Entreprendre : la solution de la jeune génération

Pour Xavier Kergall, fondateur du Salon des entrepreneurs (11 et 12 juin à Lyon) et David Kimelfeld, vice-président du Grand Lyon en charge du développement économique, l’appétence de la nouvelle génération pour l’esprit d’entreprendre est le résultat d’une prise de conscience collective et de nouveaux modes de communication.
David Kimelfeld, vice-président du Grand Lyon en charge du développement économique, avec Xavier Kergall, fondateur du Salon des entrepreneurs © Laurent Cerino/Acteurs de l'économie

Acteurs de l'économie: Diffuser l'esprit d'entreprendre à la jeune génération est aujourd'hui une « nécessité » pour assurer la croissance future de la France. C'est même devenu un enjeu politique. Quelle définition en feriez-vous ?

David Kimelfeld : Il pourrait se résumer à l'envie de faire, l'envie d'aller au bout de ses idées dans une recherche de liberté et d'autonomie. Souvent, il s'agit d'une initiative personnelle qui se transforme en un projet collectif et collaboratif. Il transcende aussi la création d'entreprises puisqu'on peut ressentir l'esprit d'entreprendre et ne jamais créer sa structure.

Xavier Kergall : L'esprit d'entreprendre est la combinaison de plusieurs facteurs : l'innovation, la liberté, l'autonomie, l'action, la créativité et la responsabilité. L'esprit d'entreprendre est devenu, avec les années, transversal et n'est pas réservé uniquement aux créateurs d'entreprise. On retrouve ainsi l'esprit d'entreprendre dans les grands groupes, dans la fonction publique, ou même dans la médecine.

Comment l'esprit d'entreprendre se traduit-il selon les organisations ?

X.K.: L'évolution de l'esprit d'entreprendre a gagné les organisations publiques comme privées. Les manageurs ont compris qu'ils n'avaient pas d'autre choix que de faire naître l'esprit d'entreprendre pour sauver leurs activités et la croissance de leur entreprise. Seulement depuis peu, cette ouverture à l'esprit d'entreprendre est considéré comme salutaire et bénéfique par les organisations. Les nouvelles technologies, internet et les mails y sont pour beaucoup. Les frontières avec la hiérarchie ont été bousculées et cela a pu libérer les énergies des talents en interne. Ainsi, ils peuvent accéder plus facilement à la création parce que leur supérieur les a identifiés.

D.K.: Auparavant, cet esprit-là était muselé, bridé dans les grands groupes comme dans les collectivités. Pourtant, quand le souffle de l'esprit d'entreprendre est présent dans une entreprise, la croissance est forcément améliorée, la motivation et les conditions de travail des collaborateurs aussi. Il y a également un phénomène générationnel. Les modes de management ont évolué et le management à l'ancienne ne correspond plus aux attentes. Les choses se sont décloisonnées et les modes de communication ont été un accélérateur incroyable.

David Kimelfeld et Xavier Kergall 3

Ces dernières années, on constate que les écoles, les formations, les universités inculquent de plus en plus l'esprit d'entreprendre aux jeunes. La prise de conscience est-elle à la hauteur des enjeux ?

D.K.: Il est certain que nous ne sommes pas, comme d'aucuns voudraient le décrire, dans la situation où l'école ignore complètement le monde de l'entreprise. Des marches ont été franchies mais il faut encore les intensifier sans pour autant minimiser les résistances, car elles existent.

X.K.: Vous croyez que les dentistes à niveau bac + 6 sont formés à être de bons entrepreneurs libéraux ? Il y a encore des efforts à produire dans l'ensemble des formations notamment sur la pratique. Il faut voir comment sont perçus les IUT au sein des universités. Faire bouger les lignes constitue un grand chantier. Cependant on constate tout de même que l'Education nationale en a pris conscience.

Les moyens d'accompagnement et d'aide à la création d'entreprise se sont multipliés. Entreprendre parait plus facile qu'hier. Est-ce le cas ?

X.K.: Oui et non. Oui car on peut aller beaucoup plus vite avec un accompagnement professionnel dès la création. Par contre, lorsque vous entendez des entrepreneurs avertis qui ont une longue expérience, ils vous disent qu'ils étaient moins chahutés en matière de modèle économique. Qu'ils pouvaient s'installer sur un marché, et avoir la paix pendant quelques années. A l'heure actuelle, tout va tellement vite que la concurrence, le low-cost, la mondialisation obligent le créateur à plus de vigilance et à se remettre en question régulièrement.

D.K.: Entreprendre, ce n'est pas simplement une tablette, trois idées et un espace de coworking. Il y a beaucoup de contraintes. Les dispositifs d'accompagnement sont là pour ramener à la réalité les jeunes créateurs, les accompagner et aussi filtrer les projets. Ceci étant, le paradoxe lié à toutes ces initiatives, c'est qu'elles accélèrent aussi la concurrence et donc le besoin d'innover et de trouver un bon modèle économique.

Les créateurs ne sont-ils pas noyés dans un trop grand nombre de dispositifs d'accompagnement, qui se révèlent pour certains plus ou moins efficaces ?

D.K.: Jusqu'à présent, nous ne pouvons pas dire que nous étions dans une suroffre. Mais on sent bien qu'il y a un petit risque. Il faut peut-être provoquer des lieux où les gens se croisent plus souvent, voir s'il n'y a pas des doublons. Pour les collectivités, les années qui s'annoncent seront extrêmement difficiles en matière de financement. Elles devront se poser les bonnes questions. De fait, cela va nous contraindre sur tous les sujets y compris sur le financement des dispositifs d'accompagnement à la création d'entreprise, à mettre fin à certains outils pour renforcer des priorités.

