Commande publique, mécénat : la Biennale de Lyon encore tancée

Dans son rapport sur l'association la Biennale de Lyon, la chambre régionale des comptes Auvergne Rhône-Alpes soulève plusieurs points d'interrogation, à commencer par le non-respect de la réglementation en matière de commande publique. Les liens entre mécènes et prestataires posent également question, tout comme l'organisation interne, qui mérite d'être mise en conformité avec les statuts, estiment les magistrats.

La conclusion est plutôt contrastée pour l'association la Biennale de Lyon. Dans son dernier rapport, la chambre régionale des comptes (CRC) Auvergne Rhône-Alpes dresse un état des lieux de la gestion de l'association sur la période allant de 2008 à 2014. En charge de créer et d'organiser la Biennale de la danse et de l'art contemporain, la structure a principalement été épinglée pour ses procédures d'achats, et plus particulièrement sur le non-respect de la réglementation en matière de commande publique.

Lors de son précédent contrôle, portant sur la période 2005-2007 la chambre régionale des comptes avait déjà recommandé à l'association "de suivre des règles plus strictes en matière de publicité pour ses commandes". La Biennale de Lyon s'était alors engagée à mettre en place de bonnes pratiques de rationalisation des achats avec une mise en concurrence systématique pour les marchés supérieurs à 50 000 euros ou encore la création d'un poste à mi-temps de responsable achat et développement interne afin de mieux suivre les procédures.

Pourtant, le constat est sans appel pour la chambre régionale des comptes : "Ces engagements n'ont pas été suivis d'effet".

Commande publique

L'association a été créée pour satisfaire des besoins d'intérêt général, ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial. Elle est financée majoritairement par des pouvoirs adjudicateurs soumis au code des marchés publics. La Biennale de Lyon est donc soumise à l'ordonnance du 6 juin 2005 : pour l'ensemble de ses achats, elle doit évaluer au préalable ses besoins et organiser des procédures d'attribution de ses marchés. Or, la chambre régionale des comptes d'Auvergne Rhône-Alpes note une absence d'évaluation des montants en jeu des achats. Le constat est le même pour la publicité et la mise en concurrence des prestations de services, pourtant obligatoires selon l'ordonnance de 2005.

"L'association s'affranchit de toute publicité ou mise en concurrence pour l'essentiel des prestations. Pour les quelques marchés qui en ont fait l'objet, l'association recourt invariablement aux mêmes critères d'attribution [...] sans les adapter à l'objet ou aux conditions d'exécution du marché en cause."

Une "pratique généralisée de gré à gré" de prestations récurrentes à des mêmes entreprises qui rompt "la liberté d'accès à la commande publique et l'égalité de traitement des candidats potentiels", selon la chambre régionale des comptes.

Pour Bernard Faivre d'Arcier, président de la Biennale de Lyon, le débat est plus nuancé. En dessous du seuil de 207 000 euros, les marchés sont passés "selon des modalités librement définies par le pouvoir adjudicateur." L'association doit donc elle même définir le degré de publicité et de mise en concurrence nécessaire aux marchés qu'elle souhaite passer. "Je souhaite rappeler que les règles de passation de marchés de services institués n'apparaissent pas enfreintes", souligne ainsi Bernard Faivre d'Arcier, dans sa lettre de réponse aux magistrats.

L'association reste cependant soumise aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats ainsi que de transparence des procédures.

Le mécénat en question

En outre, certains fournisseurs ou prestataires sont également mécènes de l'association. Les relations avec les mécènes sont d'ailleurs un des autres sujets soulevés par la chambre régionale des comptes Auvergne Rhône-Alpes.

"Toutes les contreparties accordées aux entreprises mécènes ou à leurs dirigeants ne sont pas recensés dans les conventions correspondantes", souligne la chambre régionale des comptes. Des imprécisions ont été relevées dans la rédaction de ces conventions, tant que dans leur qualification. Des approximations qui appellent "une action corrective permettant de s'assurer que certains partenaires ne bénéficient pas d'un avantage fiscal qui serait consenti sur des bases erronées."

Des débats insuffisants

L'organisation interne de l'association interpelle également les magistrats par son manque de formalisme. S'il existe bien un conseil d'administration et une assemblée générale, dans les faits, les membres de ces deux entités sont les mêmes. Un fonctionnement "qui pose certaines difficultés", note la chambre régionale des comptes d'Auvergne Rhône-Alpes.

