Tout (ou presque) chez lui impressionne. Le physique - une taille de basketteur -, la jeunesse qu'incarne un visage énergique, déterminé voire exalté, expressif et affable, un style vestimentaire minutieusement étudié, l'éclat de ses locaux à la Cité internationale de Lyon ou de son goût pour les voitures de grand luxe, la trajectoire entrepreneuriale et le parcours personnel - que couronne sa somptueuse propriété à Ecully.
Mais aussi une rhétorique parfaitement éprouvée, qui s'escrime avec force arguments à fonder moralement et éthiquement le succès économique de l'entreprise et celui, pécuniaire, de son fondateur. Arguments qui entrelacent inextricablement sincérité et manipulation, l'objet même de cette fortune entrepreneuriale : le logement social, constituant simultanément une cause de fronde et un levier de légitimation - auquel son histoire personnelle apporte un crédit opportun.
Philanthropie gratuite ?
Citons sa "vocation : la passion de créer, de bâtir plus et mieux" ; son "moteur : toutes ces familles auxquelles un toit se refuse et je veux "faire du bien"" ; sa mission : "comment pourrai-je considérer avoir réussi tant que des gens dormiront dans des voitures ?" ; sa conscience sociétale : via l'invitation d'enfants aux matchs de l'OL, son soutien à Sports dans la Ville, à l'Institut Télémaque ou à la création d'un établissement sport-études en marge du club de basket-ball Asvel, il veut faire honneur à son "ADN" : "Mon entreprise est citoyenne."
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Mais est-ce seulement, comme l'affirme le président du conseil de surveillance d'Alila Jean-Claude Michel, "parce qu'il a dans ses veines de "rendre" un peu de ce qu'il accomplit", ou aussi parce qu'il y puise matière à couvrir sa réussite matérielle d'un vernis vertueux, d'un supposé altruisme, d'un présumé sens de l'intérêt général garants d'une notabilité utile à l'acceptabilité de son entreprise auprès des décideurs publics et politiques ? "Sa philanthropie n'est pas gratuite", résume le directeur régional d'un groupe de promotion-construction.
Flamboyance
Tout est bel et bien flamboyance chez ce trentenaire acharné de travail - d'ailleurs discret dans les cercles traditionnels, peu présent dans les mondanités lyonnaises -, y compris l'arrogance et la morgue "dédaigneuses", l'impertinence, volontiers irrévérencieuse et séditieuse, de sa plaidoirie et de sa prédication. Ainsi aux soupçons ou diatribes que son ascension éveille au sein de la profession, la réplique est incisive :
"Je défie tous mes détracteurs d'avoir une gestion aussi rigoureuse et de tels outils de contrôle dignes d'un grand groupe côté ; une vision et des plans de développement à 12 ou 60 mois aussi précis ; une assise financière aussi solide. Tout le monde s'interroge sur les ressorts de la croissance d'Alila : cela me fait bien rire. Oui, j'ai inventé un modèle, une machine extraordinaire, oui j'ai révolutionné le secteur, et ce que j'entreprends personne ne l'a fait avant moi ; oui ce que je bâtis est 25 % mieux construit que dans la promotion classique et moins cher dans les mêmes proportions ; oui, nous exerçons de manière extrêmement propre auprès de nos prestataires ; oui, nos clients sont unanimement satisfaits de notre travail et jamais aucune procédure n'a été intentée contre nous (lire encadré p.42) ; oui je me revendique être le "Free de l'immobilier" en référence à ce que mon ami Xavier Niel a créé et des critiques qu'il éprouve ; et oui, je vise d'ici trois ans le milliard d'euros de portefeuille d'activité et 10 000 logements/an. Si ça déplaît, et bien tant pis ! Les jaloux feraient mieux de s'interroger : pourquoi n'y arrivent-ils pas ? C'est aussi absurde que de considérer qu'un seul médecin sache soigner une maladie."
Exaspération
Oui, le succès d'Alila indispose voire agace et même horripile. Et la stratégie de communication, grâce à laquelle il parvient à "capturer" à son bénéfice l'exclusivité d'un savoir-faire qu'en réalité nombre de ses concurrents exercent eux aussi avec succès - et pour certains bailleurs sociaux dans des proportions plus élevées -, et qui semble mettre en scène le double besoin de contenter l'égo et d'occuper le terrain médiatique, ne fait que l'exacerber. Le sponsoring de l'Olympique lyonnais et la prise de participation - à titre personnel - dans le club de l'Asvel présidé par Tony Parker, en sont les emblèmes (lire par ailleurs).
Mais pas seulement. Un élu de l'agglomération lyonnaise se remémore, amusé et admiratif. C'était à Nantes du 27 au 29 septembre 2016, lors du Congrès national de l'Union sociale pour l'habitat. Un rassemblement majeur, réunissant l'ensemble des acteurs de la profession, et que Hervé Legros, faute d'avoir pu obtenir pour son stand un emplacement digne de celui des autres promoteurs, avait décidé de boycotter. Le coût dès lors économisé, il l'affecta à la publication dans la presse nationale d'un manifeste, "2 millions de Français n'en peuvent plus d'attendre un logement", simultanément à la tenue du congrès. "Il était absent, mais dans les travées et lors des dîners on ne parlait que de lui. Objectivement, un sacré talent marketing", analyse l'élu qui "lui", assure-t-il, n'a pas commis l'imprudence, coupable, d'un de ses homologues qui, l'été dernier, "prit place dans le jet privé affrété par Hervé Legros" pour assister à la finale du championnat de France de basket-ball à Strasbourg ou au match de l'équipe nationale à Marseille lors de l'Euro de football...
