Comment Arnaud Meunier a réveillé la Comédie de Saint-Étienne

En hissant la Comédie de Saint-Étienne parmi les plus grands centres d’art dramatique français, Arnaud Meunier a réussi à redonner ses lettres de noblesse à cette institution vieille de 70 ans. L’homme de théâtre, passé par Sciences-Po, affiche un bilan radieux, et ainsi vient d’être confirmé à la direction pour les trois prochaines années. De quoi accompagner pleinement la mutation de la Comédie et de son école dans ses nouveaux quartiers, en septembre prochain. A l'occasion de la présentation de la nouvelle saison de la Comédie, portait d’un homme engagé, sensible à la création, à la transmission et au développement des cultures.
"Créer, fédérer, partager et transmettre : pendant six ans, vous avez su parfaitement conjuguer et décliner ces quatre verbes sur le territoire ligérien." Tels sont les mots de l'ancienne ministre de la Culture Audrey Azoulay à l'égard d'Arnaud Meunier.

Au cours du mois de février, c'est par un courrier officiel signé de la ministre de la Culture, Audrey Azoulay, que l'annonce fut faite : le comédien, metteur en scène et directeur Arnaud Meunier était confirmé à la tête du Centre dramatique national de Saint-Étienne pour une nouvelle période de trois ans, à compter du 1er janvier 2018. Avec un commentaire flatteur de la ministre : "Créer, fédérer, partager et transmettre : pendant six ans, vous avez su parfaitement conjuguer et décliner ces quatre verbes sur le territoire ligérien." Un propos qui dépasse le cadre habituel de ce genre de missive.

Il faut dire que le bilan du directeur est élogieux. À commencer par celui de la fréquentation. De 2011 à 2016, celle-ci est passée de 28 000 à 43 000 spectateurs. Une dynamique qui coïncide cette année avec un anniversaire, celui des 70 ans de la structure stéphanoise, créée en 1947. Elle était alors le deuxième centre dramatique national (CDN) de l'Hexagone, après celui de Colmar. Une nouvelle génération théâtrale d'après-guerre prenait les choses en mains, tournée vers l'innovation et la jeunesse, abandonnant l'antique notion de délégation de service public jusqu'alors pratiquée et remplacée pour l'occasion par un contrat de décentralisation dramatique, institué par la loi de 1972. Avec des troupes subventionnées par l'État et les collectivités territoriales, dotées de moyens (lieux, matériels, personnels, financiers) indispensables à leur fonctionnement et garantis par les tutelles. Le tout débouchant sur le but final du projet : une mission de création dramatique d'intérêt public.

Pionnier de la décentralisation

Alors qu'à Villeurbanne, à cette époque, Roger Planchon développe le théâtre de la Cité et qu'à Lyon, Marcel Maréchal s'adonne au théâtre du Huitième, à Saint-Étienne, c'est le comédien et metteur en scène Jean Dasté qui se lance dans l'aventure avec sa troupe. Originaire de Grenoble où il aimait jouer dans les usines pour toucher le public populaire, il conçoit pour la toute jeune Comédie une activité novatrice tournée vers un large public, réalise un travail de choix, mais fait face à des divergences locales, qui le conduisent finalement à démissionner en 1970.

Toutefois, 12 années plus tard, grâce à la pugnacité de l'un des directeurs suivants, Daniel Benoin, la structure d'origine se dote d'une nouvelle composante formative : l'école de la Comédie de Saint-Étienne qui dispense, en trois ans, une formation de comédien. Plusieurs salles sont aménagées, les productions s'enchaînent et les spectacles se suivent, jusqu'à l'arrivée en 2011 d'Arnaud Meunier, qui transformera et bouleversera l'établissement. Bordelais de 38 ans, il devient alors le plus jeune directeur des CDN... avec du travail sur les planches.

"C'était une belle maison, riche d'une belle histoire, mais un rien assoupie. Elle ne réalisait que rarement des tournées, qui sont pourtant l'une de ses vocations phares. Son équipe attendait une nouvelle dynamique, prête à la suivre et à y participer activement. Ce fut le cas. Elle m'a suivie. Ils m'ont suivi, synthétise le directeur, d'abord chef d'équipe. Ils ont participé à ce redémarrage. C'était, davantage qu'attendu, indispensable à la structure."

Un leader qui avait déjà en poche et à disposition une valise "artistico-administrativo-créatrice" bien garnie : diplômé de Sciences-Po, il s'est très vite lancé dans le monde du théâtre. Il fonde en 1997 la Compagnie de la Mauvaise Graine et se fait remarquer au festival d'Avignon dès l'été suivant. Il axe tout particulièrement son travail de création sur le monde des auteurs contemporains, tels Pier Paolo Pasolini, Michel Vinaver et Stefano Massini. Mais Arnaud Meunier travaille aussi dans un univers voisin de l'opéra, comme avec Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, œuvre créée au festival de Pâques de Salzbourg, et plus récemment L'Enfant et les sortilèges, de Maurice Ravel, présenté au festival d'Aix-en-Provence. À Saint-Étienne, ce créatif s'épanouit aussi dans un contexte différent, puisque le poste comprend à la fois la direction de la Comédie et celle de son école supérieure d'art dramatique.

"Ce fut pour moi de nouveaux challenges, rappelle-t-il. Une nouvelle aventure basée sur un redémarrage, avec un centre dramatique d'un côté, composé d'un service de production associant un directeur, une équipe technique, des artistes, avec tournées à la clé. Et, de l'autre, un lieu de formation visant surtout les jeunes. Une école de théâtre comme il en existe 12 en France, formant des acteurs, mais dont l'objectif est aussi de stimuler les esthétiques. Un lieu de création et de transmission."

