Luiz Seabra : « Il faut croire aux pouvoirs du rêve »

En 1969, Luiz Seabra créait Natura selon des principes d'éthique sociale, sociétale, environnementale, managériale inédits, portés par une préoccupation humaniste et une conscience des « relations » - à la nature, aux producteurs, aux fournisseurs, aux salariés… - qu'il fécondait dans un singulier attachement à la pensée des philosophes grecs et français. Quarante ans plus tard, ce fabricant brésilien de produits de cosmétologie emploie 700 000 personnes, réalise 1,17 milliard d'euros de chiffre d'affaires, et démontre que le « rêve » d'une économie et d'une entreprise « différentes » n'est pas chimère.

Les fondations sociales, sociétales, environnementales, sur lesquelles vous avez bâti Natura il y a bientôt quarante ans font de vous un pionnier. Et vous habilitent à décortiquer le monde tel qu'il est devenu, tel qu'il peut espérer rebondir. Vous considérez que « nous sommes à la veille d'une transformation ». De quels maux la planète souffre-t-elle ? Qu'est-il réaliste d'espérer ?

 

Vaste question, qui appelle une réponse d'ordre général car entrer dans le détail ferait courir le risque d'être réducteur. Si l'on considère la société d'après l'ère de l'industrialisation, force est de constater que l'on est entré dans la société de la « fragmentation » ; et aussi des excès de l'individualisme. L'une des conséquences du progrès technologique a été la spécialisation croissante des forces vives, avec bien des priorités accordées au « singulier », au particulier ; ce qui a conduit au déclin du sens du « tout », à l'érosion de la conscience du collectif. En France, vous avez une expression qui résume bien ce mode de fonctionnement : « Après moi, le déluge » !
Ce défaut de la pensée « systémique », cette perte d'une vision d'ensemble de tout un système, de toute une société, Spinoza montre bien qu'ils conduisent à des maux tels que l'égoïsme, à la dilution du sens des responsabilités. Regardez ce qu'ont fait, par exemple, nombre d'industriels : ils ont produit et produit encore, sans concentrer leur attention sur les effets de cette production sur la vie, sur le cadre de vie. Que peut-on espérer ?
Ici, on touche au cœur de la façon dont nous avons rêvé le projet pour bâtir Natura. Nous avons toujours cru aux pouvoirs du rêve, et nous espérons, nous rêvons éveillés car nos rêves d'un monde « meilleur », sur les plans environnemental et sociétal, nous ont conduits depuis la création de Natura à agir dans une certaine direction. Et il se trouve que le monde lui-même se prend à entrer de plus en plus dans ce rêve… Regardez du côté des Etats-Unis : la fin d'une administration va faire changer bien des comportements, bien des modes de production, notamment en ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

 

En quoi cette auscultation donne-t-elle une résonance particulière à ce que vous développez dans votre entreprise ? Qu'est-ce qui, concrètement, donne crédit à votre définition de Natura, « une entreprise d'innovation sociale qui ne fait pas de ses salariés des machines à faire du profit et qui a des engagements vis-à-vis du reste du monde » ?

 

La notion de « sustainability », baptisée en France « développement durable », est dotée d'une dimension sociale indissociable de la notion de protection du cadre de vie. Il s'agit d'un tout, et c'est dans cet esprit que nous avons élaboré, chez Natura, un principe de gestion du développement durable spécifique, qui s'appuie sur trois pôles, essentiels à nos yeux. Nous cherchons des profits quand nos résultats répondent aux exigences du principe du « triple bottom line » : « ce doit être bon pour l'entreprise, bon pour toute la société et bon pour la planète ». Ces critères sont au cœur de toutes nos initiatives, et nous ne cessons de développer ce courant de conscience, tant en interne qu'auprès de nos partenaires, de nos fournisseurs, en espérant qu'il puisse intéresser voire inspirer d'autres groupes. Nous n'avons pas la prétention d'être plus que cela, nous ne nous considérons pas comme étant le seul rempart contre tous les maux qui agressent ou menacent la planète.

