« Une claque »

Il s'appelle Pierre*. Cadre dirigeant en région d'une grande institution de retraite et de prévoyance, et récemment évincé, il a fait l'expérience du jeu, de la stratégie, comme des illusions et des perversités des réseaux.

Il en connaissait et exploitait les vertus - notamment celle d'y puiser matière à exercer le pouvoir décisionnel - Cette conscience de leur puissance et de leurs dégâts, il a commencé de véritablement la saisir à l'occasion du « mariage » de son employeur mutualiste avec un colosse de l'assurance. Citant Machiavel et « l'importance d'avoir une communication permanente et mesurée », il consacre alors à cette discipline « 70% de son temps » chaque fois qu'il franchit les portes du siège : « Ne brusquer personne », penser à chacun, rencontrer les hiérarques clés et se positionner auprès d'eux. « Plus on s'élève dans l'organigramme, plus ce travail est essentiel ». « Malheureusement », il n'est pas dans le réseau idoine, celui qui va progressivement gagner, s'emparer des postes clés, imposer sa culture. Une fois l'un des dirigeants majeurs écarté, lui qui était de « son » réseau depuis une vingtaine d'années, connaît la même condamnation.

Fier

Il en sort amer, mais « fier ». Fier d'être demeuré « fidèle » à ses amitiés professionnelles et intellectuelles et à ses convictions, fier « de ne pas avoir perdu (son) âme ». « Le n°3 du groupe justifia mon évincement par le fait, justement, que je n'ai pas voulu rentrer dans le rang ». D'autres franchiront le Rubicon de la di(sso)lution identitaire. « Pour être acceptés dans les « bons » réseaux internes et poursuivre leur carrière », des collaborateurs « changeront physiquement, de coiffure comme de vêtements », endosseront de nouveaux codes de conduite, gommeront ce qui faisait leur singularité pour s'approprier les « manières de « penser » et de « faire » propres au vainqueur ». Par pleutrerie, peu, ou cynisme, ils renoncent à un fondement de leur personnalité - et conséquemment celle de l'entreprise - : « la liberté de penser, de se comporter, de contester, de proposer… Chez certains, la métamorphose fut époustouflante ». Pierre l'affirme, une telle situation constitue une « mise à l'épreuve de son intégrité ». Aussi une « découverte » : celle des réseaux internes informels et mouvants, exclusivement utilitaristes, qui ondoient au gré de l'intérêt du moment, que d'aucuns embrassent, repoussent, puis courtisent de nouveau, qui rythment l'entreprise mais en sclérosent la dynamique.

Leçon

Cette « découverte » fut une claque. Toutefois moins violente et déstabilisante que celle qui l'affecta dans le sillage de son départ. Là, il fit l'expérience de la liquéfaction du «réseau », celui des appuis, des « amis », des partenaires. « Sans emploi, je ne leur étais plus d'intérêt ». Il perd rapidement confiance, tenté d'interpréter cet écroulement comme la manifestation de son inutilité, de sa non contribution à la collectivité, celle d'abord de l'entreprise et de sa profession, celle aussi de la sphère sociale, familiale, amicale. « C'est une leçon sur la nature humaine ». D'aucuns tournèrent les talons. « Particulièrement ceux qui étaient dans des rôles élevés de responsabilité et de pouvoir ». Son carnet d'adresses aussitôt dégonfla considérablement. Lequel, il le sait, ressuscitera tout aussi hâtivement une fois qu'il aura réintégré l'échiquier professionnel. « C'est le jeu de relations fondées sur le partage d'intérêts. » Il n'empêche, de l'expérience il extraira une leçon : celle dorénavant de considérer avec « précaution, prudence, et lucidité » les relations qui composeront son nouveau réseau.

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