[TUP 2015] Faisons "ville ensemble"

Les progrès technologiques profitent aux villes, c'est-à-dire que l'intelligence technologique façonne de plus en plus le quotidien et l'avenir des agglomérations. Mais cette intelligence sait-elle composer avec celle des habitants ? Sert-elle leur volonté et/ou leur nécessité d'être acteurs et entrepreneurs de leur ville ? Nourrit-elle l'identité et les valeurs dans le creuset desquelles ces habitants sont citoyens et décideurs de leur ville ? Bref, à quelles conditions l'intelligence technologique honore-t-elle l'intelligence humaine pour que la ville soit humanité ? Rendez-vous à l'IAE Lyon le 19 novembre pour en débattre dans le cadre de Tout un programme.
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)

Dans quelle ville voulons-nous vivre ? Dans quelle ville voulons-nous travailler, apprendre, nous cultiver, élever nos enfants ? Quel type de ville peut nous proposer matière à construire une trajectoire de vie, professionnelle et personnelle, affective et amicale, qui ait un « sens », qui ait une justification ? Bref, qu'attendons-nous de la ville ?
Certes, et c'est un droit, nombre de citoyens entretiennent à l'égard de leur ville une relation en premier lieu de consommateur. Je paye des impôts locaux, la municipalité me doit les prestations de base, celles qui assurent le confort quotidien des déplacements, du ramassage des ordures, de la crèche (quand il y en a), de l'eau, etc. Mais de cela peut-on se satisfaire ? Oui si à cette ville, ces rues, ces quartiers, cette histoire, si aux offres de toutes natures, rien ne nous lie. Non, bien sûr, si l'on décide que de la qualité de la ville - qualité de l'urbanisme, qualité de l'air, qualité des déplacements, qualité de la démocratie locale, qualité des offres culturelles et éducationnelles, qualité économique, qualité humaine tout simplement - dépend, en grande partie, la manière dont on conçoit puis dont on bâtit son existence et ses convictions d'Homme et de citoyen.

Sympathie et empathie

Etre Homme et être citoyen, c'est être en sympathie avec le territoire dans lequel on vit. Et pour être en sympathie avec le territoire, il faut être en empathie avec (toute) la matière vivante, bien sûr humaine mais aussi végétale, animale, celle qui vit dans les airs, les arbres, les fleuves. Etre simultanément en sympathie et en empathie, c'est accepter que la vocation première de la ville est de créer du lien et même un lien de réciprocité, c'est-à-dire d'initier les conditions de nouer des relations humaines articulées autour de principes (de collaboration, de coopération, de subordination, de subsidiarité, de suppléance, etc.). Alors on n'est plus seulement consommateur de sa ville : on devient acteur de sa ville, c'est-à-dire entrepreneur de sa ville et dans sa ville.

Simplicité

Etre décideur de sa ville n'a pas pour seule scène le scrutin municipal, tous les six ans. Et être dans ce lien de réciprocité signifie être conscient de ce que l'on reçoit de sa ville pour accepter de lui donner. Donner, c'est être engagé dans les associations locales, c'est militer politiquement, c'est lancer des initiatives de quartiers, aussi modestes soient-elles. Ce don, on l'exprime aussi sur son lieu de travail, auprès des commerçants, dans l'école de ses enfants. Le lien est simple, la ville - lorsque sa taille le permet, bien sûr - rappelle que les liens les plus riches, les plus denses, les plus utiles ne sont pas ceux cultivés à l'autre bout du monde via un réseau social et des vecteurs virtuels ; non ces liens riches prospèrent dans la proximité la plus proche, dans la simplicité des relations les plus simples.

« Faire commun »

En l'occurrence, fleurissent aujourd'hui nombre d'initiatives qui honorent le principe de « faire commun » et rééquilibrent la nécessité d'individualité au profit du collectif. Echanges de services, habitats groupés, jardins partagés, fablabs citoyens, monnaies locales, gestion collective des ressources et de l'énergie, etc. Ces initiatives font appel non aux technologies les plus pointues mais aux rapports humains les plus modestes, elles réinventent les principes de concertation et de participation, elles contribuent à modeler « l'intelligence » de la ville. Et invitent à s'approprier la ville. Et cela correspond à un besoin réel si l'on en juge la victoire du mouvement des Confluences citoyennes à Barcelone et à Madrid.