 

L'aspect social, auprès des fournisseurs, des communautés locales, des salariés et des 700 000 vendeurs à domicile, au statut précaire, est au cœur des engagements de votre société. En cela vous vous distinguez du seul volet écologique et environnemental auquel est fréquemment circonscrite la politique de développement durable. Que réalisez-vous ?

 

Ce que nous faisons avant tout, c'est former des gens, simples, dans les villes comme à la campagne. Nos « consultoras » ou conseillères, nous les accompagnons d'abord tout au long d'un cycle où nous traitons de sujets multiples, d'un ensemble de questions relatives à la peau, à l'hygiène, à l'apparence… C'est après, seulement, qu'elles entrent dans le processus commercial, dans la phase de la participation aux résultats.
Vous parlez de « statut précaire ». C'est exact, mais il faut mettre en perspective la manière dont elles collaborent avec Natura et les portes qui s'ouvrent à elles. Nous les incitons à pré-vendre les produits en organisant des réunions au cours desquelles elles ont tout le loisir d'apprécier le « good will » de leurs interlocuteurs. Durant ces rencontres entre amies, elles testent leur marché, perçoivent et quantifient les désirs d'achat, et c'est seulement quand elles sont assurées de vendre qu'elles passent commande. Une fois que nos produits leur ont été livrés, elles disposent de vingt et un jours pour régler cette commande. Au fil du temps, ce système leur permet de gagner de l'argent, de s'insérer dans une dynamique jusqu'ici bien éloignée de leur quotidien.
Dans les pays émergents, le grand problème, c'est d'abord l'accession aux circuits des richesses et des revenus. Avec Natura, des générations nouvelles se dessinent, celles de toutes ces femmes qui découvrent « l'émergence sociale ». Au sein de notre unité de production de Cajamar, la direction du développement social n'a qu'une mission : initier et mettre en œuvre toute notre politique au service de la collectivité, dans le domaine de l'éducation, notamment. Au cœur même de nos installations, une vaste crèche est à la disposition des jeunes mamans. Elles y confient leur bébé, en arrivant au travail, et, au cours de la journée, elles peuvent s'absenter de leur bureau, de leur laboratoire ou de leur atelier, aussi souvent que nécessaire, pour allaiter, bien sûr, ou simplement pour rendre visite à l'enfant.
Sur le plan local, Natura soutient plusieurs projets d'associations municipales ou régionales, encourage les initiatives personnelles qui, aux côtés de la mairie, touchent à la vie de la cité : campagnes contre l'abstention, autres actions où civisme et environnement, notamment, sont intimement associés - l'apprentissage du recyclage des déchets, par exemple. Sur le plan national, le programme « Crer Para Ver » (Croire pour Voir), se consacre à l'éducation des enfants. Il a pour objectif d'améliorer la qualité de l'enseignement, dans tout le Brésil. Depuis 1995, Natura a ainsi soutenu 161 projets au profit de 3 260 écoles publiques, au bénéfice de 1,5 million d'élèves. Nous avons aussi initié des écoles de musique ; elles sont de précieuses alliées, dès lors qu'il s'agit de détourner de la rue, de la violence, les enfants des « favelas ».
Quant à nos partenaires, notamment les communautés traditionnelles de la forêt, nous tenons à avoir, avec eux aussi, le même type de relations, fondées sur le partage, la formation, l'échange. Eux sont riches de traditions, de connaissances des secrets de la nature, et nous, nous nous en rapprochons en apportant notre expérience dans le domaine des cosmétiques et du développement durable. Ainsi, auprès de la communauté d'Iratapuru, en Amazonie, nous achetons l'huile de Castanha, extraite de la noix du Brésil. A chaque cueillette, toutes les familles qui composent cette communauté se plient volontiers à nos recommandations, veillent à toujours laisser une partie de la récolte sur le sol. Les animaux peuvent, ainsi, continuer de se nourrir. L'équilibre de la flore et de la faune est préservé.
Toutes nos relations avec les fournisseurs reposent sur ce partage constant des connaissances. Et sur une éthique qui nous conduit, par exemple, à les inciter à diversifier leurs activités, de manière à ne pas dépendre des seuls échanges avec Natura.

