteur, fort, « IAE France », c'est pour affirmer, à travers la marque, les actions collectives du réseau.

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A quels obstacles êtes-vous confronté pour faire exister et reconnaître une école de commerce dans un environnement universitaire culturellement rétif, voire hostile à l'entreprise, au libéralisme, au privé ?

L'IAE est fier d'être dans l'université, et je crois que le sentiment est réciproque. Nous avançons ensemble. Le challenge quotidien est de parvenir à franchir ce grand écart entre deux mondes : celui, universitaire et académique, guidé par la réflexion et la recherche, et celui, socio-économique, qui exige la réactivité. A nous de trouver des solutions. Et avec plus ou moins de difficulté, nous y parvenons. Pour autant, je crois que ce modèle est un souffle compris et apprécié par les présidents d'universités. Les IAE représentent des zones d'expérimentations et de développement au sein de mastodontes qui produisent du résultat malgré des milieux parfois aux antipodes. Notre mission est alors de jouer ce rôle de traducteur.

A quels niveaux vous estimez-vous concrètement en concurrence (ou non) avec les écoles de commerce ? Quelles principales carences - notamment dans le champ des accréditations à l'international - identifiez-vous au sein de ces "écoles universitaires de management" ?

Nous ne bénéficions pas toujours de la reconnaissance de nos activités face à un certain nombre de concurrents, écoles privées ou consulaires, qui vont l'obtenir plus naturellement - souvent grâce à une empreinte historique. C'est en partie notre faute, puisque si les enjeux sociétaux sont partie prenantes de notre ADN, nous ne savons pas toujours le faire savoir et les mettre en avant. Nous admettons un déficit de communication que le réseau IAE France doit pouvoir combler, moins aux niveaux local et régional où les établissements bénéficient d'une forte notoriété, qu'aux plans national et international. Dans ce cadre, les accréditations exercent ce rôle de reconnaissance. Nous y travaillons ardemment. Les labels internationaux vont ainsi nous permettre de légitimer certaines de nos activités.

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La raréfaction des ressources publiques, la complexité de réunir des fonds privés permettront-ils pendant encore longtemps aux IAE de demeurer les "grandes écoles de l'université", accessibles à tous grâce à des frais de scolarité très bas, offrant ainsi une alternative aux "prohibitives" écoles de commerce ? Êtes-vous favorable à faire financer une partie des frais de scolarité par les étudiants ? Voire même à une sélection des étudiants ?

Les coûts de formation dans les IAE sont à peu près identiques à ceux de nos concurrents. Seule différence, de taille : ce ne sont pas les mêmes acteurs qui les supportent. Le contexte culturel français fait que nous n'avons pas l'habitude, individuellement, d'investir pour des études supérieures. Cependant, à mon sens, cela pourrait être imaginable notamment sur les entrées en niveau de master, alors conditionnées à une sélection des profils. Nos diplômes qualifiés doivent exister car ils répondent à des attentes sociétales, à des besoins territoriaux. Pour autant, il faut rester très vigilant et ne pas s'attaquer à des sujets qui risqueraient de détruire ce qui fonctionne déjà bien. Certes, nos ressources ne sont pas abondantes, mais grâce à nos activités de formation continue, d'alternance, de contrats etc. [6 millions d'euros de ressources propres, NDLR], nous pouvons financer de la formation initiale.

Dans un tel contexte, comment comptez-vous rivaliser, par exemple dans le recrutement d'enseignements chercheurs qui "font" la renommée des établissements ?

A Lyon, nous avons la chance de disposer d'un territoire attractif. Mais cela n'assure pas tout, et nous devons savoir anticiper l'affaiblissement des ressources académiques. Il est difficile de recruter de jeunes doctorants car ils sont davantage attirés par des premiers niveaux de salaires que proposent les écoles privées. En revanche, certains de ces profils, en milieu de carrière, reviendront vers le modèle public. Il ne faudrait donc pas dénaturer ce dernier car il attire. En revanche, indéniablement, nous ne pouvons pas rivaliser avec les grandes écoles de commerce sur l'accueil de chercheurs de niveau international dont la rémunération peut dépasser les 400 000 euros annuels. Ce sont des recrutements couteux et des choix d'investissement.

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Historiquement, c'est vers les business schools que se tournent en premier lieu les entreprises pour nouer des partenariats - financement des chaires, accords de recrutement, taxe d'apprentissage, etc. Quels arguments différenciant pouvez-vous avancer qui puissent séduire cette manne désormais capitale dans le plan stratégique des IAE ?

