Nicolas Dufourcq et Olivier Torrès  : "Les entrepreneurs seront les premiers combattants de la reprise économique"

OPINION. L'étude de l'Observatoire Amarok et du Labex Entreprendre (www.observatoire-amarok.net) révèle des entrepreneurs atteints par un risque accru de burnout, la peur de déposer le bilan, et la boulimie de recherche informationnelle - par essence anxiogène. Mais elle met aussi en exergue le renforcement de traits psychologiques déterminants dans le processus résilient, un "capital salutopreneurial" ou "décret de la volonté" qui profiteront tout autant à eux-mêmes qu'à la relance de l'économie. Les explications, par le directeur général de Bpifrance Nicolas Dufourcq et l'universitaire Olivier Torrès.
De gauche à droite : Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance et Olivier Torrès, professeur à l'Université de Montpellier, président-fondateur de Observatoire Amarok.
De gauche à droite : Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance et Olivier Torrès, professeur à l'Université de Montpellier, président-fondateur de Observatoire Amarok. (Crédits : DR)

Depuis le début de cette crise sanitaire, l'Etat n'a cessé d'être à la manœuvre pour soigner, protéger, sécuriser, éduquer, rassurer les Français. Pas moins de 51 ordonnances sont venues compléter, ajuster, élargir, affermir, adapter les contours de l'action publique. Dans de très nombreux domaines, la figure tutélaire de l'Etat s'est muée en Providence à tel point qu'il est commun d'entendre parler d'un Etat fort.

Dans cette nouvelle période de déconfinement, un autre acteur va devoir désormais prendre le relais pour conduire le redémarrage de l'économie : c'est l'entrepreneuriat français, plus précisément les chefs d'entreprises des ETI, des PME, des TPE jusqu'à l'entrepreneur en solo, les artisans, les commerçants, les professionnels libéraux et les agriculteurs.

Il n'y aura pas de redémarrage sans ces femmes et ces hommes, créateurs de richesse et d'emplois. Ils seront les premiers combattants de la reprise économique. Pour les aider, un formidable "pont aérien de cash" a été mis en place par l'Etat et Bpifrance. Mais, cela ne sera pas suffisant, il faut maintenant consommer, travailler, sortir, - bref vivre -, et leur redonner des raisons d'investir.

Un attachement existentiel

Pour autant, les entrepreneurs n'ont pas été épargnés par la crise sanitaire et le confinement. L'étude de l'Observatoire Amarok et du Labex Entreprendre mise en ligne le 11 mai, à partir d'une enquête auprès de 1 900 entrepreneurs, montre que le risque de burnout s'est considérablement accru ces deux derniers mois. Les principaux déterminants de cette dégradation de la santé mentale des chefs d'entreprise sont les sentiments d'impuissance et d'être coincés. Cela veut dire que les chefs d'entreprises déclarent être passés d'un risque de burnout d'épuisement à un risque de burnout d'empêchement.

Toujours selon cette étude, la peur de déposer le bilan est une perspective plus angoissante pour les chefs d'entreprise que celle de contracter gravement le coronavirus. C'est vraiment la confirmation que l'attachement du dirigeant à son entreprise, surtout s'il l'a créée, est existentiel.

"La reprise ne viendra pas que d'en haut, mais plutôt de la mobilisation de toutes les énergies entrepreneuriales."

Se replacer dans des postures créatrices

Résultat plus préoccupant, la vigilance entrepreneuriale (comment le chef d'entreprise se met en posture de saisir une opportunité) ressort comme atrophiée. Cette vigilance entrepreneuriale comporte 3 phases : la recherche d'information, la transformation en idées, et l'évaluation/transformation en projets/opportunités d'affaires.

Or, l'étude montre que cette troisième phase ne se fait plus dans l'esprit des entrepreneurs, à l'inverse de la première phase qui a pris une énorme place, avec son lot d'informations anxiogènes et paralysantes. Il est donc nécessaire de sortir les entrepreneurs de leur boulimie actuelle de recherche informationnelle anxiogène et de les replacer dans des postures de transformation des idées en opportunités d'affaires.

