Transparence de l'information

La loi Huriet-Serusclat du 20 décembre 1988 relative à la « protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales », la loi du 4 mars 2002 relative au « droit des malades et à la qualité du système de santé », le décret d'application du 29 avril 2002 relatif à « l'accès aux informations personnelles détenues par les professionnels et les établissements », et la montée en puissance d'internet refondent le droit et l'accès à « l'information » des patients et transmuent les contours de leur relation avec le médecin.

Au rapport séculaire du soignant omniscient « qui décide à la place » s'est substitué un lien de « partenariat ». Un rééquilibrage dont Michel Rivoire, chirurgien, se félicite, « car il nous rappelle que notre métier n'est que de la technique mise au service de gens, et que nous devons nous garder d'avoir trop de pouvoir sur leur vie ». « Le médecin compétent est un transmetteur d'informations et de connaissances, le malade quelqu'un qui de plus en plus participe à la décision partagée. On se détermine ensemble en pesant ce que l'on sait, ce que l'on ne sait pas, et en essayant de faire rentrer dans le choix du traitement un élément absolument fondamental : l'avis du patient. L'information médicale, c'est un dialogue qui met face à face un émetteur et un récepteur. L'émetteur doit absolument s'adapter au récepteur » analyse Thierry Philip, directeur du Centre. Ainsi appelé à être acteur de sa thérapie, le patient construit avec le médecin un nouveau type de relation, « responsabilisant ».  La profusion d'informations disponibles sur internet ne manque pas d'atouts. Notamment d'éclairer davantage le malade de données « indépendantes » qui complètent, valident, ou infirment celles de son médecin. Et d'obliger celui-ci à être « encore plus exigeant, professionnel », à « encore mieux » expliquer, à faire preuve de davantage de rigueur dans la traçabilité des informations. Mais cette pléthore de données disponibles sur la Toile a aussi pour malfaisance de noyer l'internaute dans des statistiques qui déshumanisent, dépersonnalisent son cas, l'assujettissent à des espérances ou à des désespoirs parfois infondés, et vont jusqu'à peser sur son comportement devant la maladie. Or face à elle, sa probabilité de guérison est « soit de 0% soit de 100%. Notre rôle est alors de traduire en « individuel » ces statistiques froides et planétaires », d'aider le patient à « se situer » dans ce maquis de chiffres et sur l'échelle des extrêmes, à le convaincre « qu'il est unique » résument Rémy Blondet, chirurgien, et Pierre Saltel, psychiatre.  La qualité de cette information, Christophe Bergeron, responsable du service pédiatrie, la considère comme la « clé de voute » de sa relation avec le patient. « Elle façonne la confiance. Une confiance qui n'est plus celle aveugle et paternaliste d'autrefois, mais qui est proactive, vigilante, en éveil. Lorsque les gens vous font confiance, vous leur devez encore plus ». Contrairement à la relation marchande, dont la finalité est financière, parfois asymétrique, et fait naitre la suspicion, « la nôtre a un dessein commun : la guérison. Et elle ne peut se construire que dans la confiance ».

Un traumatisme comparable à l'écroulement du World Trade Center

Mieux informer, c'est par exemple la publication de documents explicatifs de la maladie qui traduisent en « langage patient » des documents réservés au professionnels. Ou encore un soin très particulier apporté à la « consultation d'annonce. Les patients ont obtenu, bien sûr à juste titre, qu'elle s'établisse dans un bureau fermé à clé, face à un médecin qui prend le temps. Et plus par téléphone, par courrier, ou dans un couloir bondé. D'ailleurs, lorsqu'on évoque la consultation d'annonce, c'est au pluriel qu'on devrait raisonner ; car à la révélation de la maladie, les patients n'entendent plus rien. Une récente étude réalisée auprès d'enfants américains démontre que le traumatisme d'entendre le mot « cancer » équivalait à celui de voir les deux tours du World Trade Center s'écrouler. Dans les minutes qui suivent ce traumatisme psychique, il n'est pas question d'expliquer quoi que ce soit (ou en tout cas, que la malade comprenne) » développer Thierry Philip. C'est enfin la constitution d'un « dossier médical », qui oblige le soignant à « expliquer ce qu'il fait », et auquel le malade peut recourir pour solliciter un deuxième avis ou préciser ses choix.  Ce salubre rééquilibrage des rapports de force entre médecins et patients ne peut toutefois pas s'amender d'une mue profonde de l'environnement du droit. L'évolution juridique de la « responsabilité » - elle inverse la charge de la preuve et réclame dorénavant au médecin de prouver qu'il a correctement agi - combinée à une mentalité sociétale, dans le sillage des inepties américaines, de plus en plus « judiciarisée », n'est pas sans menacer la qualité de la relation. Si elle contraint la communauté médicale à faire preuve de davantage de rigueur, ne risque-t-elle pas de rigidifier ou même d'aseptiser l'attitude du médecin, d'éroder voire de tarir la dimension affective de son lien avec le patient ? Le docteur Jean Paul Guastalla redoute une excroissance de la prudence, la déliquescence progressive du sentiment « inter-humain », et l'appauvrissement d'une prise en charge qui, jusqu'à présent, était « plurielle : affective, technique, médicale ». S'il reconnaît l'existence d'un péril « défensif » et exhorte à la vigilance pour que le soignant ne se recroqueville pas, Thierry Philip est moins maussade. « Il n'est pas possible d'éliminer l'affectivité d'une relation qui concerne la santé, voire la vie d'un des deux dialoguants. On ne parle pas d'un vulgaire produit, mais d'une personne, d'un corps. Certes le cadre de la relation humaine évolue, mais celle-ci demeure unique et le cœur de l'activité du soignant. Pour ces raisons, la médecine sera toujours un métier différent des autres ». 

 

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