Lyon-Turin : Hollande devrait affirmer l'engagement financier de la France

Le sommet franco-italien du 24 février sera déterminant pour le projet du Lyon-Turin, avec l'annonce d'un engagement financier fort de la part de la France, à deux jours de la clôture de l'appel à projets européen. Mais l'avenant à l'accord de 2001 qui devrait être signé ce mardi ne lèvera pas tous les doutes sur les ressorts financiers sur lesquels la France souhaite s'appuyer.

"C'est au sommet Franco-Italien du 24 février que l'engagement politique et financier de la France sera acté". Selon une source proche du dossier, un avenant ministériel à l'accord de 2001 devrait être signé à Paris, en marge de cette rencontre, engageant ainsi la France, notamment au niveau financier, sur ce projet de liaison ferroviaire. À deux jours, seulement, d'une date butoir clé : la clôture de l'appel à projets de la Commission européenne, relatif au mécanisme d'interconnexion en Europe 2014-2020 (MIE). Un engagement potentiel dans le "money time", qui démontre que la participation de la France aura été jusqu'au bout compliqué dans un contexte tendu pour les finances publiques.

Un chantier à 8,5 milliards d'euros

Le MIE est doté d'une enveloppe de 26 milliards d'euros consacrée aux transports, à répartir entre plusieurs initiatives européennes. Pour le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin, la France et l'Italie peuvent obtenir un cofinancement de 40 % de la section transfrontalière, c'est-à-dire le tunnel de base de 57 km sous les Alpes, au coût estimé de 8,5 milliards d'euros (valeur 2010).

Pour l'opposition, et notamment Karima Delli, députée européenne (EELV) et membre de la commission transports, la France, l'Italie et l'Europe ne peuvent pas poursuivre les demandes de financement car elle estime qu'il y a une violation des traités, notamment celui de Rome signé en 2012, qui impose la certification des coûts réels du projet, ce qui n'a pas été réalisé.

Pour bénéficier de l'enveloppe du MIE, les deux pays doivent présenter un dossier solide, notamment sur leurs engagements financiers respectifs. Cette participation de l'Europe est jugée comme "primordiale" par les partisans du projet.

Un dossier long à se dessiner

Mais depuis le lancement de l'appel d'offres européen en septembre 2014, l'inquiétude était présente chez de nombreux acteurs. En témoigne, notamment, la sortie de Bernard Soulage, vice-président de la Région Rhône-Alpes délégué à l'Europe, en septembre 2014, lors d'un déplacement à Turin. "Il n'y a aucune garantie que la France signe [...] Ça sera un moment de vérité."

Bien que certains services étaient déjà au travail, c'est seulement le 30 décembre 2014 que le Premier ministre, Manuel Valls, a officiellement nommé deux parlementaires pour une durée de six mois : Michel Destot (député, PS) et Michel Bouvard (sénateur, UMP). Ils ont pour mission de réfléchir aux pistes de financements de l'infrastructure. "Il est vrai que nous n'avons pas assez travaillé en amont sur les simulations financières. C'était un de nos points faibles. Nous avons désormais 6 mois pour le faire, avec une échéance primordiale dès fin février", nous expliquait Michel Destot au mois de janvier.

Les différentes autorités françaises ont cependant réaffirmé leur engagement la semaine dernière. Jean-Jack Queyranne, président de la Région Rhône-Alpes avançait que "l'engagement de la France serait concret", au lendemain d'une réunion de cadrage avec différents acteurs. Et à l'Assemblée nationale, le Premier ministre Manuel Valls affirmait :

"Le gouvernement prépare l'avenir en avançant sur des grands projets d'investissement tels que la liaison ferroviaire Lyon-Turin et le canal Seine-Nord", avançait le Premier ministre.

Rome a pourtant approuvé définitivement, vendredi 20 février, le projet de section transfrontalière, avec le feu vert du Comité interministériel pour la programmation économique (CIPE).

Eurovignette pour les poids-lourds...

Sur le contenu du dossier de candidature à l'appel à projets, il semble y avoir eu un décalage initial entre les exigences de l'Europe et les engagements de la France. La direction générale de la mobilité et des transports (DG Move), la structure européenne en charge d'analyser les candidatures, affirme : "Ce dossier doit clairement et de façon chiffrée exprimer les différentes contributions de financement".

Tandis que les acteurs français avançaient la nécessité de présenter seulement des "pistes de travail", une rencontre récente entre les deux parlementaires français et la DG Move a permis de clarifier les choses.

Du côté français, le montage financier doit répondre à un impératif :

"La participation française dans le financement de la section transfrontalière ne doit pas impacter le budget de l'État", explique Michel Destot.