 

Dans la gouvernance que vous avez adoptée, qu'est-ce qui la singularise et en fait un pivot de votre politique sociale ?

 

Natura a fait sien le « bem estar bem » : le « bien être bien ». Etre bien avec soi-même, tout en étant bien avec les autres. La recherche de cette forme d'épanouissement, où équilibres individuel et collectif se rejoignent, dans notre cadre de vie le plus quotidien mais aussi dans notre relation à l'environnement et à la planète. C'est le fil d'Ariane de toutes les orientations du groupe. En nous efforçant d'approcher au plus près du « bem estar bem », nous mettons en œuvre une recherche et un développement, une production, une distribution, qui nous gratifient de la confiance et de la reconnaissance d'associations indépendantes faisant autorité dans le domaine social et environnemental. Nous avons notamment été admis au Comité 21, car nous en appliquons tous les principes. De plus, au Brésil, Natura est cotée à la bourse de Sao Paolo, dans le « novo mercado » Un « nouveau marché » particulièrement exigeant, où ne sont répertoriées que les sociétés répondant aux normes très strictes qui permettent d'être officiellement reconnues comme une entreprise éco citoyenne.

 

Vous êtes féru de philosophie, et notamment d'auteurs français. Qu'y puisez-vous dans votre logique entrepreneuriale ? Que vous ont appris Baudelaire ou Voltaire sur l'entreprise et sur cet humanisme dont vous faites le terreau de votre trajectoire entrepreneuriale ?

 

Les auteurs français que je cite le plus souvent sont Montaigne et Teilhard de Chardin. Le premier, et c'est essentiel à mes yeux, a été le grand philosophe de cette estime de soi qu'à mon échelle, par la cosmétique et nos valeurs, j'espère pouvoir communiquer. Quant à Teilhard de Chardin, il a grandement influencé ma vision de la vie.
Très modestement, moi aussi je crois aux pouvoirs d'une vie intérieure, riche, qui permet « d'entendre notre âme », de puiser « dans l'autre » un écho de soi-même, une résonance. Rechercher cette osmose, cette raison de vivre plus haute que notre « petite » personne, c'est approcher l'absolu de la félicité. Baudelaire et Voltaire ont tous deux été des libres penseurs, des rebelles. Ils ont constamment dénoncé les automatismes de la pensée, la banalisation de la vie. C'est sur cette voie que j'ai tenu à engager Natura, dès sa création, en posant un autre regard sur la beauté, sur la cosmétique. En tant qu'entrepreneur, je m'efforce toujours de dépasser la gestion « étroite » des affaires, en me fixant un objectif plus élevé, moins égoïste, moins « cynique », plus noble.

 

Votre logique est fondée sur une conviction : « Chacun fait partie d'un tout ». Et prend pour socle « la relation », celle de soi à soi-même, celle de soi vers l'autre. D'autre part, vous considérez du devoir des entrepreneurs de participer à « l'éveil de la conscience collective », dont vous faites la principale urgence de l'humanité. A quelles conditions l'entreprise et le travail peuvent-ils autoriser de tels vœux ?

 

Le mot « travail » est issu du latin « tripalium », un instrument de supplice, de torture. En général, effectivement, lorsqu'il s'agit de travail, nous observons une opposition, une tension, entre le patron, d'un côté, qui raisonne « profits », et l'ouvrier, de l'autre, qui pense « salaire ». Tous deux ont une vision parcellaire, limitée. Si l'on cherche à sortir de ce carcan, le travail s'inscrit dans un autre type de relations… plus rondes, plus harmonieuses. Comment dépasser ces limites de la pensée unique, tout au long du cycle du travail ? Par l'amour, mais oui !... Un amour qui, dans ce cadre, s'exprime par le biais de l'éthique. En initiant une éthique, en respectant ses valeurs, on dépasse la notion réductrice de « travail-exploitation » pour entrer dans une autre dimension. La « balance » tend de plus en plus vers l'équilibre.