Questionnement moral
Hervé Legros est simplement emblématique, voire est une caricature des self made men, dont l'existence - matérielle, sociale, publique - est totalement indissociable de leur trajectoire d'entrepreneur et de l'expansion de leur entreprise, et dont l'expression de la réussite cautérise jusque dans l'excès et même l'irrationnel, les stigmates du cheminement social et scolaire originel. L'exaspération, qu'enflamme un style de vie qui a le "tort" d'être affiché quand la bienséance lyonnaise cultive la discrétion et la sobriété voire l'austérité - tel banquier gestionnaire de fortune célèbre de la place l'a bien compris, qui parque ses bolides de course loin des regards -, un questionnement moral légitime la cristallise toutefois : est-il "normal" de générer autant de profits et de "vivre personnellement aussi bien" lorsque l'activité dont ces résultats et cette opulence résultent d'une part porte sur le logement des plus modestes d'autre part est substantiellement conditionnée aux subsides publics ?
"C'est un vrai sujet", reconnait Michel Le Faou, vice-président de la métropole de Lyon en charge de l'urbanisme et de l'habitat - par ailleurs positif sur la "qualité" et l' "utilité" des prestations d'Alila, mais aussi sur une personnalité que la concordance de l'origine sociale et de l'objet entrepreneurial rend "attachante". Bref, résume le directeur régional d'une "major", "peut-on produire du logement social et rouler en Ferrari ?".
"Se poser ce type de question et critiquer ceux qui réussissent est bien français !, réagit l'intéressé. Je ne dois rien à personne, je suis loyal et honnête, et aucun reproche ne peut m'être formulé. Je gagne de l'argent, mais la qualité et les coûts de mes programmes en font gagner aux bailleurs sociaux, aux acteurs publics et à l'État. Tout le monde est gagnant."
Oui, comme le corrobore l'un de ces bailleurs sociaux, la témérité, la naïveté ou plus probablement l'erreur d'Hervé Legros est de croire que la France est l'Amérique de Donald Trump, qui glorifie sans limite les manifestations de réussite financière.
"Idiotie"
Et un spectre rôde. Celui de se "brûler les ailes". Car, comme le résume l'un des plus puissants bailleurs sociaux de Rhône-Alpes qui incrimine "l'honnêteté" d'un homme que "plus jamais" il ne fera travailler, plus dure sera la chute si un jour elle survient. Certes, si l'ancien numéro 2 de Norbert Dentressangle "dit vrai", "l'humilité (sic), la rigueur, la force de travail, la curiosité, l'écoute, l'envie d'apprendre" que son "poulain" a en commun avec les autodidactes, mais aussi le fait qu'il "joue sa fierté, son image et sa reconnaissance dans chaque immeuble bâti", le protègent de dérapages rédhibitoires. "Surtout si par ailleurs il réussit" le défi organisationnel et managérial lui aussi consubstantiel de sa caractéristique entrepreneuriale et clé dans l'accomplissement des nouveaux seuils de développement : "déléguer", mais aussi diriger - c'est-à-dire imposer son leadership tout en faisant place à leurs compétences - des collaborateurs aux pedigrees professionnels de plus en plus élevés.
Certes pour l'heure, et quand bien même il brandit un "joker" à l'évocation d'une diversification "personnelle, indépendante d'Alila" vers le logement libre, sa concentration dans l'activité "sociale" et dans un modèle selon même ses concurrents "tellement intelligent" demeure une garantie de cohérence. "Il sait qu'Air France ne saura jamais "faire" de l'Easyjet, et vice-versa", corrobore Jean-Claude Michel. Certes. Mais comme le rappelle la directrice des études d'un cabinet spécialisé dans l'immobilier, la performance du système repose sur l'efficacité, subtile, du trio que forment l'opérateur, le maire et le bailleur social. Un grain de sable, et c'est toute la machine qui tousse puis peut contaminer cet exigu microcosme.
"Une plaquette aussi luxueuse, un affichage personnel aussi grossier sur l'ensemble des photos, un tel cadeau accompagnant le fascicule - un chocolat à l'effigie de l'entreprise - me choquent : comment peut-on aguicher de manière aussi opulente lorsqu'on "œuvre" dans le domaine du logement social ?"
Cette réaction de l'édile d'une commune cossue de l'agglomération lyonnaise à la réception des vœux 2017 de Hervé Legros l'atteste, le comportement ostentatoire, provocateur et "agressif" d'Hervé Legros pourrait dépasser le simple stade de "l'idiotie" dont nombre d'observateurs l'affublent. Et notamment liguer compétiteurs, bailleurs sociaux, acteurs publics, élus et législateurs dans un "Tous contre Alila."
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