Alain Touraine : "La crise est plus que politique : elle est de citoyenneté"

26 août 2014 : l'éviction des sécessionnistes du gouvernement et l'adoption d'une stratégie sociale-libérale marqueront-elles l'histoire du Parti socialiste ? Le sociologue Alain Touraine - père de la ministre de la Santé Marisol Touraine - examine le mal protéiforme qui depuis plusieurs décennies ronge la gauche française jusqu'à la vider de sa substantifique moelle. Et défriche les voies qui, à ses yeux, conditionnent la résurrection du PS.

Acteurs de l'économie : Votre disciple Michel Wieviorka constatait en avril 2014, dans les colonnes d'Acteurs de l'économie - La Tribune, "qu'une gauche se meurt ". Deux mois plus tard le Premier ministre Manuel Valls jugeait, de son côté, que "la gauche peut mourir ". Vous-même dressez le tableau d'une gauche atone, amorphe, vide. La gauche française est-elle morte ?

Alain Touraine : La situation de décrépitude que traverse la gauche n'a rien d'anormal. C'est même la chose la plus normale du monde. À l'instar de tout être vivant, la gauche - tout comme la droite bien sûr - n'est pas éternelle. Et ce qu'elle connaît aujourd'hui résulte d'un siècle historiquement et socialement bouleversé.

Pendant un siècle et demi, la vie politique a été organisée autour des rapports sociaux de production. L'industrie structurait la société, puisque de ce secteur économique non seulement découlaient beaucoup des grandes lois mais aussi dépendait une vision partagée par la majorité de la production, de l'investissement, et donc du travail. Gorki rapporte d'ailleurs de ses souvenirs d'enfance ses valeurs communes avec son patron sur l'importance fondamentale du travail ; leur divergence portait sur la destination des profits. Et c'est cette conflictualité sociale qui créait une offre politique somme toute assez binaire : de manière grossière, aux patrons étaient opposés les salariés, qui formaient les rangs de la gauche. Or, aujourd'hui, les rapports sociaux et donc les conflits politiques majeurs ne sont plus définis par la production. Voilà pourquoi la gauche française se meurt.

Le gouvernement Valls 2 a été formé le 26 août 2014 au lendemain d'une nouvelle "déflagration", celle-ci idéologique, entre les tenants d'une doctrine traditionnelle de la demande et ceux d'un virage social-libéral de l'offre. Est-il l'heure, pour le PS, d'acter son décès, c'est-à-dire d'accepter l'impossibilité de demeurer indivisible à l'aune d'un schisme aussi profond ?

Dans la situation actuelle je voudrais défendre la nécessité d'un renouvellement de la pensée de la gauche (la même remarque vaut pour la droite) parce que personne ne peut faire comme si le monde n'avait pas changé depuis le Front populaire en 1936. Mais les militants, ceux qui vont choisir les nouveaux dirigeants du Parti socialiste, ne pensent pas ainsi.

Pour eux, la gauche s'est suicidée et ils ne se demandent pas les raisons de la disparition de la social-démocratie en Europe et de l'actuel échec relatif de Barack Obama aux États-Unis. Ils constatent qu'on ne parle plus des problèmes politiques et sociaux qu'en termes d'intérêts des entreprises. Cette tendance s'est tellement accentuée que cette volonté élémentaire, vitale, de retrouver un discours de gauche s'impose de plus en plus. Il n'est pas irréaliste de penser qu'avant la fin de l'année les frondeurs entraîneront la majorité des membres du PS, au moins vers l'abstention.

La limite de cette position radicale est que la majorité du PS est une chose et la majorité dans le pays en est une autre. Tous les adversaires des « frondeurs » leur annoncent qu'ils vont, en combattant leur propre gouvernement, déclencher une dissolution, suivie rapidement de nouvelles élections, qui risquent de conduire à une forte victoire de la droite et pour longtemps.

Leur réponse est certainement que François Hollande est devenu tellement impopulaire que les électeurs comprendront qu'il faut réussir en France au moins ce qu'a accompli Matteo Renzi en Italie, qui a obtenu 40 % des voix, dépassant de loin le mouvement de Beppe Grillo et éliminant son vieil adversaire - et un peu complice Silvio Berlusconi - du jeu politique.

La revitalisation de la gauche, c'est-à-dire son redéploiement idéologique, exige-t-elle nécessairement un processus de disparition puis de résurrection ? Peut-elle évoluer en douceur ?

La gauche française, sous l'impulsion de François Mitterrand, a fait le choix de se figer dans le passé. Aujourd'hui encore, François Hollande emprunte un vocabulaire social-démocrate alors que la social-démocratie n'existe nulle part. Ce choix tactique se paye très cher : l'histoire ne se répète jamais.

L'opinion publique de gauche ne supporte plus l'impuissance de François Hollande qui lui semble atteindre le niveau de la provocation. Mais une grande partie de l'électorat de gauche ne se fait aucune illusion sur la capacité d'action politique des défenseurs d'un socialisme purement populaire, sans programme d'action, et beaucoup partagent avec moi-même la conviction qu'il est indispensable de reconstruire une pensée et une action politiques, comme cela avait été nécessaire au moment où est né le socialisme.