Les rapports, financiers ou les documents budgétaires, sont bien soumis à l'assemblée générale - comme le précisent les statuts - mais ils ne donnent lieu à aucun débat car "les discussions se sont déjà tenues en conseil d'administration, composé de mêmes membres", explique l'association à la chambre régionale des comptes.

"Les conventions réglementées sont portées à la connaissance de l'assemblée sans être formellement approuvées", poursuivent les magistrats.

Quant aux procès-verbaux des séances du conseil d'administration, ils "ne rendent pas compte des orientations principales de l'association".

Risques juridiques et financiers

Mais le point qui interroge surtout les magistrats est que la Biennale s'est engagée sur deux projets "dont le conseil d'administration a été insuffisamment informé, exposant l'association à des risques juridiques et financiers."

Le premier projet porte sur le renouvellement du bail des bureaux de l'association. Alors que la Biennale cherchait de nouveaux locaux - en raison notamment d'une hausse du loyer de 25 % - elle s'est finalement engagée avec le même propriétaire privé sur une surface étendue "moyennant des modalités de révision du loyer dont le conseil d'administration n'a pas été informé [...] Il ne lui a pas été formellement présenté les deux modalités cumulatives d'augmentation du loyer. De plus, l'augmentation prévisionnelle de 35 595 euros inscrite au budget 2013 et soumise au CA est nettement inférieure à la hausse réelle."

L'autre source de questionnement porte sur le projet du Palais Saint Jean, qui avait pour objet l'installation de la Biennale de Lyon sur un site assurant une vitrine pour cette dernière. Une étude de faisabilité a été lancée en 2011, il a finalement été abandonné en 2014. Le conseil d'administration a seulement été amené à autoriser la constitution d'un fonds de dotation par l'association en mai 2011, chargé de collecter des participations de mécènes, mais ce "sans information préalable sur l'opération en termes d'objectifs, de financement ou de procédure. Sa présentation a même été formellement reportée en séance à la réunion suivant de décembre 2011", note la chambre régionale des comptes.

Or, le montage juridique et financier envisagé - un bail emphytéotique administratif - présentait un risque juridique au regard du droit de la commande publique.

"En réponse aux observations provisoires, le président de l'association, Bernard Faivre d'Arcier, souligne que les représentants du Grand Lyon et de la Ville de Lyon au conseil d'administration ont été préalablement et largement informés du projet" tant en termes "d'objectifs, de plan de financement et de procédure."

Des comptes fiables mais...

Côté financier, le bilan est plutôt positif sur l'exercice allant de 2008 à 2014. L'association - qui dépend largement de subventions publiques (60 % des ressources annuelles) - présente "un bilan sain qui se caractérise par une absence de dettes dans le temps."

Toutefois, les charges fixes augmentent beaucoup plus que les charges variables. Une évolution qui diminue la marge de manœuvre de la Biennale. La chambre régionale des comptes note ainsi dans ses recommandations la nécessité de repenser "la politique de gratuité" suite à la diminution des recettes de la Biennale. Par ailleurs, un financement assuré par "un nombre limité de mécènes impose que la 'durée de vie' des charges n'excède pas celle des ressources auxquelles elles sont adossées".

Lire aussi : Nuits de Fourvière : les liens avec les mécènes présentent "des risques juridiques réels"

Les comptes sont jugés "globalement fiables. Réguliers et sincères, ils donnent une image fidèle du résultat des opérations des exercices." Cependant, "dans un certain nombre de cas, la tenue des comptes s'écarte des dispositions légales et réglementaires ou des bonnes pratiques". C'est le cas de la relation entre l'association et son commissaire aux comptes, la société In Extenso. Elle est également un mécène "de premier plan" de la Biennale. De fait, "la chambre invite l'association à exposer ces éléments à son assemblée générale lorsqu'à l'expiration du mandat actuel, se posera la question du choix du commissaire aux comptes." Ce choix devra s'opérer au regard du l'article 6 du Code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes qui dispose que "le commissaire aux comptes évite toute situation de conflit d'intérêts." Pour l'heure, In Extenso a jugé que la relation d'affaires qu'elle entretenait avec la Biennale "ne remettait pas en cause [son] indépendance".

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