Sur le Grand Lyon, il faudra être plus attentif à regarder les créateurs d'entreprises autour des filières attractives qui constituent notre terreau que d'aller arroser partout dès qu'il y a une idée qui émerge. Nous devons être plus restrictifs que nous ne  l'étions auparavant, ce qui bénéficierait aussi aux créateurs. Je ne souhaiterais pas que la création d'entreprise devienne un espace difficile à déchiffrer, un peu comme le sont aujourd'hui les dispositifs d'insertion. 

X.K.: Nous ne pourrons avoir de la qualité que si nous avons de la quantité au départ. Il faut des armées de projets, d'idées, de créativité, de libéralisation d'énergies pour que des filtres se mettent place En 10 ans, le volume de création d'entreprises a doublé, grâce entre autres, aux réseaux d'accompagnement qui se sont affinés. Ils sont devenus professionnels avec des gens formés et qualifiés qui savent ce qu'est un business plan, un haut de bilan et un bas de bilan…

Le financement est souvent mis en cause comme un frein à la création. Obtenir des fonds pour son entreprise est-il vraiment difficile ? Ou est-ce un faux débat ? 

X.K.: L'argent est là mais le problème est toujours le même : on ne prête qu'aux riches. Si vous avez une entreprise qui commence à tourner avec un petit peu de chiffre d'affaires, de résultats d'exploitation, de beaux projets, et de belles innovations vous allez attirer les convoitises sans difficultés. Malheureusement, les deux premières années, ce n'est pas comme cela. Pour celle et celui qui n'a pas prouvé la viabilité de son modèle économique, la situation est toujours autant difficile. A l'inverse, l'objectif n'est pas d'aller à la chasse aux subventions, de faire uniquement de l'innovation ou de la recherche. L'objectif premier, c'est de produire et de vendre, il faut le rappeler.

Un défaut reproché à certains startupeurs qui cherchent avant tout à lever des fonds plutôt qu'à rendre leur projet viable…

X.K.: La bulle numérique porte une lourde responsabilité : elle a fait croire à des jeunes que l'on pouvait valoriser sur rien, sur du trafic, sur des audiences. Celui qui est en 1ère année d'école de commerce n'y comprend plus rien et se dit : « Je n'ai pas besoin de facturer. Il suffit que mon idée soit bonne, que je lève un peu de fonds, je vends et je pars. » Sauf que cela ne fonctionne pas. Mon souhait serait que dans chaque cours, le professeur commence sa séance par une prière : « Une entreprise qui facture est une entreprise qui perdure. » Si on ne facture pas c'est un non modèle. Nous avons juste oublié les fondamentaux.

D.K.: Je suis toujours frappé par certaines entreprises qui pendant des années n'ont toujours pas facturé le moindre projet. Elles se développent, dans une espèce d'économie particulière avec des gens relativement bien payés, lèvent des fonds et sont soutenues. Mais lorsque l'on fait un arrêt sur image, cela fait réfléchir.

Que pensez-vous du régime auto-entrepreneur ? Un régime remis en cause par le Gouvernement, parfois critiqué mais aussi salué…

D.K.: C'est un bon système mais il ne faut pas qu'il dure trop longtemps. Personne ne peut nier l'intérêt qu'a procuré ce dispositif. Mais comme tout outil, il faut que derrière suivent des accompagnements capables de faire des offres de services à ceux qui ont l'envie d'entreprendre, d'aller plus loin pour leur mettre le pied à l'étrier.

X.K.: L'auto-entreprise est un leurre. Il faudrait revisiter l'appellation. Soixante-quinze pourcents des auto-entrepreneurs ne sont pas entrepreneurs et n'ont aucune envie de l'être. Ce statut leur permet uniquement de réaliser un complément de revenu avec un réceptacle propre pour facturer. Les autres, en revanche, sont véritablement entrepreneurs. Gardons donc ce statut pour eux et modifions le régime pour les premiers.

Entreprendre fait-il rêver les nouvelles générations ?

X.K.: Il y a deux prismes à ce facteur : l'appétence par défaut et par excès. Par excès : les médias et le politique depuis plusieurs années ont tellement labouré l'effet innovation, start-up, réussites des Niel et autres que cela donne envie aux jeunes de se lancer. Ce qui nous manquait un peu en France. Il ne faut pas oublier que pendant 30 ans, les modèles avaient pour noms Tapie et Afflelou. C'est donc une bonne chose. L'appétence par défaut, c'est que les jeunes ont pris conscience que la carrière dans une entreprise, comme l'ont vécu leurs parents, c'est fini. Et le revers de la médaille serait de faire croire que tout le monde peut devenir Xavier Niel. Il faut des modèles de réussites mais ne pas transmettre d'illusions.

D.K.: Très clairement, il existe un engouement. Avec Campus Création  par exemple (dispositif préparatoire à la création d'entreprise pour tous les étudiants de Rhône-Alpes, ndlr), de plus en plus d'étudiants, d'établissements s'inscrivent d'année en année. Le signe fort de cet engouement, c'est qu'auparavant, les entreprises ne s'y intéressaient pas. Cela change. Elles y trouvent enfin un intérêt dans des idées à faire valoir, des jeunes à aller chercher.

 

 

 

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