Architecture urbaine : la patte des grands

Le marketing territorial des villes multiplie ses sources d’inspiration, et celles qui contribuent à façonner une identité, une dynamique, un avenir différenciants sont prisées. Parmi elles, l’architecture contemporaine, qui associe grands noms internationaux, jeunes talents locaux, et élus. Démonstration à Lyon et à Clermont-Ferrand.
Parmi les quartiers à l'architecture emblématique Lyon, figure celui de La Confluence.

Ils façonnent la ville, lui donnent une identité singulière, imaginent des espaces où il fait bon vivre, habiter, travailler, se divertir et consommer. Les villes, de leur côté, aiment mettre en avant les formes urbaines singulières et la qualité architecturale pour revendiquer leur identité. Villes et architectes ont depuis bien longtemps appris à avancer ensemble pour nourrir leurs ambitions communes. Désormais, à côté des monuments anciens qui attirent une foule qui ignore bien souvent l'identité de leur concepteur, les silhouettes architecturales contemporaines sont, elles aussi, de véritables prétextes pour faire rayonner la ville.

À Firminy, plus de 15 000 visiteurs se pressent chaque année pour admirer le site Le Corbusier. À Lyon, le site internet d'OnlyLyon a désormais son onglet « architecture ». Autant d'éléments qui n'échappent pas aux concepteurs de la ville, soucieux d'attirer sur leurs terres les plus grands noms de l'architecture contemporaine, sans bouder les signatures moins emblématiques capables de signer des gestes qui marqueront le territoire.

L'architecture affirme sa place dans la ville

« Sur les territoires de grands projets, comme la Confluence ou la Part-Dieu, nous sommes très attentifs à l'innovation, notamment architecturale. Ces gestes architecturaux forts sont un élément important du rayonnement de la ville », observe Michel Le Faou, adjoint à l'urbanisme à la Ville et à la métropole de Lyon.

La Capitale des Gaules a ainsi fait le pari de faire cohabiter les traits architecturaux les plus audacieux du quartier Confluence avec les immeubles anciens du Vieux-Lyon, classé au patrimoine mondial de l'Unesco. Et à l'office du tourisme, on peine à départager, en termes de fréquentation, les deux quartiers, très prisés des touristes.

quartier Confluence architecture

Le quartier de la Confluence, à Lyon, illustre cette volonté d'innovation architecturale. (Crédits : Laurent Cérino / ADE)

Avec moins d'audace, mais tout autant de détermination pour marquer son intérêt en direction de l'architecture, la capitale auvergnate Clermont-Ferrand vient de signer une déclaration d'intention avec l'école d'architecture locale.

« Grâce à la qualité des échanges entre la ville et les hommes de l'art, à la définition d'une culture urbaine et architecturale partagée par le plus grand nombre, nous voulons aller vers un Clermont-Ferrand plus beau, plus pratique dans les usages, plus fluide dans ses cheminements, davantage en symbiose avec son environnement et sa périphérie », défendent de concert Olivier Bianchi, maire de Clermont-Ferrand et président de Clermont Communauté, et Bruno Reyne, président du Conseil régional de l'ordre des architectes.

« Durant de nombreuses années, la question de l'architecture a été un peu polémique dans notre ville, qui a manqué d'une relation partenariale suffisamment forte avec les architectes. Nous souhaitons que les choses évoluent », ajoute le maire auvergnat.

La machine est en marche : l'architecte portugais Eduardo Souto de Moura, lauréat du prix Pritzker en 2011 (considéré comme l'un des plus grands prix d'architecture), en association avec le cabinet d'architectes clermontois Bruhat-Bouchaudy, a été choisi pour réaliser la nouvelle scène nationale de Clermont-Ferrand, devant être livrée à l'automne 2019. Illustration parfaite des nouvelles tendances en matière d'architecture urbaine.

Grands noms et jeunes talents

Car si toutes les grandes villes se frottent les mains à l'idée d'accueillir de grands noms de l'architecture, elles n'en restent pas moins attentives à créer des conditions permettant aux jeunes de s'affirmer.

« Nous demandons systématiquement aux architectes de renom de travailler avec des équipes locales dans le cadre des grands projets urbains et sur d'autres sites moins emblématiques. Nous prenons soin de garder un accès à la commande pour les équipes lyonnaises », explique Michel Le Faou.

Clément Vergely, architecte lyonnais qui a pratiqué ce montage de projets avec Christian de Portzamparc ou le cabinet Diener und Diener, pose toutefois une condition :

« Associer un architecte international avec un Lyonnais n'a de sens que si les deux se connaissent et ont envie de travailler ensemble. Forcer une collaboration, simplement pour pouvoir dire que l'on soutient des architectes qui n'ont jamais dépassé les frontières lyonnaises, n'est pas souhaitable. »

Pour autant, les élus sont convaincus que de telles pratiques mettent le pied à l'étrier des jeunes talents et qu'ils défendent ainsi les savoir-faire locaux.

« L'architecte d'envergure internationale apporte bien sûr une caution, mais nous ne souhaitons pas aller chercher la pointure pour la pointure. Notre objectif est d'abord de travailler pour faire naître de beaux projets et alors nous aurons des pointures internationales, mais aussi des projets portés par des talents locaux », revendique Olivier Bianchi.

