Entreprendre aujourd’hui, la quête de liberté

[DOSSIER. Petite Histoire de l'entrepreneuriat 2/3] Avec l’essor des startups et quelques belles réussites médiatiques, l’entrepreneur a redoré son blason. La jeune génération s’éprend de l’acte d’entreprendre et montre comment elle y trouve une voie d’insertion correspondant à ses aspirations et à ses valeurs. Une tendance portée par un environnement économique et social globalement favorable à la prise de risque. Second volet de notre série qui explore les singularités historiques et sociologiques de l'entrepreneuriat.

Porté par quelques très médiatiques success stories (Vente privée, Iliad, Criteo, etc.),
l'entrepreneuriat fait à nouveau rêver. « Les entrepreneurs à succès sont des héros, des modèles, analyse Alexis Catanzaro, maître de conférences en sciences de gestion et responsable du master entrepreneuriat à l'IAE de Saint-Étienne. Les startuppers qui vendent leur entreprise et prennent leur retraite à 30 ans font rêver les jeunes générations dont la valeur première n'est plus forcément le travail.

Inspirée par ces incroyables réussites, la génération Y se bouscule aux portes des formations supérieures dans le domaine de l'entrepreneuriat, alors que la finance était jusqu'alors considérée comme la voie royale. En effet, un sondage réalisé à l'occasion du Salon des entrepreneurs de Paris révèle que la moitié des 18-24 ans affirme avoir déjà songé à créer une entreprise.

« On peut y voir un effet Lehman Brothers, estime Franck Sebag, associé et expert du secteur entrepreneurs / start-up chez EY. La crise de 2009 a changé les mentalités. Aujourd'hui, c'est la start-up qui fait fantasmer. »

Elle séduit aussi les investisseurs. Deux chiffres pour le prouver : selon EY, le montant des fonds investis dans les jeunes entreprises innovantes en France est passé de 897 millions à 2,2 milliards d'euros en l'espace de deux ans (sur la période de 2014 à 2016). Dans le même temps, la part des fonds étrangers dans les startups françaises est passée de 19 à 29 %. « Ce montant titanesque est révélateur d'une vraie prise de conscience de la société civile que la croissance de demain passera par les entreprises innovantes », juge encore Franck Sebag.

La marge de manœuvre est elle aussi colossale : « L'âge moyen des sociétés du CAC 40 est de plus d'un siècle tandis que les plus grosses capitalisations boursières aux États-Unis datent de moins de trente ans. »

Inventeurs, conquérants, bâtisseurs

La plupart des études réalisées ces dernières années montrent clairement que les actuels entrepreneurs aspirent, avant tout, à la liberté et à l'indépendance. Une enquête de l'Atelier BNP-Paribas, réalisée en collaboration avec TNS-Sofres, sur « Les nouveaux visages du startupper » fait ressortir que 84 % des sondés ont choisi de se lancer dans l'aventure par goût d'entreprendre et des défis. La créativité, l'innovation, la liberté et l'indépendance sont des moteurs pour 70 % d'entre eux, soit autant que l'attrait de l'aventure humaine et du travail en équipe.

Mais l'élément déclencheur le plus souvent cité demeure le désir de liberté et d'indépendance. Toujours selon la Sofres, ces porteurs de projet sont principalement des hommes (89 %), âgés en moyenne de 35 ans, diplômés d'études supérieures et cumulant 11 années d'expérience en entreprise. Ils se disent dynamiques, créatifs, mais surtout passionnés par leur travail et n'ont pas peur de prendre des risques. Et l'argent dans tout cela ? D'après une étude d'EY, seulement 15 % des répondants le mentionnent comme une motivation, bien loin derrière la volonté de s'épanouir dans une activité professionnelle (84 %).

Pour autant, cela ne signifie pas que les profils d'entrepreneurs sont identiques. L'étude de l'Atelier BNP-Paribas distingue trois grandes catégories de porteurs de projet : les « inventeurs », qui ont à cœur de donner vie à une idée souvent très ancienne, les « conquérants », audacieux avant-gardistes influencés par les grandes réussites à l'américaine, et enfin les « bâtisseurs » pragmatiques, qui visent avant tout à développer une activité pérenne et à créer de l'emploi.

