"Niée, déconsidérée, inutile" : un agent de la Région face au bore out

Martine* est un cas symptomatique des répercussions humaines des dysfonctionnements internes à la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Elle qui a toujours eu le sentiment d'être "considérée", même lorsque ses préconisations ou ses arbitrages n'étaient pas retenus in fine, confie son épreuve de "bore-out."
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Voilà plusieurs années que le lexique managérial et des maladies professionnelles a intégré le "burn out", traduisant un épuisement physique et psychique dû aux surcharges de travail. Depuis peu a surgi son antithèse, le "bore out", dont l'issue similaire résulte d'une absence de tâche. A la Région AURA, selon les représentants du personnel et les témoignages d'agents, les deux phénomènes extrêmes, suscités en premier lieu par le déficit organisationnel et managérial, gangrènent le corps social. Si le premier est désormais bien cerné, le second l'est moins. La confession de Martine révèle des mécanismes, des manifestations et des répercussions redoutables, qui convoquent des ressorts distincts du "burn out."

Martine était un agent fonctionnaire qui pendant une trentaine d'années s'est employée à mettre sa "loyauté" et sa "rigueur au service de cette si belle institution". Elle a tout connu des mandats, y compris celui, éruptif, de Charles Millon. Elle a travaillé avec des élus "de tous les bords", même communiste. Elle a initié ou co-porté des projets "passionnants". Elle a toujours eu le sentiment d'être "considérée", même lorsque ses préconisations ou ses arbitrages n'étaient pas retenus in fine. Son "âme de militante" - pour des enjeux de société et de démocratie, précise-t-elle, elle qui n'a "jamais" été syndiquée -, cette collectivité qui fut longtemps "de mission" avant de devenir "de gestion" a permis de l'épanouir. "Comme tant d'autres", elle a cru dans les promesses stratégiques - et notamment de démocratie directe, de proximité humaine, de stimulation intrapreneuriale - de Laurent Wauquiez.

"L'horrible sentiment de n'être rien"

Mais très vite, elle déchante. Et la réalité qui s'impose à elle apparaît déconcertante. Désorganisation des services, trous béants dans les organigrammes, décisions contradictoires, absence de cap et d'interlocuteurs : "tout s'est figé." La fossilisation de l'établissement est en marche, et l'exercice de ses responsabilités est directement affecté. Sa fonction est alors vidée de toute consistance, même de toute substance. Pas une seule commande de tâche, pas une seule directive, pas une seule réponse - "ou ne serait-ce qu'un accusé de réception" - aux mails qu'elle adresse. Y compris lorsqu'ils correspondent au vœu affiché du président de mobiliser les idées du personnel pour riposter au drame des violences conjugales qui frappe, de mort, une salariée de l'institution. Pas même un "bonjour", le matin, de son supérieur hiérarchique.

Quelques mois plus tard, elle craque. Douze semaines d'arrêt. Elle attendra une quinzaine de jours avant "d'oser" sortir de chez elle. Les dégâts sont considérables. L'"humiliation" cristallise ce qu'elle éprouve au plus profond d'elle-même et de sa conscience. L'humiliation de se sentir ainsi niée dans ses compétences, niée dans sa contribution au fonctionnement et au devenir de l'établissement, niée dans ce qu'elle a apporté, même modestement "mais avec foi", par le passé à son employeur. Niée dans ce qu'elle est intrinsèquement, jusqu'à mettre en doute tout ce qui professionnellement a participé pendant une trentaine d'années au modelage de sa personnalité, de ses acquis, de ses réussites. Peu à peu rongée par "l'horrible sentiment" d'être dépassée, disqualifiée, vieille. Et un jour infectée de la plus indicible des perceptions : celle de l'inutilité. Et de n'être rien.

"Jamais je n'aurais imaginé conclure de la sorte ces décennies de travail, d'abnégation, de joie professionnelle."

Est-il anormal de se déconsidérer lorsqu'on est ainsi déconsidéré ?

Sa chance ? "Etre parfaitement entourée" au sein de sa famille, et ainsi pouvoir travailler dans des conditions "réconfortantes" à, pas à pas, déculpabiliser, verbaliser les maux, se reconstruire. Et recouvrer une dignité brutalement défigurée. "Mais tous mes collègues eux aussi victimes partagent-ils ces heureuses circonstances ? Sans doute pas." Dans son service, constate-t-elle, six des dix agents ont été ou sont toujours en arrêt maladie. "Preuve" que la duplice gestion managériale et humaine du corps social, résultant pour partie de négligence pour partie de calcul, constitue "une bombe à retardement."

*Prénom d'emprunt

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