Hyperloop, la roue de la fortune ?

Depuis son lancement par Elon Musk en 2013, le projet Hyperloop a suscité autant de fantasmes que d'interrogations. L'idée de voir ce train supersonique parcourir les distances les plus courtes en un rien de temps fascine, mais la question de sa viabilité et de sa pérennité économique se pose. Alors que le rythme des investissements en France s'accélère, quelle crédibilité accorder à ce projet qui pourrait révolutionner les transports ?

Fin octobre dernier, Hyperloop Transportation Technologies (HTT) annonçait la construction à Toulouse de son centre de recherche européen et d'un prototype grandeur nature de l'Hyperloop. Cette annonce est le dernier projet en date autour du fameux train du futur initié par le milliardaire Elon Musk. En seulement quatre ans, le pari fou du fondateur de Tesla et de Space X a donné naissance à plusieurs sociétés prêtes à investir de grosses sommes, dans de multiples pays, des Émirats Arabes Unis jusqu'à la Slovaquie. Dans l'Hexagone et particulièrement sur le sol toulousain, l'entité Californienne, qui exploite cette technologie en open source, serait prête à investir "au moins 40 millions de dollars sur cinq ans", assurait Dick Ahlborn, CEO de HTT, lors de la présentation du projet, en janvier 2014.

Ces dernières années, plusieurs projets autour de l'Hyperloop ont été étudiés en France. En plus de l'installation du centre à Toulouse, des discussions ont eu lieu dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. Récemment, les dirigeants de la société canadienne Transpod se sont déplacés à Saint-Etienne pour évoquer une ligne reliant la ville ligérienne à sa voisine lyonnaise, tandis que d'autres projets sont à l'étude en Occitanie, dans le Centre et en Nouvelle-Aquitaine. Nombreux sont les candidats à vouloir accueillir cette capsule propulsée d'une ville à l'autre à la vitesse de 1.100 kilomètres/heure à l'intérieur d'un tube basse pression, pulvérisant ainsi les temps de trajet des modes de transports classiques.

Un modèle économique prétendu viable

Si l'Hyperloop pousse les entreprises à ce genre d'investissements, c'est parce que la viabilité économique du projet ne faire guère de doute, assure ses promoteurs. "Développer une ligne qui ne serait pas rentable n'a pas de sens pour nous", assure à Acteurs de l'économie - La Tribune Thierry Boitier, directeur de l'approvisionnement et des achats chez Transpod. : "Notre modèle de rentabilité est encore confidentiel à ce stade du développement de notre société", tempère cependant le dirigeant, qui explique néanmoins que les simulations réalisées sur la ligne Toronto-Montréal donnent un retour sur investissement de 30 ans environ. "Le projet Hyperloop peut être rentable", martelait également de son côté Dick Ahlborn, qui table sur un retour sur investissement d'ici 10 ans.

Si les données sensibles sont bien évidemment non communiquées par les promoteurs, certains éléments permettent de réfléchir au business model envisagé par ces sociétés. Le prix du voyage qui sera facturé au voyageur est l'un d'entre eux. La société canadienne prétend viser un tarif identique à celui pratiqué pour le transport par rail. Et avance également des informations sur une autre donnée importante : la capacité d'accueil par trajet et le nombre de fréquences. "Nous visons une capacité de 25 passagers par pod (capsule, NDLR) et une capacité de départ toutes les 80 secondes. Différents scénarios sont ensuite à envisager selon les jours de la semaine, la période de l'année, et surtout le nombre de déplacements en fonction de l'heure de la journée. Les systèmes de transport sont généralement modélisés pour absorber les pics de déplacement, quitte à être en sous-capacité en dehors de ces plages horaires".

Transpod ajoute ne pas s'inquiéter pour les coûts de maintenance, que la société estime moins onéreux que ceux du TGV : "Il y a moins de pièces en mouvement et l'infrastructure est plus simple, mais il est encore trop tôt pour avoir une valeur précise", poursuit le dirigeant.

Le coût au kilomètre, l'enjeu majeur

Mais l'un des éléments majeurs à prendre en compte pour interroger la viabilité économique d'un tel projet est le coût de construction du kilomètre de ligne. "Notre étude indique un coût de 29 millions de dollars canadiens (soit 20 millions d'euros, NDLR) par kilomètre, le même prix que pour le TGV", assure Thierry Boitier. Son concurrent américain l'estime pour sa part entre "20 à 50 millions de dollars au kilomètre", en fonction de la topographie de la ligne, expliquait Dick Ahlborn dans les colonnes de nos confrères de La Tribune Toulouse.

