L'évolution du système éducatif passe-t-elle par une révolution ou une mutation des pratiques ?

« Changer », « réformer », « refonder » à propos de l'école, sont présentés comme des moyens de la « sauver » du péril qui la guette, quand ce mal ne l'a pas déjà rongée. Mais est-on sûr, déjà, que le mal soit bien celui que l'on prétend ? interroge Marie-Pierre Chopin, professeure des universités en sciences de l'éducation (CeDS) à l'Université de Bordeaux.
(Crédits : Pierre-Michel Delessert / Unil)

J'entends cette question, pour le dire d'emblée, d'une façon assez particulière. Elle porte sur la méthodologie du changement en éducation, voire sa posologie : quel mode d'administration du médicament pour réguler le mal qui concerne l'école ? Et si je comprends, aussi, que notre société (dont les élites dirigeantes sont férues de technocratie) puisse attendre avec gourmandise que l'on fournisse la bonne méthode, le bon process, en matière de réforme, je choisirai clairement de ne pas y répondre ; je pense même, en réalité, qu'y répondre relèverait de l'imposture pour quiconque s'y emploierait depuis une autorité scientifique. La raison en est simple : cette question écrase ou considère comme résolu un problème fondamental, celui de la légitimité de l'injonction récurrente, aujourd'hui expresse et quasiment tacite (ce qui est un point particulièrement alarmant) à la refonte/réforme/évolution... du système éducatif.

Deux choses sont ici suggérées, qu'un débat démocratique devrait commencer par discuter : d'une part, que les domaines éducatifs n'évoluent jamais, ce qui est faux (Cf. « La réforme en éducation au 20e siècle en France » (Carrefours de l'éducation, 2016/1, n°42) de B. Poucet et A. Prost), et qui masque en outre l'accélération du rythme de réformes de l'éducation depuis les années 2000 ; d'autre part, que toute réforme vise l'amélioration de ce qui existait avant.

Quelques clics sur la toile suffisent pour voir que les infinitifs « changer », « réformer », « refonder » à propos de l'école, sont présentés comme des moyens de la « sauver » du péril qui la guette, quand ce mal ne l'a pas déjà rongée. Mais est-on sûr, déjà, que le mal soit bien celui que l'on prétend ? Car si pragmatisme et rationalité sont devenus les maîtres mots de l'entreprise des réformateurs, on peut s'étonner qu'ils soient si peu mis au service, de la part de nos gouvernants, de l'objectivation des dysfonctionnements présumés, tant du point de vue de leur existence que de leurs causes réelles. Les analyses existent pourtant (on pourra par exemple se référer aux travaux Bodin et Orange (L'Université n'est pas en crise, 2013) à propos des taux d'échec supposés des premiers cycles universitaires, ou encore à ceux de Trouvé (« L'enquête PISA, un simple outil de comparaison et d'évaluation ?, 2013, https://www.cren.u) concernant la scolarité obligatoire).

Tournebouler

J'avance ainsi que la part de responsabilité incombant aux férus de réformes est grande, à propos des dysfonctionnements du système d'éducation, qu'ils prétendent par ailleurs réguler. De la maternelle à l'université, la multiplication des injonctions au changement, la précipitation dans l'élaboration et la mise en œuvre des lois, et enfin l'inepte habitude à déconstruire ce qui, dans les réformes précédentes, avaient commencé à produire quelques fruits, sont autant d'éléments laissant perplexe quant à la rigueur méthodologique de nos gouvernants dans la gestion du système éducatif. Il est dès lors surprenant que cet appel à la méthode soit dans le même temps si intensément adressé aux acteurs de terrain, pour faire évoluer leur pratique, en rendre compte dans des rapports, ou se conformer aujourd'hui explicitement à des techniques d'enseignement labellisées.

S'il me fallait ainsi choisir un terme plus ajusté à propos de ce que ce mode de gouvernance fait au système éducatif, je puiserais dans le registre familier et désuet de la langue française pour proposer « tournebouler ». Tournebouler : « Retourner, bouleverser, troubler profondément quelqu'un, lui faire perdre la raison, l'esprit. » [CNTRL]. Comptant sur la connotation naïve du terme pour le rendre impropre à figurer comme élément de langage néo-managérial à propos de l'école, j'en soulignerais l'intérêt possiblement démocratique : s'interroger sur la manière dont la frénésie réformiste en éducation participe à faire « perdre l'esprit » à un système qu'il s'agissait au départ de soigner, et sur les enjeux politiques inhérents à cette pathologisation.

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