Égalité des chances

À la Comédie de Saint-Étienne, l'homme de théâtre parvient ainsi à faire se côtoyer les metteurs en scène et les comédiens de renom avec les compagnies émergentes. En conséquence, le nombre de productions augmente chaque année. Cette saison, 40 spectacles sont joués, soit 200 représentations. Avec des spectateurs de plus en plus nombreux et fidèles. "Il fallait trouver des créateurs, des auteurs, des dramaturges et les faire venir. Il fallait aussi et surtout retrouver et ramener le public. C'est en bonne voie", précise le directeur, satisfait.

Sur le plan de la création, celle-ci est particulièrement dynamique : 100 auteurs vivants ont été joués en six ans, à travers 140 pièces, auxquelles il convient d'ajouter 18 commandes d'écriture. La Comédie s'affiche ainsi parmi les meilleurs CDN de France. Quant à la formation, l'école forme les artistes de demain dans un site reconstruit, comportant trois plateaux de création et deux studios. En trois ans de cursus, la promotion de dix élèves est encadrée par des artistes professionnels aguerris, avec un programme complet composé de travail en ateliers, d'interprétation à la danse en passant par le corps, mais aussi de commandes d'écriture en partenariat avec la Ciné-Fabrique de Lyon.

"Arnaud Meunier est un grand « patron » de théâtre, incarnant à la fois le savoir-faire et l'expérience des anciens, et la modernité et le dynamisme des jeunes générations", souligne Claudia Stavisky, directrice du théâtre des Célestins, à Lyon.

Engagée dans une démarche d'ouverture et sociétale, l'école de la Comédie propose, depuis septembre 2014, un programme d'égalité des chances - le premier créé en France, novateur et volontariste - afin de favoriser l'accessibilité aux écoles supérieures d'art dramatique aux jeunes issus de la diversité culturelle, sociale et géographique. Un programme soutenu par la Fondation Culture et Diversité, qui se décline sous deux formes principales : les stages "Égalité Théâtre" et la classe préparatoire intégrée. Inutile de préciser que le concours sélectif est très prisé : jusqu'à 500 candidats pour dix places par promotion. "La motivation et la qualité sont bien entendu des priorités, mais pas seulement. La sélection se fait aussi sur la base de l'égalité des chances. La couleur de la peau ne compte pas, ni pour Andromaque ni pour Ruy Blas", confie Arnaud Meunier, lequel a lancé une expérience pionnière : la création d'une classe préparatoire intégrée sur critères sociaux. De quoi faire réagir la ministre de la Culture évoquant dans son courrier "l'exemplarité de son travail en faveur de l'égalité réelle".

Nouvelle Comédie de Saint-Etienne

La nouvelle Comédie de Saint-Etienne ouvrira ses portes en septembre. (Crédits : Milou Architecture)

Et le directeur va même encore plus loin puisqu'il n'oublie pas non plus les autres composantes d'activités permettant, par exemple, à 8 000 personnes de bénéficier des actions de sensibilisation au théâtre populaire, suivant 1 500 heures de pratique théâtrale, mais également s'investit pour signer des partenariats à l'international, des États-Unis à la Chine, jusqu'au Burkina Faso.

Un nouveau lever de rideau pour la ville

Ce rayonnement retrouvé et cette dynamique affichée ont évidemment un coût. Si le financement (cinq millions d'euros de budget pour le CDN et 900 000 euros pour l'école) du CDN repose à 70 % sur des subventions publiques réunissant l'État, le Département, la Région et la Ville de Saint-Étienne, il l'est aussi à 30 % sur les recettes propres, contre 12 % seulement auparavant. Un budget qui reprend les recettes de la billetterie, la vente des spectacles présentés en tournée ainsi que le mécénat local, apporté par les PME autour de grands partenaires, tel le groupe Casino, "signe d'une image de confiance que nous avons acquise auprès du milieu économique stéphanois ces dernières années".

Restait à réaliser un (vaste) projet : la construction d'un nouveau site (29,4 millions d'euros d'investissement), à la fois de théâtre et de travail, correspondant à l'évolution progressive de la maison. Un rajeunissement nécessaire de la vieille dame septuagénaire pleine de vitalité, mais dont les bâtiments vieillissants sont devenus inadaptés aux formes actuelles de spectacle vivant. Il aura fallu attendre 15 ans, et plusieurs municipalités, pour que cette opération - inscrite au Contrat de projet signé entre l'État et la Région - aboutisse et se concrétise dans le secteur Manufacture Plaine-Achille, un quartier créatif en plein cœur du parc François-Mitterrand, à deux pas de la fameuse Cité du design.

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Les travaux de cette nouvelle Comédie, dessinée par le studio Milou, devraient s'achever prochainement, avec un nouveau théâtre de 8 000 m², composé d'une grande salle de 700 places, dotée d'un très grand plateau, d'une salle modulable de 300 places, d'une salle de répétition et de deux studios de travail dévolus à l'école. L'inauguration est annoncée pour septembre, point d'orgue pour démarrer avec brio la nouvelle saison 2017-2018.

"La concrétisation d'un rêve. Une nouvelle page de l'histoire théâtrale de Saint-Étienne. Notre histoire, commente Arnaud Meunier : En prélude, nous avons pensé et conçu la présente saison comme un pont entre nos deux sites. Nous nous sommes efforcés de rester une ruche de création, tout en préparant notre déménagement."

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