Je me résume : au niveau de la tactique politique et de la direction du PS, ceux qu'on appelle les « frondeurs » ont les meilleures chances de gagner, tandis que le Président de la République n'a aucun résultat positif à montrer et ne peut retrouver rapidement une popularité suffisante. Mais au niveau stratégique et plus globalement politique aucune des tendances actuelles, aussi bien de la droite que de la gauche, n'a rien à proposer : ni idées, ni programme, ni même candidat. Le risque principal est donc que la victoire des « frondeurs » ne conduise qu'à une impuissance générale. C'est pourquoi ni les « frondeurs » ni Manuel Valls ne souhaitent aucunement monter aux extrêmes.

Mais alors de quoi cette décomposition idéologique résulte-t-elle en premier lieu : d'une crise de pensée ? D'une crise d'identité ? De l'effondrement de son support politique ? Ou plutôt d'une transformation de la société française, notamment économique et sociale, à laquelle elle n'a pas su s'ajuster ?

La gauche doit se réinventer dans un contexte qu'elle ne sait pas maîtriser : la disparition de ce qui formait l'architecture même de la société. Les grandes classes sociales ont été effacées au profit d'un éclatement, peu visible, de sous-classes disséminées. Et donc ce qui nourrissait à la fois les grands conflits et les grands projets, porteurs de sens, de perspectives, d'idéaux, d'horizons et d'espérance, s'est dissous. L'impression est d'être « nulle part ». Robert Castel - sociologue spécialiste du travail, disparu en 2013, NDLR - l'avait très bien défini : la disparition de la société industrielle provoque un phénomène de « désaffiliation ». Auparavant, on « était » ouvrier, clairement identifié dans son groupe social qui constituait aussi un repère « pour soi vis-à-vis de soi et des autres », mais également pour « les autres vis-à-vis de soi » ; dorénavant, il est très difficile de se situer, et la gauche ne sait pas répondre à ce constat.

Elle ne sait pas non plus composer avec une autre réalité : la société idéologique, humaine, politique est devenue un marécage, comparable à celui de la fin du XIXe siècle lorsque les formations politiques issues de la Révolution française ne savaient plus répondre aux réalités de l'époque. Les partis politiques, gauche en tête, s'escriment à se positionner par rapport à un passé qui n'existe plus. Ce phénomène des ruptures sans fin et extrêmes avec ledit passé affecte durement le paysage politique et entretient les partis dans le non-sens et la confusion.

En France comme en Europe ou aux États-Unis, jamais les politiques de la droite républicaine et de la gauche n'ont semblé autant se chevaucher. Le comportement et le bilan politiques de Barack Obama aux États-Unis en sont une démonstration, l'exercice de la coalition allemande en est une autre. Une manière uniforme de penser l'avenir et donc d'exercer la politique semble dominer...

L'enjeu, sous-jacent à cette juste observation, est d'essayer de comprendre ce qui fait encore rupture, où se trouve la ligne de partage dans la société. Longtemps, j'ai cru que la situation postindustrielle ne serait pas synonyme de désindustrialisation. Mes études conduites sur l'examen des différentes étapes de l'histoire industrielle et leurs interprétations ou répercussions sociologiques me laissaient penser que ce qui avait caractérisé l'époque de la machine à vapeur, l'électrique, pouvait se poursuivre à l'ère de l'électronique et des nouvelles technologies de l'information.

Après tout, l'industrialisation de la communication n'est pas de nature profondément différente de celle de la production, et elle aussi devrait participer à faire évoluer la pensée, l'opinion, et donc la représentation politiques. Ce que, depuis, j'ai acquis comme conviction, c'est que le phénomène majeur sécrété par la globalisation et qui aura dominé le XXe siècle, est le totalitarisme. Aux totalitarismes stalinien ou nazi a succédé une nouvelle forme de totalitarisme, issue des pouvoirs et de l'emprise que les nouvelles technologies permettent d'exercer sur l'humanité entière et sur chaque aspect de la vie de chacun. Nous assistons au triomphe du « pouvoir total ».

Libéralisme et socialisme formeraient-ils un oxymore ? Sinon, à quelles conditions un "libéralisme responsable" et honorant les racines socialistes - justice sociale, lutte contre les inégalités, etc. - est-il possible ?

Libéralisme et socialisme sont des positions générales qui ne s'opposent pas l'une à l'autre parce qu'elles appartiennent à des univers différents. Le socialisme veut que les acteurs sociaux dominent les partis politiques ; les libéraux veulent que les accords et les compromis politiques empêchent les affrontements sociaux. Tocqueville avait clairement compris cette opposition : il avait reconnu qu'il était libéral, mais qu'il n'était pas démocrate ; pas plus que Guizot et d'autres dirigeants de la bourgeoisie à la fois anti-bonapartistes et anti-ouvriers.