Le regain d'intérêt pour la création d'entreprise est également la conséquence d'un marché de l'emploi difficile, même pour les jeunes diplômés.

« Les chiffres montrent que les jeunes sont très touchés par le chômage, observe Alexis Catanzaro. Dans ce contexte, la création d'entreprise devient une alternative viable. On parle alors d'entrepreneuriat de nécessité et c'est parfois la solution la plus simple pour un jeune qui souhaite répondre à ses aspirations sans pour autant sacrifier sa vie personnelle. Je suis convaincu que l'entrepreneuriat est en passe de devenir une voie d'insertion professionnelle majeure pour les jeunes diplômés. Cette évolution s'inscrit dans une phase de transition dans laquelle nous observons un rejet massif de l'actuel ordre mondial. »

Cette tendance est largement soutenue par le succès du régime microentrepreneur (ex-autoentrepreneur) qui a représenté 40 % des 554 000 créations d'entreprises en 2016, selon l'Insee. « Cela répond à une nouvelle aspiration, à un nouveau modèle économique et social, décrypte Franck Sebag. Nombre de  créateurs aspirent aujourd'hui à travailler à domicile, avec peu de contraintes. Grâce à la digitalisation, de nombreux emplois peuvent être occupés de la sorte. C'est néanmoins un statut précaire, plus ou moins subi. »

Case en moins, case en plus

Dans la plupart des cas, « entreprendre n'est pas un métier ! C'est vivre une passion et c'est souvent l'œuvre de gens qui ont une case en moins... ou en plus », résume Jean-Claude Lemoine, directeur de l'entrepreneuriat à Grenoble École de Management (Gem) et président du conseil de surveillance de Motion recall, start-up spécialisée dans la réalité virtuelle.

Jean-Claude Le Moine

L'homme, également juge au tribunal de commerce de Grenoble et président de la Banque de Savoie, confirme :

« Aujourd'hui, la motivation financière est rarissime chez les porteurs de projet. Souvent, ils ont une idée en tête et veulent la faire vivre. En cela, les nouvelles générations sont remarquables, car elles osent beaucoup plus. Par ailleurs, elles trouvent un bon support avec le secteur du numérique qui permet des réussites sans miser trop d'argent au départ. »

Et justement, le train du numérique, Denis Olivier a choisi de ne pas le manquer. Ce fils d'entrepreneurs est lui-même un chef d'entreprise chevronné. Installé dans la Loire, il dirige deux entreprises du secteur du bâtiment, Jindoli et Reivilo. Associé fondateur de l'agence de design Concept prod, il est également actif au sein de la CPME Loire et préside la commission internationale de la CCI Lyon Métropole Saint-Etienne Roanne.

Cet emploi du temps bien rempli ne l'a pas empêché de créer Meal canteen en janvier 2016. Cette start-up stéphanoise a mis au point une application permettant de réduire le gaspillage alimentaire dans la restauration collective. Un créneau à fort potentiel. Le dirigeant, qui a déjà levé plus d'un million d'euros, vise une hypercroissance et un déploiement à l'international à moyen terme. « Plus je travaille, plus j'entreprends et plus je me sens libre, s'enthousiasme Denis Olivier. Je me sens libre de faire des choix, de rencontrer sans cesse de nouvelles personnes, de découvrir de nouveaux métiers... Ce sentiment prime sur tout et je sais aujourd'hui que je ne pourrais pas redevenir salarié. »

Pour cet entrepreneur non plus, l'argent n'est pas le moteur principal : « Avec les résultats de mes entreprises, je pourrais me payer une voiture de luxe, mais cela ne m'intéresse pas. Je préfère réinvestir dans de nouveaux projets. »

L'envie avant l'idée

Bon nombre de porteurs de projet ou de « serial entrepreneurs » tiennent un discours semblable. « Je suis davantage devenu entrepreneur par défi et mû par la volonté de faire autrement, explique ainsi Sylvain Tillon, 34 ans, fondateur de la start-up lyonnaise Tilkee, spécialisée dans l'optimisation de la relance commerciale. Plus mes professeurs et mes parents me disaient que je n'y arriverais pas, plus je fonçais. Je ne voulais pas traîner la patte en allant travailler. Entreprendre me permet de faire ce que j'aime, d'être fier de ce que je fais, d'être payé au Smic mais d'être heureux. » Récemment diplômé de Télécom Saint-Étienne, Ulysse Lubin, 23 ans, s'est, lui, associé à son camarade Romain Guiot-Samson, de trois ans son aîné, pour fonder Everything, une plateforme web recensant tous les nouveaux services du secteur de l'économie collaborative.