 

Vous dites qu'il faut « se créer un but plus important que soi », tout en reconnaissant votre naïveté, que vous préférez au cynisme. Faut-il croire que le moment est venu pour le cynisme de se retirer, même modestement ?

 

Le cynisme est un état d'esprit que la société commence à combattre activement. Regardez ce à quoi on assiste en ces temps de crise mondiale ; le capitalisme « sauvage », cynique, a engendré sa propre perte. Je crois en l'intelligence du cœur, aux « forces de l'esprit », pour reprendre la formule de l'un de vos Présidents. Cette forme d'intelligence s'exprime dans un espace-temps aussi vaste, riche et précieux, que la vie elle-même. Si le respect de la vie, des autres, m'impose quelque chose qui va à l'encontre de mon intérêt immédiat, je me dois de l'accepter. La technocratie, dans l'industrie, ne peut pas être aux commandes, dès lors que l'on est engagé en faveur de la protection de l'environnement. C'est bien dans cet esprit que Natura a conduit son développement. Dès 1984, nous introduisions les premiers produits rechargeables, afin de limiter l'impact de nos déchets sur l'environnement, et aussi, les dépenses de nos clients. Nous sommes, également, parmi les groupes leaders dans le domaine de l'étude du cycle de vie des produits. Tout ceci a un coût, certes, que nous essayons de répercuter le moins possible sur nos prix de vente. Quant à notre programme « Carbone neutre », en faveur de la réduction des gaz à effet de serre, lui aussi impose des investissements considérables, mais indispensables, afin que, en cinq ans, nous compensions la totalité de nos émissions de CO2.

 

D'aucuns peuvent être surpris par l'écart entre d'une part la profondeur, la gravité qui caractérisent votre réflexion sur l'entreprise et votre politique environnementale, sociétale, sociale, et d'autre part la légèreté de votre activité - les shampoings et autres rouges à lèvre ne semblant guère être vitaux…-. Votre logique résulte-t-elle de la conviction « qu'il faut aimer son corps pour apprendre à aimer l'autre » ?

 

Jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans, je pensais aussi que la cosmétique n'était que futilité. Mais alors que Natura prenait corps, je me suis rapidement aperçu que ce n'était qu'un préjugé. Non, même s'il peut le sembler à première vue, notre activité ne peut pas être réduite à une occupation dite « légère » ou superficielle. S'occuper de soi, prendre soin de son corps, de son apparence, ce n'est ni de la vanité, ni du nombrilisme. Il s'agit avant tout d'hygiène. Que seraient les déplacements en métro, à six heures du soir, si personne n'utilisait de déodorant ? Il s'agit, aussi, d'être davantage en accord avec soi-même, d'être plus sûr de soi, d'embellir sa vie, la vie, les relations. Quand une femme se passe du rouge à lèvres, il s'opère une alchimie qui est bien loin de cette légèreté, réductrice, que vous évoquez. Cette touche de rouge éclaire bien plus que sa bouche, elle éclaire le regard qu'elle pose, et que l'on pose, sur elle. Je vous renvoie à Montaigne, quand il confie que la plus grande disgrâce, la plus grande tragédie, c'est de ne pas s'accepter soi-même, de ne pas s'aimer.
Quant à la légèreté, elle est plutôt dans la façon dont on a vulgarisé la beauté et manipulé les consommatrices avec les différents stéréotypes. Plus que de la légèreté, j'aimerais parler de crime culturel.

 

« Il faut être en recherche de la beauté », estimez-vous. L'Homme embellit-il ou infecte-t-il la beauté ?

 

Qu'entendez-vous par « beauté » ? Chez Natura, la beauté a le sens que lui inspire l'approche des grands philosophes de la Grèce antique. Elle relève de la synergie entre le corps et l'esprit. Pour nous, la beauté est dans tout ce qui porte l'empreinte du spirituel, de l'art, notamment. La beauté est dans la danse, dans la musique, dans la poésie, la littérature… Elle est l'essence et le sens de la vie. L'Homme embellit la vie quand il est en osmose avec le cosmos (étymologie du mot cosmétique). Il l'ennoblit, l'enrichit, quand il n'est pas mesquin, pas replié sur lui-même, quand il s'ouvre au monde et aux autres.