Les projets sont liés à des rencontres de personnes. A un historique, à un attachement, voire à un enracinement. Il est essentiel d'être en contact avec les petites structures très évolutives qui ont besoin de nous, et pas uniquement avec des grands comptes. Pour séduire, il faut donc montrer que l'on avance, que l'on travaille. Toujours convaincre en somme. Nous bénéficions également de la force de notre réseau d'anciens répartis dans le monde [45 000 diplômés, NDLR], même si je dois reconnaître que nous le cultivons insuffisamment. D'ailleurs, c'est l'un des champs sur lequel nous travaillons activement depuis trois ans avec le réseau des IAE. Nous souhaitons qu'ils soient acteurs en participant au développement de nos écoles.

Autant par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche que par la réalité économique et financière, une logique de réduction des coûts, de mutualisation des moyens, et donc de regroupements des établissements universitaires s'est imposée. Quelles sont les IAE appelés à l'appliquer ? Des projets de rapprochements sont-ils à l'étude ?

La spécificité des IAE, c'est qu'en master les effectifs sont nombreux. Or ils n'ont pas vocation à alimenter l'enseignement et la recherche, mais les bassins d'emplois. L'enjeu des regroupements est donc de mettre des équipes ensemble pour ne pas avoir de carences dans les dispositifs. Le ministère peut bien décider d'une volonté globale, il doit surtout tenir compte des diversités. Un tropisme immensément français : "on réfléchit selon les découpages administratifs", qui, à l'heure actuelle, ne représente pas au mieux les attentes. Il faut aussi échanger davantage avec les autres IAE, notamment sur un même territoire.

Par exemple avec Saint-Etienne nous étudions les possibles logiques de complémentarités entre les offres de formations. En revanche, nous ne sommes pas sur des logiques de fusion. Et je pense qu'il doit en être de même pour les établissements de Grenoble et de Lyon. Et j'ai pour conviction que le gros mastodonte fusionné n'est pas celui qui colle au mieux à la diversité du terrain. Par ailleurs, nonobstant cette exigence de collaboration et la réalité d'un ADN commun, parfois nous sommes « aussi » en concurrence. Même observation avec les autres acteurs majeurs des territoires.

Si nous voulons que Lyon soit connue en matière de recherche en science de gestion, si nous voulons accueillir de grands congrès internationaux, nous devons agir ensemble et partager des efforts de ressources et de synergies. En définitive, nous nous respectons et nous coopérons tout en étant en compétition.

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La communauté d'universités et d'établissements (COMUE) Lyon Saint-Etienne est officiellement née le 16 juillet 2014. L'IAE y figure indirectement - via l'Université Lyon 3. Comment y ferez-vous entendre votre voix et vos aspirations ? A-t-on manqué une occasion d'enfin réconcilier et fédérer les établissements qui comptent sur le territoire ?

Dans d'autres COMUE, des IAE ont été autorisés à participer à certaines réflexions. A Lyon, notre maison mère bien sûr fait partie intégrante de l'ensemble. Nous sommes tenus au courant des dossiers débattus et un certain nombre d'intérêts sont bien défendus. Mais au-delà des logiques de méta gouvernance, nous avons pour responsabilité d'être dans le pragmatisme de l'action. Et à ce titre, on peut regretter que l'IAE Lyon n'ait pas été associé au débat comme d'autres écoles privées ou consulaires.

Comment comptez-vous tirer alors votre épingle du jeu ?

 Il faut avancer avec réalisme. A partir du moment où les taux de placement d'insertion professionnelle sont de 90 %, et que l'adéquation entre la formation et les attentes de l'entreprise satisfait plus de 80 % des parties prenantes, pourquoi devrait-on accepter de réduire nos effectifs ?

Les IAE constituent l'une des perles du système public. Nous devons donc être vigilants à le maintenir. Ensuite, la nécessité s'impose aux acteurs de savoir agir ensemble. Le choix porte sur des systèmes de gouvernance commune. Je ne suis pas contre, et d'ailleurs cette logique domine déjà. Récemment, un stand "Université de Lyon" était dressé lors d'une grande conférence européenne sur l'enseignement supérieur et son internationalisation. C'est très bien. Et un besoin de lisibilité d'ensemble s'impose. A l'international, nous formons, ensemble, l'enseignement supérieur d'un territoire ; au niveau local, ce raisonnement ne doit pas nécessairement être appliqué.

En mai 2014, dans nos colonnes, le président de la CPU (Conférence des présidents d'universités) Jean-Loup Salzmann critiquait vivement la loi Fioraso : "Elle n'est pas celle dont nous aurions rêvé." Partagez-vous ce dépit ?