Maquette de la nouvelle scène nationale de Clermont-Ferrand

La nouvelle scène internationale de Clermont-Ferrand devrait être livrée à l'automne 2019. (Crédits : Empreinte Virtuelle)

Un moyen aussi, grâce à cette proximité, de conserver la main sur le visage et la qualité d'usage du bâti de la ville, l'autre enjeu de la collaboration entre l'architecte et la ville. « Notre choix est dicté par les courbes, mais nous rentrons dans les détails et sommes tout autant attentifs et exigeants quant à la façon dont sont fabriqués nos immeubles », assure Michel Le Faou.

Sans concession sur leurs exigences, les équipes lyonnaises, quels que soient les quartiers, ont ainsi la réputation de suivre, pas à pas, les projets et de vérifier que les promesses sont tenues, en créant une véritable proximité avec les équipes d'architectes et techniques. Pas de quoi rebuter les grandes pointures, bien au contraire. Il faut dire que sans les projets urbains, rares seraient les chantiers offerts à leur planche à dessin. Les appels à projets lancés par les collectivités sont donc très courus et il n'est plus rare que l'unité de compte des candidatures soit la centaine. Ainsi, à Annecy, 128 équipes ont répondu à l'appel lancé, en avril 2012, par la communauté de l'agglomération d'Annecy pour imaginer le futur centre des congrès.

Avancer ensemble

Mais que viennent chercher réellement ces architectes ? Si le site qui accueille leur projet et la liberté priment, ils sont nombreux à reconnaître avoir aussi besoin d'une relation forte avec la ville et son exécutif. Même s'ils sont sûrs de leur talent et revendiquent leur identité à travers les traits de leurs réalisations.

« L'architecte arrive rarement par hasard. Je crois beaucoup à la vision d'un maire et de ses équipes. Le dialogue avec les élus est un moment essentiel du projet. Cet échange alimente notre créativité », affirme Manuelle Gautrand.

Elle a fait partie du pool des cinq architectes du Monolithe à la Confluence et a signé la cité des affaires de Saint-Étienne.

Auteur, avec Dominique Jakob, des deux « cubes », l'un vert, l'autre orange, de la Confluence, Brendan MacFarlane confie avoir moins besoin de ce que son homologue qualifie de « connivence » avec les élus.

« Nous sommes finalement peu attentifs à l'image que renvoie la ville et nous n'entrons pas dans des considérations politiques. Nous sommes dans un processus de création. À Lyon, l'idée des deux cubes a uniquement germé en relation avec le site, et non par réaction stratégique ou politique. Au final, nous n'avons jamais vécu une expérience aussi forte que celle-ci avec les équipes de la ville et le promoteur », analyse-t-il.

A Saint-Etienne, la Cité des Affaires est signée Manuelle Gautrand. (Crédits : Laurent Cerino / ADE)

Une sorte de liberté encadrée qui ne peut s'exprimer que dans un climat de confiance, y compris avec le promoteur, car si la ville et l'architecte engagent leur image, le promoteur engage quant à lui des sommes importantes, ainsi que sa réputation sur ces projets souvent à haut risque.

L'objectif ultime est de parvenir à satisfaire, certes les amateurs de beaux gestes, mais surtout de trouver preneur pour ces bâtiments singuliers. Stéphane Rubi, président du groupe Cardinal, ne doute pas de l'effet d'appel de ces noms prestigieux, pour l'avoir notamment constaté avec la tour de logements Ycone, signée Jean Nouvel et que son groupe construira dans le quartier de la Confluence.

« 70 % des logements ont été commercialisés très vite, parce qu'il s'agit de Jean Nouvel, mais surtout parce que leur architecture extérieure et intérieure en fait des produits vraiment singuliers. Ces grands architectes sont des artistes, mais ils sont aussi soucieux de la qualité d'usage et savent anticiper les attentes. Les utilisateurs apprécient. S'ils sont attentifs à l'architecture du bâtiment au sein duquel ils s'installent, cela participant à leur image, ils sont intransigeants sur l'usage. En tertiaire, les utilisateurs sont vigilants et les investisseurs, moins attentifs aux traits extérieurs. En revanche, ils sont intraitables sur la pérennité de l'immeuble », analyse le promoteur lyonnais.

Sans interdire l'audace et l'innovation, le pragmatisme est donc de mise pour construire la ville de demain, avec un enjeu majeur : être aussi agréable à voir qu'à vivre.

En écho au passé

En renouvelant la ville, les architectes d'aujourd'hui sont inévitablement confrontés à ceux d'hier. « Le contexte d'un projet influe grandement sur mes projets : même si je revendique une architecture très contemporaine, celle-ci doit s'inspirer fortement de ce qui la précède », confesse Manuelle Gautrand.

Reste à trouver les formes qui sauront faire écho à ce passé, sans lui porter ombrage. « Nous recherchons toujours des gestes contemporains en dialogue avec le lieu. Cela ne signifie pas pour autant que nous encourageons le pastiche, la copie de bâtiments anciens. Notre objectif est que l'architecture vive, mais qu'elle s'insère dans le lieu et en respecte les caractéristiques », tranche Pierre Franceschini, architecte des Bâtiments de France du Rhône, à qui il revient d'émettre un avis sur les projets architecturaux. Et de veiller à ce que le travail des architectes présents dans la ville soit respecté et préservé s'il y a lieu. « La notion de patrimoine architectural est en évolution perpétuelle », explique l'ABF du Rhône.

En général, les grands projets urbains sont donc précédés d'une étude patrimoniale permettant de repérer les bâtiments emblématiques et qualitatifs du site et ce faisant, d'orienter le travail des architectes et urbanistes dans le dessin de la ville de demain.

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