Oui au progrès. Mais quel progrès ?

Le parlement des entrepreneurs d'avenir, qui se tient le 25 novembre à Lyon et auquel "Tout un programme" est associé, aura pour fil conducteur l'innovation. De l'innovation au progrès il n'y a qu'un pas, dont Laurent Alexandre (fondateur de DNA Vision), Frank Debouck (directeur de l'Ecole Centrale Lyon) et Thierry Magnin (physicien et recteur de l'Université catholique de Lyon) exploreront les limites. Si limite il y a...
Laurent Alexandre interviendra le 25 novembre dans le cadre de Tout un programme", lors de la conférence "Le progrès jusqu'où ?""

Le progrès jusqu'où ? Oui, jusqu'où doit-on œuvrer, individuellement et collectivement, à faire progrès, à produire du progrès, à être en progrès ? Jusqu'où ? L'adverbe est de lieu, il est aussi de direction, de périmètre, d'espace. Et bien sûr, de sens. Ce postulat, ce qui l'interroge est légion. Le progrès, qui est à la fois moteur et légitimation de l'innovation, se suffit-il à lui-même ou porte-t-il en lui une justification qui dépasse ce qui le nourrit intrinsèquement ? Doit-il être escorté, même cornaqué par des limites ? Ces dernières, quelles exigences doivent-elles épouser ? Celle d'un sens et d'une utilité altruistes ? Celles d'une préoccupation de l'individu et de l'humanité ? Si c'est le cas, l'établissement de ces limites doit-il résulter d'une morale collective ou d'une éthique personnelle ? Peut-il s'exonérer d'une réflexion spirituelle ? Et alors, dans quel terreau faut-il cultiver ces démarches ? La liste des problématiques qui questionnent la notion de progrès est infinie. Richard Branson commentant l'accident tragique, le 2 novembre, de son vaisseau Spaceshiptwo appelé à effectuer dès 2015 des voyages spatiaux, résume une partie de la problématique : « L'humain a une soif inextinguible de conquête et de progrès ». Certes, mais à quelles fins ?

Un moment inédit de l'histoire

Jamais sans doute dans l'histoire, estiment nombre d'experts, le thème du progrès n'a à ce point interrogé l'humanité dans son ensemble et l'humanité propre à chaque individu. La raison est assez simple : nous sommes à un moment de l'histoire inédit, vers lequel convergent en effet un niveau de progrès technique inédit, une menace sur l'avenir de la planète inédite, une mondialisation tous azimuts inédite, un niveau d'arrogance et de vanité inédit, enfin une confiance dans le « progrès salvateur » elle aussi inédite.

L'histoire démontre que les progrès techniques qu'il a produits ont toujours permis à l'homme de riposter aux dégâts qu'il provoquait. Aujourd'hui, il dispose d'une maîtrise technologique et scientifique inégalée, qui lui laisse penser qu'il trouvera une nouvelle fois la parade aux dommages, notamment environnementaux et sociétaux, dont il est l'auteur. « La technologie va nous sauver de tout, pense-t-on communément. Grâce à elle, nous pourrons reconstituer tout ce que nous détruisons ». Cette logique de la domination par l'homme de ce qui fait obstacle au progrès, s'est définitivement imposée, largement relayée par les armes marketing des puissances financières et industrielles qui en tirent un profit à la fois marchand et d'influence. Il ne date pas d'aujourd'hui, certes.

L'océanographe Gilles Bœuf, également président du Muséum national d'Histoire naturelle, situe son irruption à l'apparition des religions monothéistes, lorsque l'Homme se convainc d'avoir été créé par un être supérieur qui lui confie le droit - voire le devoir - de dompter la nature, de domestiquer son environnement vivant. Il ne date donc pas d'aujourd'hui, mais aujourd'hui la question même de l'emploi du progrès est d'une immense acuité.

Un support libéral aussi formidable qu'inquiétant

Le support libéral et son rayonnement planétaire ont constitué un aussi formidable qu'inquiétant accélérateur du progrès. Formidable parce qu'il a libéré les initiatives, la volonté d'oser et de risquer, la joie de créer et d'inventer. Inquiétant, car il expose le progrès à une soumission effrénée à la cupidité, à la marchandisation, à l'utilitarisme. Effrénée, et à certains égards dangereusement injuste. Les exemples sont innombrables. Comme ces nouveaux médicaments capables d'éradiquer l'hépatite C en quelques semaines pour la modique somme de 76 000 euros finalement ramenés, en France, à 56 000 ; à la fois ils enrichissent démesurément leurs concepteurs-commercialisateurs et pourraient n'être réservés qu'à un aréopage provilégié.