C'est très exactement le langage tenu par les entrepreneurs, réunis au sein du réseau Bpifrance Excellence, ou encore des Accélérateurs de PME ou de filières mis en place depuis 4 ans. Reprendre les actions commerciales le plus vite possible, y compris en dehors des frontières, rappeler un par un les clients pour leur demander leurs besoins, s'assurer du soutien de ses fournisseurs, de ses partenaires, de son banquier, c'est la bonne conduite à tenir pour trouver son salut dans la crise.

La résilience passe par ce retour aux fondamentaux des valeurs entrepreneuriales : centricité client et prise d'initiative. La reprise ne viendra pas que d'en haut, mais plutôt de la mobilisation de toutes les énergies entrepreneuriales.

Afficher le "décret de la volonté" des entrepreneurs

Or, toujours selon la même étude, cette crise a eu un autre effet plus positif que nous souhaitons mettre en lumière. Loin d'être abattu, les entrepreneurs sont l'arme au pied, prêt à livrer bataille. Nous ne sommes pas au seuil d'une étrange défaite, pour reprendre l'expression de Marc Bloch. Bien au contraire, la crise a eu pour effet chez nos entrepreneurs d'accentuer des traits psychologiques qui vont être essentiels dans la période actuelle et à venir : la résilience, la capacité d'adaptation et à résoudre des problèmes, la capacité de donner du sens et à assumer les conséquences de ses actes...

Les corrélations statistiques montrent que tous ces traits ont une double vertu. Ils protègent la santé (ils sont salutogènes) et ils promeuvent l'esprit entrepreneurial. Ils forment ensemble un capital salutopreneurial, véritable "décret de la volonté", qui permettra de réussir la relance de l'économie post Covid-19.

Alors que l'Etat s'active pour prendre des ordonnances, aussi nombreuses que nécessaires, les entrepreneurs ont adopté le "décret de la volonté". Sans cette volonté farouche, rien ne sera simple, rien ne sera permis. Chacun connaît le rôle, positif ou négatif que peut jouer la psychologie des agents économiques sur la conjoncture. Pour rebondir le plus vite possible et sortir de la crise, affichons notre détermination, et adoptons tous le "décret de la volonté" des entrepreneurs.

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Nicolas Dufourcq est directeur général de Bpifrance. Olivier Torrès est professeur à l'Université de Montpellier (MOMA - MRM) et MBS, président-fondateur de Observatoire Amarok, membre du conseil d'orientation de Bpifrance Le Lab.

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Commentaires 5
à écrit le 14/05/2020 à 10:26
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Ouais mais ils en ont peut-être marre un peu de payer toujours plus pour compenser l'évasion fiscale des mégas riches et la paupérisation du salaria générée par celle-ci non ? "Allez les gars on oublie tout et on y retourne !" A un moment ça ...

à écrit le 13/05/2020 à 16:07
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Il me semble que la bonne volonté ne se décrète pas. Oui la reprise se fera à partir de la base, à condition que l'Etat n'assomme pas l'initiarive, la créativité et la volonte de vivre par des tonnes d'ordonnances renforçant la responsabilité pénale ...

à écrit le 13/05/2020 à 15:24
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On vient surtout de s'apercevoir que sans salariés et employés les "entrepreneurs" ne sont rien et que les entreprises restent à l'arrêt. Je leur conseillerai donc de faire preuve d'"un peu de modestie. Ils ne sont qu'un maillon de la chaine et leur ...

le 14/05/2020 à 9:32
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Si cela ne tenait qu’aux salariés, l’économie serait constituée de SCOP florissantes. Force est de constater que la gestion des entreprises par des salariés sans un véritable entrepreneur avec une vision, une force de caractère et une multitude de c...

le 30/04/2021 à 17:34
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Le gros risque c'est de ne pas retrouver à la reprise le personnel expérimenté et sous-payé bien entendu, pourquoi se gêner, qui aura trouvé du goût au changement, et j'entend beaucoup de jeunes en parler. C'est trop facile de doubler son salaire qu...

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