Ainsi, pour éviter l'explosion du coût de construction, il faudra choisir soigneusement les territoires afin que le transport réponde à un réel besoin, et qu'il soit géographiquement "rentable" à construire. Et même dans ce cas de figure, le directeur adjoint du Laboratoire Aménagement Economie Transports (LAET), Olivier Klein, se montre dubitatif :

"Le propre de ce genre de travaux, c'est qu'ils sont chargés d'incertitudes en termes de coût, notamment dans les projets souterrains. Un milliard d'euros a par exemple été dépensé simplement pour lever une incertitude géologique sur le projet Lyon/Turin !", explique-t-il.

Selon le chercheur, outre les tunnels, les constructions de gares souterraines sont faisables mais extrêmement chères. S'ajoutent à cette problématique celles du taux de remplissage et des aléas dans les coûts de construction. In fine, Olivier Klein admet avoir "beaucoup de questions quant à la rentabilité de l'Hyperloop".

Aérotrain, Concorde, des désastres industriels

Derrière l'optimisme affiché par les entreprises comme Transpod, la méfiance est donc de mise, ne serait-ce qu'en raison de facteurs historiques. Des exemples de projets ambitieux incitent en effet à la prudence. Citons la mésaventure de l'avion supersonique Concorde, une prouesse technologique qui a tourné au fiasco industriel. Rappelons-nous, aussi, l'Aérotrain, cette navette futuriste développée par Jean Bertin, qui avait atteint la vitesse de 430 km/h en 1970. Après un incroyable enthousiasme, particulièrement dans la presse et au sein d'une partie de la sphère politique -  le projet a été enterré. Sous pression de la SNCF qui développait à la même période le TGV, le président Valéry Giscard d'Estain, aurait mis son véto à ce projet invoquant une conjoncture difficile suite au premier choc pétrolier.

Aérotrain

Aujourd'hui, le cheminot français ne semble pas vouloir faire la même erreur. La filiale de la SNCF Systra a en effet investi dans Virgin Hyperloop One, l'une des sociétés les plus présentes autour de ce projet industriel. Bien que le géant ferroviaire souhaite rester discret sur le montant de ses investissements, son implication atteste de l'ampleur du projet en France. À travers l'engagement de la SNCF, propriété de l'État français, se pose également la question de l'investissement public.

Soutien public balbutiant

 "Les aides publiques sont assez faibles", souffle Thierry Boitier. "Si l'Hyperloop fait de plus en plus parler de lui, nous sommes seulement passés de la phase "c'est utopique" à "cela va arriver, mais quand ?" Nous attendons avec impatience la phase "allons-y", puisque pour l'instant, les investissements sont uniquement privés", tacle le représentant de Transpod.

Pourtant, certaines institutions publiques semblent vouloir aider financièrement l'émergence du train du futur. Lors de la présentation du projet toulousain, la région Occitanie annonçait pouvoir apporter un soutien financier à travers le "contrat d'appui innovation à hauteur de 1 à 5 millions d'euros pour l'immobilier et la R&D". Le préfet de Région, Pascal Mailhos avait indiqué, de son côté, que la société californienne pourrait bénéficier de 15 millions d'euros d'aides dans le cadre du Crédit d'impôt recherche.

Malgré les promesses technologiques, les millions d'euros d'investissement injectés, et le soutien balbutiant des pouvoirs publics, la rentabilité de l'hyperloop est particulièrement difficile à prévoir. Quoi qu'il en soit, ces expérimentations pourraient déboucher sur d'autres applications.

Un rêve impossible ?

Pour Olivier Klein, le pivotement envisageable de la technologie liée à l'hyperloop n'est pas un problème : "Un projet peut avoir d'autres finalités. On peut imaginer qu'il soit finalement un projet qui serve de levier pour drainer de l'argent et mobiliser des forces sociales autour de verrous technologiques, qui pourront être valorisés et utilisés à d'autres usages industriels. Se posera alors la question de comment nous, Français, valoriserons ces avancées technologiques"

Alors qu'Elon Musk parle d'une mise en service commerciale à l'horizon 2021, et si, finalement, ce grand projet n'était qu'un méga programme de recherche et développement ?

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Commentaires 2
à écrit le 11/12/2017 à 17:40
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Ce grand projet n'est même pas un méga programme de recherche et développement, mais une pompe à subventions, et une captation des étudiants sur des projets d’intérêt pour le complexe militaro-industriel. La France devrait plutôt rechercher ses prop...

à écrit le 07/12/2017 à 5:39
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