Les visions purement politiques de la politique sont toujours élitistes et conservatrices. Mais les visions purement sociales de la politique sont court-circuitées par la formation de nouveaux pouvoirs purement politiques. Plus une société se sent fragile, menacée du dedans et du dehors, et plus les conservateurs-libéraux se renforcent. Depuis trente ans en Europe, c'est ce qui se passe, surtout depuis le triomphe de Tony Blair en Grande-Bretagne, de Gerhard Schröder en Allemagne et aussi en Suède où les sociaux-démocrates ont perdu le pouvoir. La recherche de la radicalité et de l'affrontement dans une situation de crise et de fragilité profiterait plus probablement à l'extrême droite qu'à l'extrême gauche. Il me semble que tous les socialistes sont convaincus de ces constatations et cherchent à éviter l'affrontement mais sans que personne puisse assurer qu'ils y parviendront.

En matière économique, les lignes de fracture entre un socialisme "social-libéral" et ce que l'UMP a appliqué pendant dix ans de pouvoir disparaissent. Cette superposition des doctrines trouble, car ce qui "fait débat" et "identité" au sein de l'opinion publique et chez les électeurs repose sur la lisibilité des clivages. Une telle confusion peut-elle affecter la santé de la démocratie ?

Ceux qu'on appelle « la gauche » et ceux qu'on appelle « la droite » ne mènent pas la même politique. Au contraire, l'un et l'autre sont incapables de donner vie à des projets qui seraient très différents l'un de l'autre. Nous vivons dans un vide général qui atteint le Front national autant que les autres formations.

L'idée que cette double impuissance puisse être utilisée par un nouveau centre, ni de droite ni de gauche, ne correspond en rien à la réalité et au possible. La colère, la déception, la haine même sont partout répandues, et la rupture la plus profonde est celle qui sépare la population du monde politique et de l'État. Ce que nous vivons à un niveau extrême est une crise de citoyenneté, ce qui est plus profond qu'une crise politique. Nous souffrons de n'avoir à choisir qu'entre une absence de projets et des formes différentes d'échecs.

Une sortie "par le haut" est-elle possible ?

Ce ne peut pas être un hasard si, au moment où la France entre dans une crise ouverte qui peut rapidement la paralyser, apparaît pour la première fois une opposition raisonnée et dirigée par les principaux décideurs européens contre la politique d'Angela Merkel : le succès triomphal de Matteo Renzi en Italie lui a donné un poids que son pays n'avait plus depuis longtemps et qui lui a permis d'imposer sa candidate à la tête de la diplomatie européenne. Et le nouveau président du Conseil Européen, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, a de forts liens avec la France et essaiera de l'aider.

Mais le plus important de tous a pour nom Mario Draghi. Président de la Banque centrale européenne, il s'est imposé quand, sans se soucier des textes qui limitaient le rôle de la BCE, il a sauvé l'euro contre les marchés financiers, en se donnant des pouvoirs presque aussi grands que ceux de la Banque d'Angleterre ou du Federal Reserve System américain. Il a peur d'une déflation à la japonaise et non plus des inflations d'autrefois, et il sait qu'il peut prêter à un taux pratiquement nul, donc sans charger beaucoup plus la dette des pays européens. Surtout, il a l'esprit assez politique pour comprendre qu'on ne peut pas gouverner de grands pays en rupture avec la majorité de la population. Ceux qui connaissent l'Italie savent que ce pays, malgré la faiblesse et la corruption de son système politique, a toujours été géré avec une assez grande efficacité par son véritable gouvernement, qui est la Banque d'Italie. Mario Draghi est un grand représentant de cette tendance historique.

La situation mortifère de la gauche et, au-delà, de l'échiquier politique en France comme ailleurs en Occident, serait-elle le révélateur d'une espèce humaine elle-même vacillante parce qu'inféodée au matérialisme, au "court-termisme", au "présentisme", à la cupidité, à la technologie ?

Absolument. Le capitalisme financier s'est imposé au capitalisme industriel. Il l'a gangrené et même anéanti. Il domine au point que les capitaux investis dans la spéculation légale ou dans le blanchiment d'argent frauduleux dépassent ceux dévolus à l'investissement industriel et à la production d'activités économiques concrètes. L'argent de la drogue représente 3 % du PIB mondial, le montant des capitaux abrités dans les paradis fiscaux est équivalent au PIB cumulé des États-Unis et du Japon. Tout cela contribue à innerver dans les consciences une logique marchande, pécuniaire, consumériste devenue dominante. La suprématie, ou plutôt la tyrannie du « fric » règne partout. Avec les dictatures « traditionnelles » militaires, visibles, cohabite désormais cette nouvelle forme de despotisme. Tout est pensé, évalué, structuré, conçu par rapport à l'argent. Y compris l'imagination, les perspectives, le sens. Et les formations politiques suivent le mouvement, se vidant d'elles-mêmes de toute alternative au diktat financier et au dogme matérialiste. Comment, dans ces conditions, aspirer à rêver, oser, se projeter, entreprendre ?

Cette situation est-elle irréversible ? Est-il possible de croire qu'une résistance puisse l'anémier alors que ceux-là mêmes censés l'incarner : l'État et les formations politiques, ont eux-mêmes succombé à son poison ?

