[TUP 2015] Master Class Éric Dupond-Moretti : "Je me fiche de la vérité"

Le 3 décembre, l’Université Jean-Moulin Lyon 3 accueillait Éric Dupond-Moretti, pour une Master Class programmée dans le cadre du cycle Tout un programme 2015, initié par Acteurs de l’économie en partenariat avec La Tribune, TLM et 8 Mont Blanc. L’avocat pénaliste a évoqué son métier dans un contexte d’hyper-moralisation de la société. À l’opposé de notre « panurgisme », il a plaidé pour la réflexion, le débat contradictoire, le temps de la décision.

L'Université Jean-Moulin Lyon 3 accueille 10 000 étudiants en droit. Logiquement, nombreux sont ceux venus écouter la parole d'Éric Dupond-Moretti lors de la Master Class dont il était l'invité, initiée par Acteurs de l'économie, dans le cadre du cycle "Tout un Programme 2015", et animée par Claude Costechareyre.

Se défendant d'incarner un quelconque combat, l'avocat pénaliste, « vedette » malgré lui, se revendique simplement "citoyen" : "Il faut dire certaines choses. On m'invite pour les dire, j'en profite. Je suis content d'être là."

Défendre un terroriste ?

Aux futurs candidats au métier d'avocat, il a décrit sa conception de sa pratique. On le dit rebelle. Résistant ? Il assène :

"Un avocat discipliné ne serait pas un avocat. D'autant que je ne prends aucun risque en disant ce que j'ai à dire, contrairement à des confrères en Tunisie, par exemple. Je me fiche de la vérité : avocat - ad vocatum -, c'est donner la voix à quelqu'un qui n'en a plus."

Très jeune, il  a été bouleversé par la condamnation à mort en 1976 de Christian Ranucci, de ce sentiment d'injustice a surgi sa vocation pour le métier, qu'il exerce le plus souvent pour défendre des accusés ; plus rarement, le voit-on au côté des parties civiles.

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"Un avocat ne défend pas un crime, mais un homme" (crédit : Laurent Cerino/ADE)

Dès lors, serait-il partant pour défendre des terroristes responsables des attentats de Paris, sujet encore brûlant ?

"Un avocat ne défend pas un crime, mais un homme, il n'est pas au service d'une cause. Si ce terroriste ne me parle que de Dieu, on ne pourra pas dialoguer. La vraie question à lui poser, et qui révélera l'homme c'est : "Pourquoi préférez vous mourir en Syrie à 20 ans plutôt que de vivre dans votre pays ? Comment pouvez vous accepter de vous faire exploser ?""

Lire aussi : Éric Dupond-Moretti : "L'hyper moralisation pourrit notre société"

Tapis rouge pour les victimes

Au fil du temps, il a vu évoluer son métier : "l'intervention de l'avocat, son éloquence ne sont plus les mêmes". Responsables de cette situation étouffante, "l'évolution de la législation avec une procédure pénale qui se contente de mesurettes. On navigue à vue. L'époque des idéologies a vécu. Elle est remplacée par l'hyper-moralisation de la société, l'hygiénisme, le tout sécuritaire."

Dans la ligne de mire d'Éric Dupond-Moretti, clairement en colère : la dictature du politiquement correct, la normalisation et les interdictions qui cadenassent nos vies, le principe de précaution. Et sur le terrain judiciaire, ce tapis rouge déroulé aux victimes pendant les procès et qui relègue l'accusé loin derrière.

"On a créé la catégorie sociale de victime. C'est terrible ! On les enfonce dans leur statut de victime. Comment pourront-ils entamer un processus de résilience ? Je défends la place du doute, qui doit profiter à l'accusé... quitte à acquitter un coupable."

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Plusieurs centaines de personnes ont assisté à la Master Classe initiée par Acteurs de l'économie. (crédit : Laurent Cerino/ADE)

"Adieu les mademoiselles"

Éric Dupond Moretti n'aime pas ces interdictions de fumer de plus en plus prégnantes ; il est consterné par une disposition légale qui interdit l'usage de l'usage du terme "mademoiselle" dans les documents administratifs. Exemples, certes anodins, mais révélateurs de notre société toujours plus normée : "Ces petits abandons entraînent de grands abandons ».

Dans cette optique, que pense-t-il de l'état d'urgence qui se traduit par un abandon de certaines de nos libertés ?

"Je ne suis pas contre, mais il ne doit pas perdurer, car les policiers ne sont plus sous contrôle judiciaire. Je pense surtout que cette situation doit nous faire réfléchir. Nous devons engager une réflexion citoyenne sur l'état d'urgence. Et le mot "guerre" est-il juste dans ce contexte ?"

"Attendons une minute"

L'avocat, en toutes circonstances, voudrait un débat contradictoire, le temps de la réflexion : "Je vous demande de ne pas avoir un regard passionnel. Avant de désigner un coupable, je dis juste : "Attendons une minute"". L'homme, certes habité par des convictions, se cogne aussi à des doutes puissants. Face à ce jeune public avide parfois de réponses bien "packagées", par exemple sur le futur du métier d'avocat, ses conditions d'exercice, il répond : "Je suis dans le brouillard" ou "Je ne peux vous répondre, il me faudrait cinq heures"

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"Être avocat, c'est avoir un sentiment de totale inutilité" (crédit : Laurent Cerino/ADE)

Il tient néanmoins à prévenir les étudiants, sur un mode bien pessimiste :

"En entrant dans la vie professionnelle, vous découvrirez un fossé entre ce que vous avez appris et la réalité. Être avocat, c'est avoir un sentiment de totale inutilité... mais ce serait pire si nous n'étions pas là."

A voir aussi : la conférence dans son intégralité en vidéo

 Retrouvez les moments forts de la conférence en vidéo :

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Commentaire 1
à écrit le 08/12/2015 à 21:59
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Soirée contrastée à Lyon 3 l'autre soir avec Dupont- Moretti. Après un discours (long) un brin moralisateur et complaisant du journaliste d'Acteurs de l'Eco, l'avocat a décliné 90 minutes d'ébauche du paysage juridique, surtout social puis poli...

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