 

La spiritualité occupe une place majeure dans votre existence, et donc, on peut le supposer, dans votre engagement entrepreneurial. De quel ordre ? Quelles sont les limites au-delà desquelles la motivation spirituelle du dirigeant laisse place à un mysticisme délétère ?

 

Mais quand j'évoque la spiritualité, je ne fais nullement référence au mysticisme ! La spiritualité c'est l'engagement, la prise de conscience de l'autre, du monde. C'est tenir grand compte de tout ce qui nous entoure. Ma conception du spirituel n'a rien à voir avec la mort, avec un mysticisme teinté de métaphysique. Le spirituel, c'est ce qui est ici, et maintenant. C'est du concret, de l'immédiat. C'est le pouvoir de l'éthique, une éthique qui porte dans l'entreprise l'engagement et les valeurs fondatrices de Natura. Ici encore, je ne peux que me reporter aux philosophes grecs, à Epicure, pour l'éthique, à Platon, et à Plotin surtout, qui a longuement traité du mysticisme et de l'éthique. Pour synthétiser ma pensée, je suis dans une démarche spirituelle, dès lors que je suis cohérent avec mes valeurs, avec mon idéal. Cette spiritualité n'a vraiment rien à voir avec le mysticisme. Encore moins avec le mysticisme délétère !... Il y a nuisances, pensées nuisibles, quand il y a manipulation, tromperie.

 

Natura fournit-elle des pistes de réflexion à un capitalisme « responsable », susceptible d'apporter des réponses à l'amoralité, à l'iniquité, aux injustices, aux maux que sécrète un capitalisme bien plus destructeur que promoteur des valeurs que vous poursuivez ? Quelles sont vos définitions de la justice et de l'intégrité ?

 

Nous entrons dans l'ère du capitalisme responsable, lequel se substitue au capitalisme « sauvage » qui a vu le jour au XIXe siècle et où il s'agissait, essentiellement, de « tirer la couverture à soi », de manipuler le monde à son seul profit. On ignorait l'Autre, la planète… Le capitalisme a besoin d'une cure de spiritualité. N'en perçoit-on pas, ici et là, les tout premiers effets ?
Quant à la justice, à la notion d'équité, je ne peux qu'établir un parallèle avec la liberté.
Mes droits ont des limites, ils ne doivent pas envahir le territoire des autres, ils doivent respecter leurs droits. C'est une vérité première ! Et toute la raison d'être de notre « triple bottom line ».

 

Vous avez fait de la France votre tête de pont en Europe. Vous y avez investi massivement, à ce jour sans en recueillir encore les fruits espérés. Ce qui est valable pour les auteurs français l'est-il moins pour les consommateurs français ? Le fossé est-il culturel, l'importance que les Brésiliens accordent à leur corps et leur relation au bien-être étant particulière et éloignée des canons européens ?

 

Il est normal qu'après quatre ans seulement nous n'ayons pas encore de « pay back ». Ce qui nous fait vibrer avant tout, dans cette implantation dans l'Hexagone, c'est un certain sens de l'histoire, ce sentiment de boucler une boucle… La France est le berceau de la cosmétique. Elle a ouvert la voie, éclairé notre parcours. Et, maintenant, c'est nous qui venons vers elle, avec nos valeurs, notre technologie, avec des lignes de produits développées au Brésil, avec notre idéal, avec cette chaleur du cœur que la France a plaisir à côtoyer, à retrouver.
Cette cordialité, au Brésil, est capitale. L'un de nos sociologues les plus célèbres, Sergio Buarque de Holanda, dans l'un de ses ouvrages les plus populaires, « Racines du Brésil », évoque « L'homme cordial » en parlant de la chaleur naturelle du Brésilien. Encore une fois, on voit, dans l'importance de ces chaînes de relations humaines, la philosophie de notre entreprise que nous essayons d'implanter en France, où nous avons déjà obtenu de beaux résultats. Pour preuve la progression du nombre de nos conseillères : presque 800, à ce jour. Si la vente par relations progresse, cela ne signifie-t-il pas que nos produits et nos valeurs suscitent une forte adhésion ?