Que peut-on placer face à un pouvoir total ? Un principe au moins aussi total d'opposition. La social-démocratie s'est éteinte avec Mai 68 ; la démocratie occidentale est malade ; les droits politiques sont circonscrits aux pays occidentaux, et les droits culturels favorisent de dangereuses logiques communautaristes et identitaires. Restent alors le « sujet » et, consubstantiellement, ce qui fait la modernité est l'universalisme, notamment celui des droits humains fondamentaux. Aux droits à la liberté et à l'égalité qui devraient être inaltérables, s'ajoute un droit à la dignité - davantage que de fraternité - dont j'observe la revendication aussi bien en France qu'au Chili ou en Inde. Ces droits assurent à l'individu d'être un individu, c'est-à-dire d'être sujet créateur et transformateur du monde pour remplacer la liberté, l'égalité, et la dignité propres dont il jouit. Alors, le principe même de sa reconnaissance comme « sujet » peut être garanti.

Dans l'ADN de la gauche a toujours figuré la suprématie de l'« œuvre » collective sur l'acte individuel. N'est-ce pas en premier lieu de son mépris pour les aspirations personnelles de l'individu, c'est-à-dire de son incapacité à reconnaître une individualité et un individualisme qui se sont imposés dans la société, que la gauche a le plus souffert ?

La gauche a toujours su se positionner dans la société industrielle, car elle savait tirer profit des conflits sociaux pour imposer à tous des objectifs communs comme le travail. En 2014, cette valeur commune a pour nom l'individualisme... au pluriel. À vrai dire deux types d'individus cohabitent dans un même corps : l'individu consommateur - qui agit selon ses intérêts, plaisirs et désirs personnels - et l'individu porteur d'un droit universel. Ce dernier est bien davantage qu'altruiste : il agit et bâtit en fonction de droits qu'il reconnaît appartenir à tout le monde. Or la gauche peine terriblement à s'adresser à ces deux individualismes si différents, à produire un message qui soit audible par chacun d'eux simultanément.

Cet individu « porteur d'un universel », quelles conditions politiques, quel environnement socio-économique, et quel message idéologique faut-il déployer pour qu'il ne se laisse pas étouffer par celui que dictent les pulsions égoïstes ?

J'étais très proche de Stéphane Hessel, dont j'ai d'ailleurs partagé, à Bruxelles, l'ultime conférence. Il avait initié le mouvement des Indignés, dont la popularité fut grande mais qui, en définitive, n'a politiquement (presque) rien produit et n'a pas véritablement essaimé au-delà de l'Espagne. C'est la preuve qu'il est très difficile de transformer en objectif politique l'universalisme des droits. D'ailleurs les « droits de l'homme » ne semblent plus constituer une priorité sanctuarisée, et même « l'ingérence » conceptualisée par Bernard Kouchner est encore contestée ou même moquée. Pourtant, l'actualité de chaque région de la planète met en lumière sa nécessité.

Toutefois, il existe des raisons d'y croire. Le XXIe siècle n'a pas débuté le 1er janvier 2000, mais onze ans plus tôt. 1989 est l'année de la chute du Mur de Berlin, du soulèvement de la place Tienanmen à Pékin, et celle de la libération de la « figure » la plus respectée encore à ce jour dans le monde entier : Nelson Mandela. Trois événements qui honorent les droits fondamentaux de l'homme, consacrent l'individu porteur d'universel, récompensent le combat pour que tout homme soit reconnu comme un sujet, c'est-à-dire comme ayant des droits. Trois événements auxquels il faut ajouter, plus près de nous, ceux qui mettent à mal les régimes dictatoriaux des pays arabes, ceux qui sont créés par la mobilisation des populations turque, ukrainienne, ou iranienne. Tous permettent d'espérer qu'un jour la reconnaissance universelle de ces droits fondamentaux s'imposera aux lois de chaque pays. N'est-ce pas la définition de la démocratie ?

La déliquescence de l'offre politique affaiblit la démocratie, mais l'altération des mécanismes de la démocratie abâtardit elle-même l'offre politique. La démocratie ne doit-elle pas être repensée et reconstruite afin de conférer à l'individu le rôle moteur, à la fois responsable et entreprenant, susceptible de réenchanter ses aspirations personnelles et son potentiel universaliste ?

Indéniablement. La démocratie représentative n'est pas suffisante. Elle doit être davantage directe, c'est-à-dire également délibérative et participative. À ces conditions, le vœu d'universalité des droits aura davantage de chances d'être exaucé. Pour autant, il faut être prêt à accepter que l'exigence de liberté, l'affirmation de soi comme « être émancipé et autonome », prennent des formes très différentes d'un pays à l'autre. Leur accomplissement emploie une violence souvent proportionnelle au niveau de totalitarisme qu'elles doivent combattre. En effet, face à un pouvoir total, le mouvement social qui lui résiste mobilise tous les aspects de la personnalité de ceux qui le composent. Ce mouvement devrait d'ailleurs être rebaptisé « éthico-démocratique » : démocratique car il lutte contre le pouvoir total, éthique, parce qu'il interroge une manière particulière de vivre son individualité puis de l'inscrire dans la collectivité.

