Les limites du modèle de santé de demain

Face aux avancées technologiques, un nouveau système de santé émerge, tant dans les pratiques que dans son mode de financement. Si ses contours commencent à se dessiner, il n’est pas encore aisé d’en appréhender les limites technologiques, économiques et éthiques. Tel était l’enjeu de la conférence-débat intitulée « Médecine de demain, santé 2.0 : jusqu’où ? », organisée ce 8 juin 2015 par Acteurs de l’économie-La Tribune en partenariat avec bioMérieux, à l’Université Claude-Bernard Lyon 1.

En matière médicale, le progrès technologique replace le patient au cœur du système de santé de demain dont il est encore malaisé de tracer précisément les contours. « L'innovation émane de chacun des patients que nous sommes », entame Bertin Nahum, fondateur et Pdg de Medtech, entreprise spécialisée dans le domaine de la robotique chirurgicale.

Du patient au consommateur de santé

« Il ne s'agit plus dès lors de parler de patients, mais bien de consommateurs de santé, prompts à s'approprier leur propre santé. La technologie change les pratiques individuelles », renchérit Alain Pluquet, directeur Innovation de bioMérieux, pionnier dans le domaine du diagnostic in vitro.

Alain Pluquet

Alain Pluquet, directeur innovation de bioMérieux

« Les avancées technologiques, notamment en matière d'information et d'objets connectés, modifient et réinventent la relation médecin-patient, autrefois asymétrique. On assiste à un rééquilibre des savoirs », constate le professeur Franck Chauvin, membre du Haut Conseil de la Santé publique, président de la commission « Évaluation, prospective et stratégie ». « La formation des médecins doit donc être repensée », pose Philippe Kourislky, immunologiste et professeur émérite au Collège de France. « Nous entrons dans l'ère de la co-construction du diagnostic entre le patient et son médecin, le traitement étant souvent établi dans le cadre d'un processus de négociations », avance Franck Chauvin, par ailleurs cancérologue au centre Hygée, centre régional de prévention des cancers.

« Compte tenu de la masse incommensurable de données médicales déjà recueillies, mais qu'il est encore difficile de traiter, n'avons-nous pas quitté l'ère de la médecine 2.0 pour entrer dans la médecine 3.0, celle de la donnée et de son exploitation ? », s'interroge Philippe Kourislky.

Philippe Kourislky

Philippe Kourislky, biologiste, professeur émérite au Collège de France

Financer l'innovation médicale

Ce changement de paradigme oblige à repenser l'organisation même du système de santé. Et celle-ci repose notamment sur son mode de financement. « L'avènement de la technologie met en challenge les modèles économiques traditionnels. Aujourd'hui, le système de santé, proposant un remboursement a posteriori, ne finance pas directement l'innovation, lors même que le patient est demandeur de technologies », déplore Bertin Nahum.

Bertin Nahum

Bertin Nahum, PDG et fondateur de Medtech

Peut-on encore financer un système tel que la Sécurité sociale, quand elle affiche un déficit de quelque 13 milliards d'euros. « Le système tel qu'il existe aujourd'hui ne peut perdurer. Il s'agit d'inventer un modèle composite qui puisse répondre aux exigences particulières du marché de la santé », établit Alain Pluquet, qui prône un modèle apte à prendre en compte l'innovation, participe à son financement et en autorise l'accès au plus grand nombre.

« De l'organisation efficiente d'un système de santé dépend directement l'espérance de vie de ses bénéficiaires, analyse Franck Chauvin. Cet allongement de la durée de vie dans les pays riches — car ce questionnement est un privilège de riches — nous impose de conduire des travaux de prospective quant à la pérennité des systèmes de santé, or ces études font défaut. »

Franck Chauvin

Franck Chauvin, Haut conseil de la santé publique, président de la commission « Évaluation, prospective et stratégie »

L'éthique et la réglementation en débat

Aux limites technologiques et économiques du système de santé de demain s'ajoutent des barrières d'ordre éthique que pose très clairement Philippe Kourislky. La médecine du futur bénéficiera-t-elle au plus grand nombre ? « D'emblée, rappelons que nous sommes tous génétiquement inégaux », fixe l'immunologiste. Aussi sommes-nous inégaux quant à la nécessité de soins. « En outre, évoquons l'éthique de la précaution : ce principe se pose en situation d'incertitude. Mais dans sa version abstentionniste, elle bloque toute innovation », prévient-il. « Enfin, il s'agit de parvenir à une éthique de la réglementation et limiter le développement des réglementations inutiles. »

Une réglementation néanmoins nécessaire pour mettre en place «  un système de régulation de l'accès aux soins et à l'innovation », pour Franck Chauvin, qui soit toujours « pensée et construite à l'avantage du patient », pour Alain Pluquet, « qui pose les limites des avancées technologiques, elles, sans limites », conclut Bertin Nahum.

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