« Nous résidions en colocation et nous avions tous les deux une furieuse envie d'entreprendre, se souvient Ulysse Lubin. De belles offres nous ont été proposées sur la ville de Lyon. Mais nous avions envie de créer, de redonner du sens au travail, de ne pas être bridés intellectuellement, d'être les seuls maîtres à bord. En fait, nous avons eu l'envie avant même d'avoir l'idée. »

Everything

Enthousiastes et optimistes, la plupart des porteurs de projet jugent que l'environnement actuel est globalement favorable à la création d'entreprise. Tout d'abord parce que l'image de l'entrepreneur elle-même a changé. « Il y a quelques années encore, c'était un gros mot d'être « entrepreneur » », se souvient Franck Sebag. Depuis, la start-up a redonné un lustre certain à l'acte d'entreprendre. Mieux, la jeune entreprise innovante se pose en héraut d'un nouveau modèle social. « Dans les startups, plus de 90 % des collaborateurs possèdent une part du capital. Le partage de la valeur s'y trouve plus importante que dans les entreprises traditionnelles et l'écart de salaire entre le salarié et le patron y est sans commune mesure, énumère Franck Sebag. Ce modèle colle bien aux aspirations des jeunes entrepreneurs même si, dans ces petites entreprises, tout n'est pas simple non plus. »

Fonds d'investissement

Dans l'ensemble, les startuppers français considèrent le contexte financier comme étant plutôt porteur. « L'État a consenti d'énormes efforts par l'intermédiaire de Bpifrance, note Jean-Claude Lemoine. Par ailleurs, les fonds d'investissement sont de plus en plus nombreux. Il n'est pas une banque qui ne possède pas le sien. De même, pas une ville ne se trouve sans business angels, alors qu'il n'y en avait pas il y a encore une quinzaine d'années. En clair, si une start-up ne trouve pas de financements aujourd'hui, c'est que le projet ou l'équipe ne sont pas bons. »

Les dispositifs d'accompagnement sont également toujours plus nombreux (Réseau entreprendre, Bpifrance, French tech, Inovizi...), évitant au chef d'entreprise de connaître une solitude qui peut s'avérer préjudiciable dans les premières années d'un projet. « En France, les créateurs d'entreprise ont beaucoup de chance, estime Ulysse Lubin. Les dispositifs d'aide sont nombreux et celui qui a envie de prendre des risques peut le faire. Je trouve seulement que ces dispositifs pâtissent d'un manque de communication pour les faire connaître, notamment auprès des étudiants créateurs d'entreprise. »

« L'environnement est presque trop aidant au niveau des incubateurs et des accélérateurs, ajoute Sylvain Tillon. Finalement, en France, tout un chacun peut démarrer son entreprise sans lever de fonds ; aux États-Unis, cette possibilité est plus grande, mais il n'y a aucune aide. »

Bien entendu, des freins subsistent, notamment pour tout ce qui touche au droit social et aux aspects réglementaires dans certains secteurs tels que l'agroalimentaire. « Les difficultés surviennent quand vous commencez à recruter, prévient Jean-Claude Lemoine. Des créateurs appréhendent énormément l'embauche, car le volet social constitue la principale source d'échec d'une start-up. Finalement, le problème en France, ce n'est pas de créer son entreprise. C'est de la faire vivre sur la durée. »

Les mentalités également peuvent représenter un frein à l'entrepreneuriat. Sylvain Tillon constate ainsi que le rapport des Français à l'échec demeure difficile et que le manque d'éducation au risque ne joue pas en faveur de la création d'entreprise. Des mentalités qui pourraient peu à peu évoluer.

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