Or, toujours aujourd'hui, nombre de macro-économistes considèrent que le moment est « historique ». Historique parce que le tarissement des gains de productivité et de la croissance est durable, et s'il est durable c'est parce qu'il a pour origine la stabilisation, voire l'épuisement d'une partie du progrès technique. Selon ces « stagnationnistes », nous ne sommes plus dans une période d'innovations fondamentales comme celles que constituèrent l'irruption du chemin de fer, celles de l'électricité ou de l'automobile. Autre frein : le coût de l'innovation technologique est de plus en plus prohibitif. L'industrie pharmaceutique le sait mieux que d'autres : l'individualisation exponentielle de l'approche des soins va l'amener à tendre vers l'individualisation des médicaments eux-mêmes. Imagine-t-on le coût d'un produit spécifique par malade ?

Le transhumanisme en questions

Le progrès scientifique doit bien sûr interroger le progrès social et le progrès humain. Mais qu'est-ce que le progrès humain ? Le transhumanisme, mouvement aspirant à l'amélioration humaine par l'emploi des technologies (ou plus précisément les Nanotechnologies, la Biologie, l'Informatique et les sciences Cognitives), est au cœur du sujet. Il combat le handicap, la maladie, la souffrance, mais aussi le vieillissement et même la mort. Il poursuit un rêve : changer l'Homme. Poussé à son paroxysme, ou plus exactement une fois affranchi de contrainte éthique et propulsé vers l'étape ultime baptisée post-humanisme - un transhumanisme augmenté par l'hybridation avec des circuits électroniques et doté de l'Intelligence Artificielle -, il illustre le phénomène plus large, d'une recherche de la perfection et de l'immortalité, et questionne l'acceptation même des fragilités et des altérités. Le posthumanisme pourrait sonner le glas de l'humanité, pronostique d'ailleurs Laurent Alexandre.

Une dictature du progrès scientifique

Faisons-nous face à la dictature du progrès scientifique ? Des hommes ne tolèrent plus qu'« on » leur résiste, c'est-à-dire qu'« on » entrave leur ambition de progrès et de conquêtes de toutes sortes. « On » matérialise la nature et l'environnement, mais aussi l'humain « insuffisamment » utile ou productif. Est-ce tolérable ? Dans ce contexte, peut-être faut-il se réjouir du plafonnement de certains progrès. En premier lieu celui de l'espérance de vie, l'obsession de la repousser toujours plus loin traduisant le rejet ou la peur d'un vieillissement, d'une finitude et d'une mort qu'il est urgent d'accepter de nouveau, et même de réhabiliter. L'objectif est peut-être d'œuvrer à améliorer les conditions de la mort plutôt qu'à repousser l'échéance de la mort. Mourir dans le bien-être n'est-il pas plus essentiel que de vivre dix années supplémentaires dans la solitude et la souffrance ?

Un principe de précaution délétère

Toutes ces questions posent celle de la gouvernance. De l'arbitrage. Et de l'éthique. Ce sont eux qui permettent d'affecter la science nucléaire à la diffusion de l'électricité plutôt qu'à la fabrication de bombes, ce sont eux qui permettent de distinguer le bon grain de l'ivraie lorsqu'on aborde les OGM ou l'exploitation du gaz de schiste. Ce sont eux qui, s'ils s'étaient montrés à la hauteur, auraient évité à la France de commettre l'irréparable : la constitutionnalisation du principe de précaution. Qui bloque, fige, fossilise bien plus que le progrès : les comportements au quotidien et dans l'entreprise, l'approche du risque, l'exercice même de la responsabilité.

Progrès « utile »

« L'humanité entière est condamnée à vivre et donc à s'entendre avec elle-même. Elle doit accepter de mesurer systématiquement les bienfaits et les méfaits de ses actes, et en évaluer l'irréversibilité des conséquences. Tout cela sans cécité, ni illusions, sans tricher et sans fausses certitudes. Elle doit se réentendre avec elle-même, se réconcilier avec elle-même », exhorte Gilles Bœuf. Le « réveil » de l'humanité passe par une approche d'un progrès utile, résultant d'un grandissement intérieur personnel partagé collectivement. Ce grandissement, c'est-à-dire cette appréhension d'un « sens » et d'une responsabilité inédits, questionne chacun vis-à-vis de lui-même.

"Le progrès jusqu'où ?" Conférence le 25 novembre à 17 h à la Préfecture du Rhône.

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Commentaire 1
à écrit le 25/11/2014 à 13:18
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Vivre sans énergie, ce serait merveilleux. Que ferions nous sans énergie?

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