Finalement, sous le joug des courants communistes, malthusiens et corporatistes, la gauche n'a-t-elle pas "oublié" que le travail "aussi" fait l'homme ? N'a-t-elle pas discrédité la "valeur travail" plutôt que cherché à lui agréger une noble finalité, finalement ne cherchant jamais véritablement à contrer la coupable erreur de la droite qui a toujours privilégié l'héritage sur le travail ?

Le travail constitue un thème fondamental, mais il ne peut garder un sens que si justement ce sens évolue. Exemple ? Le travail doit-il avoir pour sens de transformer la nature ? Je m'y oppose, et je pense plutôt que le travail honore la quête de sens s'il fournit aux individus les conditions d'agir et d'être reconnus « sujets », créateurs et transformateurs d'eux-mêmes autant que de leur environnement social, naturel, économique, même politique.

Vous datez le début de la lente déliquescence de la gauche à la "décapitation", par François Mitterrand, de Michel Rocard. Mais la pensée rocardienne aurait-elle résisté à la métamorphose de la société et à la transformation sociologique du travail ?

Il n'existe plus, aujourd'hui, un réel Parti socialiste. Et cette disparition a effectivement pour origine la décision de François Mitterrand de faire disparaître politiquement Michel Rocard et de mettre fin à ses ambitions présidentielles. Ses convictions auraient-elles pu traverser l'histoire et la marquer de son empreinte et de son audace ? Personnellement, je le crois. Mais nous ne le saurons jamais.

Sa vacuité intellectuelle, son anémie idéologique, et son incapacité tactique singularisent-elles la gauche française au sein des gauches européennes ?

Le "cas" français est particulièrement lamentable. Mais il n'est pas isolé. L'Hexagone a perdu - sans s'en apercevoir ou parfois en s'en réjouissant - la moitié de son industrie. Il est aujourd'hui moins industrialisé que son voisin transalpin. Deux figures de la gauche européenne ont été presque sacralisées : Tony Blair et Gerhard Schröder. Mais qu'ont-elles fait en réalité ? Le Premier ministre anglais a fait le choix de désindustrialiser son pays, de le désolidariser de l'Union européenne et de le réorienter dans une identité, un dessein purement financiers. Dans cette logique, il l'a lié aux États-Unis jusqu'à élaborer la guerre en Irak pour des motifs - présence supposée d'armes de destruction massive - totalement fallacieux.

Quant au Chancelier allemand, les réformes qu'il a accomplies au prix de sa disparition politique n'ont pas été que positives : elles ont participé à faire émerger une nouvelle catégorie de salariés, composée d'environ 7 millions de personnes, dont le bas niveau du futur salaire minimum donne la mesure de la situation extrêmement fragile.Résultat, la France et l'Italie ont certes des chômeurs, mais de leur côté la Grande-Bretagne et l'Allemagne ont des pauvres.

L'Italien Matteo Renzi fait-il porter un espoir ? Soyons très prudents, attendons de juger sur des faits, et ne nous laissons pas séduire aveuglément par la tempête médiatique qu'il a lui-même orchestrée. Plus loin de l'Europe, que constate-t-on ? Que la plupart des noirs américains ne vivent pas mieux depuis l'arrivée de Barack Obama - tout comme la majorité des noirs sud-africains n'ont pas connu de progrès significatifs après l'avènement de Nelson Mandela. Ces constats doivent amener à ne pas admonester les uns ou à glorifier d'autres de manière caricaturale, car la réalité des faits est nettement plus complexe.

Vous continuez de sillonner le monde. Y voyez-vous éclore ou prospérer de nouvelles gauches ou des démocraties innovantes ?

Pas vraiment. Prenons le seul cas des Amériques, latine et centrale, historiquement incontestables laboratoires d'expérimentation - comme le démontra près de nous le Forum social mondial hébergé à Porto Alegre de 2001 à 2005. Le Mexique est ravagé par la guerre de la drogue, Cuba est figée dans l'attente de l'après Castro, le Venezuela est en chute, l'Argentine est empêtrée dans son marasme économico-financier. Le Chili connaît l'un des taux d'inégalité les plus élevés, mais il entreprend une réforme considérable de son système éducatif qui, s'il trouve les moyens d'être financé, assurera au pays un bond en avant.

Quant au Brésil, le second mandat de Lula lui a permis de réduire substantiellement les inégalités sociales, mais le pays demeure rongé par la corruption et les récentes émeutes témoignent d'un climat éruptif. Bref, il n'existe pas de raison particulière d'espérer. Et ailleurs dans le monde, la situation politique des pays du Maghreb, de la Russie, de la Chine, de l'Égypte ou de la Turquie ne laisse filtrer aucune lueur d'espoir. Seuls Taïwan et la Corée du Sud ont entrepris une véritable reconstruction d'un système démocratique.

Face à la gauche, le paysage politique français est composé d'un centre moribond, d'une droite républicaine terrassée idéologiquement, financièrement, humainement, d'un courant écologiste rongé de l'intérieur, enfin d'un Front national qui petit à petit maille le territoire. Quels périls cette situation, et particulièrement l'écroulement de l'UMP, fait-elle peser sur la santé de la démocratie, de la société et du vivre-ensemble ?