Il n'y a pas de modèle idéal. Les cadres évoluent, et en général cela résulte des recommandations d'experts habilités. Le cadre d'une loi nationale est fait pour répondre à une multiplicité de situations qui amène plus ou moins de satisfactions, plus ou moins de contraintes et de déceptions. En revanche, comme toujours nous faisons face à un phénomène de balancier. Qu'il s'agisse des moyens alloués et traités, responsabiliser les acteurs de l'enseignement supérieur dans le monde universitaire était vraiment nécessaire. Cela a produit des réflexions stratégiques utiles mais qui n'éclosent pas en un jour.

Ce sont des processus de changement lourds. Actuellement, les adaptations faites par le ministère reconnaissent un certain nombre de modèles à l'intérieur des universités. Il faut avoir des logiques de sagesse et d'écoute des présidents d'universités quand ils décident d'aller vers des modèles qu'ils souhaitent expérimenter.

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Votre mandat à la tête de l'IAE Lyon a été renouvelé et se poursuit jusqu'en 2018. Irez-vous à son terme ?

Tel que je l'ai dit à mes collègues et administrateurs qui m'ont réélu, j'irai jusqu'au bout du mandat et de la mission qui m'a été confiée. L'enjeu de l'IAE est de réfléchir aussi à la suite, collectivement. Les projets doivent perdurer au-delà des hommes.

Quotidiennement, vous êtes au cœur du monde socio-économique, face à ses enjeux, ses réussites, ses échecs. Pourriez-vous, dans le futur, revêtir les habits de chef d'entreprise ?

Lorsque l'on donne - avec un peu de succès... ! - de ses compétences, de son temps, de sa vie et de son énergie pour des institutions, il faut savoir passer la main. De plus, dans l'univers de l'enseignement supérieur, très vite on peut s'ankyloser puisque les changements de métiers sont rares. Donc, à l'issue de ce mandat, je n'exclus pas de m'engager dans d'autres projets, notamment entrepreneuriaux.

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Commentaires 12
à écrit le 10/12/2014 à 7:06
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On peut noter que la taille des IAE est très hétérogène. Les Grands IAE délivrent des Masters 2 couvrant l’ensemble du domaine de la Gestion dont le fameux Master 2 CCA très sélectif et qui offrent des débouchés intéressants.

à écrit le 09/12/2014 à 15:37
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Ce qui est étonnant, c’est que la taille des IAE est très hétérogène. L’IAE LYON, l’IAE PARIS 12 (GUSTAVE EIFFEL), l’IAE RENNES et l’IAE CAENS par exemple, sont des grands IAE délivrant des Masters 2 couvrant l’ensemble du domaine de la Gestion dont...

à écrit le 22/10/2014 à 1:09
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J4ai fait deux IAE, j'ai retrouvé deux administrations, s'excusant de discriminations et demandant de ne porter plainte, pour résumer vous êtes des incompétents, l'IAE, vous faites les génies, sous antalgiques et chimios j'ai validé vos matières sans...

le 05/05/2015 à 22:44
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Gay

à écrit le 22/10/2014 à 1:09
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J4ai fait deux IAE, j'ai retrouvé deux administrations, s'excusant de discriminations et demandant de ne porter plainte, pour résumer vous êtes des incompétents, l'IAE, vous faites les génies, sous antalgiques et chimios j'ai validé vos matières sans...

le 28/11/2014 à 4:19
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ils ne t'ont pas vendu de cours de français ?

le 05/05/2015 à 22:47
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Illuminato-sionniste Franc-maçon

à écrit le 21/10/2014 à 17:19
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fusionner avec les iep. En plus se serait profitable à tout le monde une mixité étudiante entre les futurs administrateurs publiques et privés.

à écrit le 20/10/2014 à 23:28
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Etant étudiante à l’IAE de Lyon, les enjeux et problems sont clairs: la légitimité, la cohesion et la coherence. L’IAE fait rêver ses étudiants : légitimité de plus en plus reconnue, rivalisant même avec des écoles de commerces hors de prix, et ce q...

à écrit le 20/10/2014 à 17:53
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Bonjour, Je ne suis ravi de voir la réflexion avancée autour du réseau de l'IAE mais je doute sur 2 points : - Vouloir jouer la concurrence avec les écoles de commerces. Il me semblait que les écoles de commerce formaient au commerce et que les ...

à écrit le 16/10/2014 à 12:11
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Le gros soucis pour la reconnaissance des IAE porte sur les accréditations (AMBA, AACSB, EQUIS ...) qui sont des filtres dans tous les classements qui font référence. L'IAE d'Aix s'oriente vers ce modèle mais ce mouvement pourrait l'éloigner de l'esp...

le 17/10/2014 à 10:42
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Bonjour, Il s’agit effectivement d’axes de développement pour certains IAE qui travaillent déjà dessus depuis plusieurs années. En effet, IAE France est présent depuis quelques années sur les trois principaux salons internationaux (EAIE, APAIE et N...

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