Bientôt, la contraception masculine ?

Méthode hormonale, slip chauffant, vasectomie : les moyens de contraception masculine existent en France depuis les années 80. Pourtant, rares sont les hommes qui y ont recours, malgré une relative prise de conscience de la question. Demain, la contraception masculine sera-t-elle une norme ? Cet article s'inscrit dans le cadre du second forum Génération 2050, organisé par la Tribune avec Acteurs de l'économie, qui se déroule le 3 décembre 2018 à l'Opéra de Lyon.
(Crédits : Elio Prophette)

"En France, on parle beaucoup de sexe mais très peu de sexualité", déplore Daniel Aptekier-Gielibter, 62 ans, co-président de l'Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (ARDECOM).

Alors que la vasectomie fait partie des moyens de contraception présentés sur le site du ministère de la Santé, seuls 0,8% des Français y avaient eu recours en 2013, contre 20% au Royaume-Uni selon ARDECOM.

La méthode hormonale mise au point par le Dr Jean-Claude Soufir, et validée par l'Organisation mondiale de la santé, qui consiste en une injection hebdomadaire de testostérone, n'est pas plus sollicitée. Cette année, le médecin n'aura suivi que 30 hommes.

Son confrère, le Dr Roger Mieusset, n'a guère plus de succès : seul autre praticien à prescrire la méthode hormonale, il a mis au point dans les années 80 un boxer, aussi appelé "slip chauffant", qui remonte les testicules suffisamment près du corps pour stopper la production de spermatozoïdes. Une méthode "sans effets secondaires, indolore et économique" qui n'attire pourtant pas plus d'adeptes.

"Tous les hommes désireux de se "contracepter" sont passés par les Dr Soufir ou MieussetIl y a un blocage culturel, notamment de la part du monde médicalDe nombreux hommes sont en demande mais ne savent pas à qui s'adresser. La culture des médecins sur la contraception est quasiment inexistante" déplore Daniel Aptekier-Gielibter.

Représentations genrées

D'après les travaux de recherche de Cécile Ventola, sociologue à l'Institut national d'études démographiques (INED), ce manque d'intérêt français pour la contraception masculine s'expliquerait par une succession de politiques natalistes, au contraire du Royaume-Uni qui a implanté des politiques de restriction démographique.

Un autre obstacle, évoqué par la démographe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) Mireille Le Guen, se trouve dans les représentations contemporaines de la contraception : c'est un champ clairement défini comme féminin où les hommes ne semblent pas avoir leur place.

François Crochon, sexologue clinicien, ajoute :

"Les réticences des hommes sont purement psycho-sociales, avec des représentations de la masculinité toxiquesPour la plupart, la vasectomie par exemple signifierait une perte de puissance sexuelle. C'est avant tout un problème de stéréotypes et d'idées reçues."

Des méthodes mieux maîtrisées ?

Devant un tel blocage, où trouver des praticiens susceptibles de maîtriser ces différentes méthodes en France ? "C'est pour l'instant très compliqué, reconnaît Daniel Aptekier-Gielibter.

"L'enseignement de l'andrologie médicale mérite d'être mieux organisé qu'il ne l'est actuellement", déplore le Dr Soufir en faisant allusion à la formation de médecine, dans laquelle un seul jour est consacré à la contraception... féminine. L'un des freins à la contraception des hommes reste le manque d'interlocuteurs.

"Aujourd'hui, la prescription de la contraception se fait majoritairement chez le gynécologue. Les hommes n'y ont pas accès, il faudrait qu'ils aient accès à d'autres médecins qui puissent prescrire la contraception masculine", confirme Mireille Le Guen.

Pour l'association Jemaya Innovations, qui commercialise les fameux boxers thermiques contraceptifs, l'avenir repose également sur une meilleure crédibilité de la part du milieu médical.

"Dès que nous aurons les agréments médicaux, un processus long et coûteux, il sera alors possible de passer par d'autres canaux de diffusion, de distribution et d'augmenter considérablement les chiffres", estime Olivier Nago, fondateur de l'association.

L'évolution de la demande est frémissante : Jemaya Innovations a réalisé 35 ventes cette année, même si ces chiffres ont doublé au regard de l'année précédente.

Une demande émergente

Erwan Taverne, auteur du blog Le boulocho, destiné à la promotion de la conception masculine, a adopté le sous-vêtement contraceptif depuis maintenant deux ans. "Je trouvais intéressant de ne pas s'en remettre systématiquement à nos partenaires dans ce domaine" explique-t-il.

Comme lui, de plus en plus d'hommes semblent prêts à prendre en charge leur contraception. Au Planning familial de Grenoble par exemple, les demandes commencent à affluer de la part d'hommes jeunes, célibataires ou en couple, avec ou sans enfants.

"Nous avons reçu une vingtaine de demandes en 2018. Ce n'était pas le cas il y a quelques années. Nous allons proposer la méthode thermique début 2019", confirme l'institution.

A ce rythme-là, ces différentes méthodes de contraception masculine pourraient être prescrites en 2050. Mais peut-être pas encore aussi naturellement que la pilule ou le stérilet aujourd'hui.

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