La droite est devant un choix fondamental : alliance avec le Centre ou avec le Front National, et l'avenir présidentiel de Nicolas Sarkozy, noyé par les affaires connues et à venir, est de plus en plus menacé. Quant à la gauche, ses mouvements extrémistes, communiste et "mélenchoniste" disparus ou en panne, il reste au Parti socialiste - que la nomination de Jean-Christophe Cambadélis ne sortira pas de la torpeur - à préparer l'échéance de 2017. Manuel Valls est pour l'heure bloqué par une Constitution qui donne tous les pouvoirs au Président de la République, et François Hollande, qui sait au fond de lui qu'il n'est pas rééligible, fera obstacle à son ascension. Mais le Premier ministre peut accélérer la mutation. Parmi la quarantaine de frondeurs - archétypiques de l'archaïsme du parti -, aucun n'émergera. Reste le joker Ségolène Royal, adulée ou détestée, mais qui a un mérite : celui de faire bouger les lignes, et de porter des idées non dénuées d'intérêt.

Le plus inquiétant réside ailleurs que dans la pauvreté de ce panorama politique : dans la désaffection des militantismes de toutes sortes, dans le désintérêt pour ce qui fait ou est politique. Quelques semaines avant sa disparition le 20 février 2014, la psychanalyste et grand défenseur de la cause féminine Antoinette Fouque me confiait son désarroi devant l'affaissement des mouvements de femmes : "Il n'y a plus de militantes".

En France comme en Allemagne et dans le reste de l'Europe, le courant écologique est électoralement décrédibilisé. Au-delà des responsabilités endogènes des partis, peut-on en conclure que la cause environnementale, l'enjeu de réconcilier l'homme et la biodiversité, ne peuvent être enfermés dans un support politique propre ?

L'écologie devrait être l'affaire de tous. Surtout à la lecture des résultats des partis censés la défendre. En France, les écologistes sont emprisonnés dans leur dogmatisme, dans des rivalités ou des manœuvres politiciennes délétères, et sont focalisés sur leur carrière personnelle. Outre-Rhin, à quoi le travail de sape des Verts locaux et le démantèlement de l'énergie nucléaire ont-ils conduit ? À payer l'électricité le double du prix des Français, et à renforcer le recours au charbon qui assure au pays un taux de rejet de carbone dans l'atmosphère comparable à celui des États-Unis !

Plus personne ne semble trouver la parade face à la montée en puissance d'un Front national qui prospère sur la dégénérescence des formations politiques traditionnelles. Les dernières digues n'ont pas résisté à une stratégie triomphante de dédiabolisation. Pire, sur un plan stratégique, le PS et même l'UMP ont intérêt à miser sur un FN puissant et possiblement présent au second tour de la Présidentielle 2017. L'offre idéologique et programmatique mais aussi les comportements de la gauche et de la droite ne semblent pas enclins à s'attaquer à Marine Le Pen...

Le travail des géographes, au carrefour des problématiques sociales, permet d'éclairer la montée du FN. Où le FN a-t-il progressé ? D'abord et historiquement dans le sud, là où demeurent pieds-noirs, anti-Algériens et postcoloniaux plutôt âgés dorénavant. Mais surtout Marine Le Pen et ses troupes ont investi les territoires du nord et de l'est, frappés par la désindustrialisation. Là, y compris auprès d'une jeunesse démobilisée et sans avenir, son discours fait mouche. Autrefois, ces zones étaient formées de banlieues industrielles, elles-mêmes structurées autour de "l'usine" ou des centres de production en marge desquels les ouvriers vivaient rassemblés.

La globalisation des échanges et la mutation des secteurs d'activité ont bouleversé cet équilibre géographique. D'abord, priorité a été donnée aux grandes métropoles pour développer des liens de communication mondiaux, provoquant la marginalisation de tout le reste du territoire. Métropoles qui concentrent les catégories socio-professionnelles dites supérieures et les centres décisionnels qui emploient des cadres, des techniciens, des hommes de loi, etc. Y ont également emménagé les classes moyennes - enseignants, etc. - qui progressivement ont mis à l'écart les catégories sociales dites productrices - ouvriers, petits employés, commerçants de détail, artisans, etc. - et ouvriers immigrés.

Ces populations, incapables de suivre la flambée des loyers, partent souvent s'installer loin de la ville, et découvrent la raréfaction des services publics, le coût de l'essence pour se déplacer, ou la difficulté de trouver un emploi. Elles éprouvent le sentiment d'avoir été chassées et d'être exclues à la fois de la ville et des transformations du travail. Alors elles se tournent vers celle, Marine Le Pen, dont le discours semble reconnaître leur existence et entendre leurs doléances. Cette situation socio-géographique dépasse les compétences des partis traditionnels, qui cherchent à tirer avantage de la montée en puissance du FN en vue des prochaines présidentielles. Leur objectif principal n'est-il pas de se retrouver au second tour face à l'extrême droite ?

Une grande partie du nouvel électorat du Front national émane de populations traditionnellement de gauche et de droite républicaine, découragées par l'incapacité de leurs élus à juguler les problèmes quotidiens d'insécurité, d'exclusion, de privilèges. Combattre de l'intérieur le FN peut-il exiger d'autres armes, y compris idéologiques, que celles qu'il emploie ?