Exemplarité

On a le droit d'« exiger » de la ville (et de sa municipalité) à condition, toujours dans cette dimension de réciprocité, d'être soi-même exemplaire dans sa ville. Pourquoi serais-je considéré par les autres si je ne les considère pas moi-même ? Pourquoi l'édile et ses équipes devraient-ils se préoccuper de moi si je ne manifeste aucun intérêt pour le territoire qu'ils administrent et qui est aussi « mon » territoire ? Bien sûr, la formidable mobilité, en premier lieu professionnelle, caractéristique de l'époque contemporaine peut sembler un obstacle à l'enracinement dans la ville, à l'investissement de soi dans la ville. Fausse excuse, comme en témoigne l'implication de ceux qui, pourtant de passage, décident d'être acteurs, même momentanés, de leur ville.

Identité et valeurs

Qu'ont donc en commun les villes qui arrivent à provoquer cet attachement, à éveiller cette détermination, à susciter le sentiment d'appartenance ? Elles ont une identité. Et pour cela, elles ont des valeurs. Lesquelles d'ailleurs irradient parfois si puissamment qu'elles atteignent les « étrangers ». Qui donc ne s'est pas senti « chez lui » dans le dédale du vieux Québec ou sur les hauteurs de Lisbonne, parce que ces lieux exhalent une atmosphère particulière, propice à accueillir, et à dire : vous êtes ici chez vous. Se savoir accueilli conditionne de manière capitale la volonté de s'investir dans la ville.

« Faire ville »

Quelles peuvent être ces valeurs ? L'éventail est considérable. On peut citer la préoccupation du patrimoine, celle du développement économique, celle de l'accueil (de tous : entreprises, touristes, étudiants étrangers, artistes, et pourquoi pas simples vagabonds). La préoccupation aussi de l'accès, de toutes les formes d'accès, en premier lieu à la connaissance, à l'éducation, à l'art. D'autres valeurs, moins visibles, participent de manière tout aussi essentielle à faire ville, à l'identité de la ville. Par exemple, que fait la ville pour être juste, que fait-elle pour que l'alchimie des identités, des générations, des trajectoires sociales soit une réalité - mais une réalité sans démagogie c'est-à-dire réaliste et supportable ?

Utilité réciproque

Que fait la ville pour chasser le spectre des communautarismes, des ségrégations, des ghettoïsations de toutes sortes, que fait-elle pour demeurer une terre d'accueil et qui jugule plutôt qu'elle n'aggrave les inégalités - là encore protéiforme, sans oublier par exemple l'emploi des nouvelles technologies. Que fait-elle aussi pour faire foisonner prises de risque et d'initiative, esprits d'innover et d'entreprendre, hybridation et ramifications ? Que fait-elle enfin, et cela ne doit pas être négligé au nom de quelque idéologie démagogique, pour assurer la sécurité des lieux, des biens, des personnes ? In fine, que fait-elle, y compris dans son modèle de démocratie, pour être utile au plus grand nombre et ainsi motiver le plus grand nombre à lui être utile ?

Les convictions de Bertrand Piccard

Une terminologie revient sans cesse, au point d'ailleurs d'être instrumentalisée et galvaudée sans retenue. Et pourtant elle illustre bien ce vers quoi toute ville, c'est-à-dire toute municipalité et toute population - enracinée, de passage, ou même touriste - doivent tendre main dans la main : la qualité du « vivre-ensemble », celle qui motive aujourd'hui les programmes « développement durable des grandes métropoles », de Hong Kong à Vancouver, celle qui convainc le Suisse Bertrand Piccard, pilote de Solar Impulse, d'affirmer dans les colonnes du prochain numéro d'Acteurs de l'économie que « des villes du futur, grandes, propres et humaines, c'est possible » !

Intelligences technologique et humaine indivisibles

Mais l'intelligence n'est pas que progrès technologique, il n'y a pas d'intelligence technologique sans intelligence humaine. Et il n'y a pas d'intelligence collective si les intelligences individuelles ne décident pas de se mettre en relation, en perspective les unes des autres, et pour cela la volonté de vivre-ensemble et le plaisir de vivre-ensemble sont déterminants. Développer l'intelligence technologique de la ville est essentiel, permettre grâce à cette intelligence technologique de favoriser le croisement et la capillarité des intelligences individuelles, éclatées et parfois lointaines géographiquement, est essentiel, chercher à ériger une ville intelligente sous toutes ses formes est essentiel. Mais dans cet essentiel, le plus essentiel est certainement de cultiver l'intelligence d'entreprendre, de créer, de partager, de recevoir, de donner.

Bref, l'intelligence de l'humanité, à partir de laquelle chacun peut et même doit considérer la ville comme un bien commun. Et ainsi alors œuvrer à « faire ville ensemble ». En définitive, la ville intelligente n'a qu'un seul véritable dessein : faire grandir l'intelligence de ceux qu'elle abrite. A l'heure d'honorer la mémoire des victimes de la folie fondamentaliste et obscurantiste qui a frappé Paris, la nécessité de favoriser cette intelligence prend une dimension inédite.

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