Ainsi, parmi les axes de réflexion, la France compte financer les 2,2 milliards d'euros de sa participation en majorité par l'Eurovignette. Basé sur le principe de "pollueur-payeur", le texte européen Eurovignette prévoit la possibilité pour les États membres "d'intégrer, dans le prix des péages perçus sur les poids-lourds, un montant correspondant au coût de la pollution atmosphérique et sonore due au trafic et au coût de la congestion frappant les autres véhicules". Cette somme peut ensuite être réinjectée dans des projets d'infrastructures. Outil utilisé depuis plusieurs années à l'étranger, notamment en Allemagne et en Autriche, il s'agit désormais pour la France de fixer son montant - une majoration des péages de 5 % à 25 % maximum-, et son temps d'application. Le sommet franco-italien pourrait donner plus d'informations à ce sujet.

...ou taxe sur les sociétés d'autoroutes ?

Mais d'autres possibilités de financement sont également à l'étude. Selon nos informations, les parlementaires missionnés travaillent aussi sur une possible taxation des sociétés autoroutières par "la création d'une taxe spéciale afin de financer les infrastructures", souligne une source proche du dossier.

Bien qu'ils ne soient pas explicitement abordés, les soutiens de la Caisse des Dépôts, de la Banque Européenne d'investissement ou de fonds souverains sont aussi des possibilités pour financer ce genre d'infrastructures, si on en croit le compte-rendu du séminaire "Quels nouveaux financements pour les infrastructures de transports", qui était animé par Michel Bouvard.

Des changements au plan européen ?

Dans le cadre de la participation européenne au financement, qui doit s'élever à 40 % de la somme totale (3,4 milliards d'euros), un fait est souvent passé sous silence : c'est d'abord aux États, donc à la France et à l'Italie, d'avancer les frais des travaux, avant de recevoir le remboursement de l'Europe. "Nous remboursons sur l'engagement", souligne Matthieu Bertrand, conseiller à DG Move. Ainsi, ce processus devrait impliquer que les pays anticipent cette trésorerie dans leur plan de financement, ce qui ne semble pas être le cas pour le moment.

Par ailleurs, les négociations européennes au sujet du plan d'investissement Juncker pourraient modifier l'enveloppe de financement du MIE, et donc, éventuellement de l'engagement de l'Europe sur le Lyon-Turin. En effet, 2,7 milliards d'euros pourraient être amputés au MIE, sur les 26 milliards d'euros dédiés aux transports pour la période 2016-2020. Mais la DG Move se veut rassurante face à cette possibilité, du moins dans un premier temps.

"Les propositions de l'appel à projets retenues ne devraient pas être impactées dans un premier temps, si cette décision est actée. Sur la programmation 2016, 2017, il faudrait voir mais les projets sélectionnés devraient rester prioritaires", détaille une autre source à la DG Move.

De son côté, Karima Delli (EELV), membre de la Commission transports du Parlement européen, dénonce une "incohérence".

Une enquête en cours

Enfin, les dernières tribulations du Lyon-Turin, liées à l'ouverture d'une enquête de l'office européen antifraude, interrogent. "Les résultats de l'appel d'offres et de l'enquête de l'OLAF seront publiés à peu près en même temps", signale Karima Delli. Une situation qui peut être délicate, si l'Europe valide le dossier pour une aide financière, et si dans le même temps, l'OLAF confirme les soupçons de corruption et de mauvaises utilisations des deniers publics qui ont poussé le policier européen à ouvrir une enquête. Dans une lettre ouverte au Président Hollande et à son homologue italien, publiée ce lundi sur le site du Huffington Post, Karima Delli et une dizaine de signataires expliquent :

"L'OLAF vient ainsi d'ouvrir une enquête [...] Nous affirmons par conséquent que vous (Mr Hollande, NDLR), ne pouvez décemment pas prendre la responsabilité d'engager des dépenses supplémentaires, alors même que l'étude des comptes de LTF démontre que des sociétés liées à la mafia (ou "organisations de grande criminalité") calabraise ont bénéficié de commandes et de paiements pour des travaux non conformes".

DG Move se veut prudente sur la question : "Pour l'instant, ça ne change rien. Nous ne changeons pas nos critères en fonction de cette actualité. Quand nous serons informés des conclusions de l'OLAF, nous verrons", explique-t-on à la DG move.

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Commentaires 2
à écrit le 24/02/2015 à 2:35
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Sachant quand même que l'Europe finance 40%, l'Italie 35% et la France, dans sa grande générosité, seulement 25%. Cela fait bientôt 20 ans que nous discutons et trainaillons. Les italiens von,t lancer les travaux de leur LGV entre Turin et le futur t...

à écrit le 23/02/2015 à 23:45
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Jeudi, la France va déposer 2 dossiers : le Lyon-Turin ferroviaire ( 8 M€ à répartir entre la France et L'Italie) et le Canal Seine Nord ( 5 M€ pour la France uniquement ) C'est bizarre, il n'y aurait que des problème de financement pour le Lyon-Tur...

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