Se placer sur le même terrain, par exemple sécuritaire, où "excelle" le FN est une erreur. Et "déplacer" le centre de gravité de la droite traditionnelle vers l'extrême droite est tout aussi inepte. L'électorat frontiste est gonflé par les échecs économiques, et semble ne plus compter aux yeux des dirigeants politiques. Ce constat est redoutable. Pour autant, il faut raison garder. Une victoire de l'extrême droite me paraît improbable. Pourquoi ? Parce que la plupart de ses électeurs ne votent pas en faveur de son idéologie ou de son programme, mais manifestent leur refus de l'offre politique traditionnelle. Or une formation politique ne peut pas conquérir le pouvoir à partir des seuls mécontents. Et le FN continue à faire peur.

La gauche française s'est, de tout temps, nourrie des intermédiations, notamment syndicales. Elle subit la crise d'identité et de représentativité que la transformation sociologique du travail mais aussi que le discrédit exercé de 2007 à 2012 par Nicolas Sarkozy ont provoquée au sein de ces intermédiations. Leur délitement participe-t-il substantiellement à la crise de la démocratie ?

Les syndicats sont à l'image de ce qu'est devenue une partie de la société : recroquevillés sur leurs acquis, enfermés dans leur corporatisme, inaptes à se réformer. Capables d'exercer du chantage et de prendre en otage, ils dévoient la vocation originelle de leur action. Bien sûr cette érosion des médiations intermédiaires ne profite pas à la démocratie.

Mais ce dont celle-ci souffre en premier lieu c'est l'extinction des grandes causes. Et face à ce constat, plusieurs courants s'opposent. La génération de Aron, Lefort ou Furet estimait que le politique ne devait pas être attaqué car c'est lui qui doit protéger la démocratie. D'autres, à l'instar de l'historien Marcel Gauchet, considèrent que les mouvements sociaux constituent un obstacle à la démocratie - ils épousent en cela la doctrine de John Rawls qui, à la fin du XXe siècle, jugeait que les mouvements sociaux entravaient l'accomplissement de la justice et que le contenu de la politique devait être vidé de toute substance sociale. À mes yeux, c'est une erreur. Car la justice, et donc la démocratie et la politique, au contraire, ne peuvent que résulter de l'action des mouvements sociaux qui est orientée vers la défense des droits fondamentaux.

Les formations politiques europhobes voire xénophobes ont progressé lors du scrutin européen de mai 2014. À quelles conditions est-il encore possible d'inverser le mouvement et de réconcilier les citoyens avec l'Europe ? Faut-il, pour cela, accepter de délier les identités nationales pour faire émerger une identité européenne et, pour partie, de substituer une souveraineté européenne aux souverainetés nationales ?

Voilà en effet bien longtemps que l'Europe ne constitue plus un enjeu ou un idéal pour les citoyens. La faute en est aux gouvernements des pays d'Europe, mais aussi à une gouvernance et à une organisation politique qui ont tué le « goût d'Europe ». Je ne crois nullement en l'émergence d'une identité européenne, car ce qui fait « socle » : l'économie et la finance, est totalement mondial et globalisé.

Dans ce contexte, et au moment où les attaques contre l'Europe se multiplient, je suis heureux de voir en Mario Draghi aux commandes de la plus forte institution, la BCE, le seul espoir de solution de la crise française, que la rigueur de l'Allemagne enrichie pourrait rendre dramatique.

Pendant la campagne électorale, François Hollande avait déclaré que la finance "était son ennemie". Deux ans plus tard, son ministre des Finances Michel Sapin jugeait que la "bonne finance" était son "amie". Quelle définition faites-vous de la "bonne finance" et de la "bonne croissance" qu'une gauche moderne doit cultiver ?

Bien sûr, il existe une "bonne finance". Elle gère l'investissement, sert l'économie réelle et donc soutient en premier lieu l'action des entreprises. Elle n'est malheureusement pas dominante. Les récents travaux de Thomas Piketty en font la démonstration : pour s'enrichir, l'héritage et la spéculation sont bien plus efficaces que le travail et la gestion d'entreprises.

Croyez-vous encore à la capacité de la France d'engager des réformes ? Le comportement des forces syndicales - y compris patronales -, l'influence du dogme marxiste, le poids de "l'histoire des conflits", et surtout la puissance des logiques corporatistes, autorisent-ils un espoir ?

La France est frappée de déterminisme social et économique. Cette "culture" n'est pas nouvelle, et résulte du "travail de sape" des intellectuels qui, de Sartre à Bourdieu, ont vécu dans la dépendance de la vision communiste. Aujourd'hui, et ce phénomène affecte autant l'Allemagne que l'Espagne, les États-Unis que la Grande-Bretagne, la France est au degré zéro de la volonté et de l'initiative politiques. Comment, dans un tel contexte, créer les conditions de réformer ?