 

La cause environnementale, le développement durable, sont des thèmes galvaudés, instrumentalisés par les entreprises à des fins de communication et de marketing. Des singularités de votre groupe, vous avez fait une formidable force de frappe en termes d'image, de communication, de marketing, plus efficace et moins coûteuse que les spots radios ou campagnes 4 x 3. Qu'est-ce qui, concrètement, vous distingue de vos concurrents ? Quelle sont les limites morales et éthiques de votre stratégie ?

 

Lors de la création de Natura, en 1969, nous étions déjà dans une approche des soins qui accordait une très grande importance à la qualité de la relation entre l'esthéticienne, ou la conseillère, et sa cliente. Avec Ekos, nous avons celé notre philosophie de la cosmétique en nous référant à l'idée de la vie en tant qu'enchaînement de relations, où tout est lié, relié, de l'infiniment petit à l'infiniment grand. Natura s'est ainsi très vite affirmée comme une marque citoyenne, humaniste, qui propose des produits issus de la nature, qui personnalise ses soins, qui est engagée dans le développement durable. C'est, précisément, la fidélité à notre engagement, la pérennité de nos valeurs, la cohérence de notre parcours, qui constituent nos signes distinctifs. Et nos limites, ce serait, tout simplement, de ne plus être en cohérence avec nos grands principes et notre histoire.

 

Le secteur de la cosmétologie est régulièrement épinglé pour la manipulation, le cynisme dont il fait preuve en matière de marketing et de communication. Il est engagé dans la logique de donner l'illusion que ces produits sont efficaces, jusqu'à « éloigner l'individu de son corps ». Quel est votre cadre moral et éthique ?

 

En proposant sa ligne de soins pour le visage, Natura ne nie jamais les pouvoirs du temps. Jamais nous ne parlons de produits « anti-âge » ou « anti-temps ». Jamais nous ne promettons l'arrêt de la course du temps. Si c'était le cas, il y aurait tout de suite rupture, perte de confiance, au sein de notre clientèle. Nous nous positionnons comme une marque qui n'aspire qu'à adoucir les signes de ce temps qui passe. Nous ne cessons d'affirmer que, dans chaque âge on peut trouver de la beauté. Cela n'empêche pas nos produits d'être efficaces ! Et bien des tests le prouvent.
S'il y a manipulation, de la part de certains industriels, cela doit être au niveau de la promesse qu'ils peuvent éventuellement véhiculer auprès du public, lequel est de plus en plus éduqué, de plus en plus capable de percevoir le machiavélisme d'une démarche, de repérer les miroirs déformants de l'illusion. Et toute notre communication, au Brésil, dans toute l'Amérique latine, comme en France, repose sur le témoignage de personnes vraies, dont on mentionne le nom, l'âge, la profession.

 

Parmi les initiatives que vous avez engagées, quelles sont celles qui peuvent dépasser le cercle des particularismes de votre groupe et être adoptées universellement ? Quelles sont les limites d'un tel modèle ?

 

Nos programmes éducatifs, sociaux, tels que « Crer Para Ver » ou « Back to school » (alphabétisation, apprentissage de la lecture) me semblent universels. Les limites sont liées à l'évolution du groupe. Si Natura n'était plus viable, plus rien ne serait possible. C'est bien pour cela qu'il faut encourager toutes les initiatives industrielles en faveur du développement durable. Le jour où tous les producteurs seront engagés, de la même manière, la concurrence sera vraiment loyale. Mais, pour le moment encore, seule une partie du monde industriel investit dans le social, dans la protection de l'environnement.
Permettez-moi d'utiliser une pensée qui est, en quelque sorte, une de mes règles de réflexion. Il est dit dans les textes sacrés que l'Homme qui était poussière devait retourner à la terre ; il est dès lors une partie de la terre, une partie même du cosmos et les représente dans son intégralité. Le modifier, l'améliorer, le rendre plus heureux, c'est donc en quelque sorte modifier, améliorer et rendre le monde meilleur.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.