Quand le Conseil d'État sécurise les entreprises

Frédéric Subra, avocat associé chez Delsol Avocats, décrypte dans cette expertise les enjeux de l'acte anormal de gestion.

On critique souvent notre fiscalité au nom de l'insécurité qu'elle crée pour l'environnement économique des entreprises. Tel est le cas lorsque l'administration fiscale s'essaye à critiquer les décisions de gestion des chefs d'entreprise. Certes, l'administration n'a pas à porter de jugement sur la qualité ou les résultats de la gestion d'une entreprise, le contribuable n'étant pas tenu de tirer des affaires qu'il traite le maximum de profits que les circonstances lui auraient permis de réaliser (CE 7 juillet 1958, n°35977, Dupont p. 575 ; CE 20 décembre 1963, n°52308, Dupont 1964). Ce principe connaît cependant une exception : l'acte anormal de gestion, qui met une dépense ou une perte à la charge de l'entreprise ou qui prive cette dernière d'une recette, sans que l'acte soit justifié par les intérêts de l'exploitation commerciale.

En présence d'un acte anormal de gestion, l'administration fiscale peut redresser les résultats de l'entreprise à concurrence du profit dont elle s'est privée. Si on pouvait penser que l'intérêt de l'exploitation serait le critère unique de l'acte anormal de gestion, la Haute Assemblée a élargi son champ d'application, une prise de risque excessive pouvant caractériser une gestion anormale. Ainsi, les juges du Palais Royal ont pu se fonder sur le caractère excessif du risque pris par un gestionnaire de portefeuille pour rejeter la déductibilité d'une charge (CE 17 octobre 1990, n°83310, Loiseau).

Cette notion a été reprise à propos de détournements de fonds commis par des salariés, la déduction de la perte en résultant pouvant être refusée si, par leur comportement délibéré ou leur carence manifeste dans l'organisation du département et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle, contraires à l'intérêt de l'entreprise, les dirigeants avaient été à l'origine, directe ou indirecte, des détournements en cause (CE 20 octobre 2007, n° 291049, Sté Alcatel CIT). Un pas de plus vers l'insécurité et une immixtion des services fiscaux a été franchi lorsque le Conseil d'État a cru devoir appliquer la théorie du risque manifestement excessif aux avances d'une société mère à sa fille (CE 16 novembre 2011, n° 326913, Sté Fraisen Holding).

Risque

Le salut est venu comme un soleil d'été :

"Indépendamment du cas de détournements rendus possibles par le comportement délibéré ou la carence manifeste des dirigeants, il n'appartient pas à l'administration, dans le cadre d'une gestion commerciale normale, de se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par l'entreprise et notamment pas sur l'ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats" (CE 13 juillet 2016, Section, Sté Monte Paschi Banque).

Cet arrêt marque l'abandon de la théorie du risque manifestement excessif, dans le cadre de relations entre une société mère et sa filiale, mais aussi entre sociétés indépendantes. Hors les cas de détournement pour lesquels la jurisprudence Alcatel reste applicable, l'administration fiscale ne pourra plus réécrire l'histoire a posteriori en mettant en exergue le risque que les décisions du dirigeant auraient fait courir à son entreprise.

Qui connaît la vie des entreprises sait que toute décision de gestion comporte un risque ! Et c'est en prenant des risques qu'une entreprise avance. Il est heureux que la Haute Assemblée, repoussant les tentatives des services fiscaux de restreindre la liberté de gestion des entrepreneurs, leur ait rendu la sécurité leur permettant de développer leurs entreprises.

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