Le sursaut ne peut venir que des dirigeants politiques pour défendre leur peau, Encore faut-il leur donner la possibilité de s'approprier les grands sujets, notamment éthiques. Ne sont-ce pas eux qui de tout temps ont nourri la conscience politique et permis les grandes œuvres - la liberté contre le roi, la démocratie contre la monarchie, l'égalité et les droits sociaux contre l'injustice, etc. ? Or, dans ce domaine aussi du débat sur l'universalisme, les méthodes employées par les dirigeants politiques sont inadaptées. Un seul exemple : les femmes devraient jouer un rôle fondamental. Or où sont-elles ?

Le désert spiritualiste hypothèque-t-il l'avenir de la société et donc du politique ?

Avec le temps, j'ai pris conscience et ai admis que la religion n'est pas que transcendance : elle possède une capacité de création éthique et comporte une part de spiritualité. J'ai su évoluer et quitter peu à peu les excès de l'anticléricalisme et de l'antireligion, lorsque j'ai vu concrètement que ce qui est associé à la religion pouvait servir les plus grands combats humanistes. La première fois, ce fut au Chili. Ceux qui luttaient contre Pinochet n'appartenaient pas tous à la gauche marxiste. Parmi les plus courageux combattants figuraient des prêtres et même le cardinal de Santiago qui un jour refusa au dictateur l'emploi de la cathédrale. Les moines bouddhistes qui aujourd'hui s'immolent pour témoigner contre la tyrannie font eux aussi un noble et terrible sacrifice. La sève spirituelle est donc utile voire précieuse aux causes politiques. Son tarissement est effectivement dommageable.

La société est compartimentée, ségrégée, même ghettoïsée, et en panne de sens. Comment, dans un tel contexte, est-il possible de proposer un projet politique partagé ? La refondation de la gauche a-t-elle, pour préalable, de redéfinir la place - c'est-à-dire les droits et les devoirs - individuelle et collective de l'Homme dans la société, l'économie, et l'entreprise ?

La priorité doit être donnée au "rapport à soi", afin de s'affirmer comme un être libre doté de droits et d'exigences - préférées aux devoirs. L'appel de la liberté a de tout temps guidé l'accomplissement de soi. Au XXe siècle en Europe, il a forgé les plus héroïques actes de résistance, de Stalingrad à Berlin, de Prague à Budapest, et jusque dans la Pologne de Solidarność. Cette aspiration à la liberté, commune à tous les soulèvements révolutionnaires dans les nations soviétisées, avait pour dessein de recouvrer la conscience de soi et de faire respecter les droits fondamentaux. Cette leçon de l'histoire, qui mêle accomplissements individuels et collectifs, la gauche française doit s'en souvenir et même s'en inspirer pour régénérer sa raison d'être et proposer un projet.

En politique comme dans la société ou l'entreprise, le réalisme s'est imposé à toutes les autres formes de raisonnement intellectuel. Ce qui fait rêve, ambition, risque et a fortiori utopie, est balayé par l'obligation d'être dans la réaction, la défense, et le pragmatisme. Ce qui fait ferment à gauche - l'aspiration à la justice sociale, la lutte contre les inégalités, les droits des minorités, l'universalisme des droits fondamentaux - subit le même phénomène. La jeunesse concentre-t-elle encore les principales raisons d'espérer ?

La sensibilité dans l'opinion publique demeure grande. Une partie de la jeunesse s'est laissée séduire par le FN aux dernières élections européennes, mais dans sa majorité elle continue de voter à gauche. Jeunes chercheurs, jeunes enseignants, jeunes intellectuels, jeunes artistes donnent espoir et élaborent des projets. Leur travail fait honneur au monde présent, interroge l'exigence éthique, y compris sur la manière de vivre. Que fais-je de mon corps, de ma sexualité, de mon rapport à l'autre, de mon engagement vis-à-vis de ceux qui se battent à l'autre bout du monde pour l'universalité des droits ?

L'hypothèse, pour la société française, d'une chute ininterrompue demeure la plus vraisemblable. Mais celle d'un redressement n'est bien sûr - et heureusement ! - pas enterrée. À condition de placer en tête des conditions du redressement la capacité et la volonté d'agir.

 Le numéro 122 d'Acteurs de l'économie sera en kiosques le 25 septembre 2014.

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Commentaires 5
à écrit le 24/09/2014 à 10:01
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La simple transformation de "citoyen" en "citoyen du monde" demande beaucoup d’abnégation et un seul "dieu": l'argent!

à écrit le 24/09/2014 à 6:43
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Quand les Hommes vivront d'Amour, il n'y aura plus de misères .....A chacun de nous, puissants et hommes ordinaires d'en faire acte dans notre quotidien.... tous les raisonnements intellectuels, toutes les lois ne transformeront pas ce qui est à l'i...

à écrit le 23/09/2014 à 13:23
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Quand on lit " Le capitalisme financier s'est imposé au capitalisme industriel. Il l'a gangrené et même anéanti. ", on peut mesurer l'inculture économique de ce gauchiste attardé; Le capitalisme est nécessairement financier, et non seulement il n'a p...

à écrit le 23/09/2014 à 13:17
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extraordinaire blabla d'un penseur de gôôôôoche : des banalités encore des banalités, toujours des banalités dignes du CM2

le 23/09/2014 à 19:38
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La gauche est complètement gangrénée par (la) MST ! Merci Touraine...

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