Vin : Domaine Guillemot-Michel, l'œuvre du vivant

En presque trois décennies, Marc Guillemot et son épouse Pierrette ont transformé un vignoble presque confidentiel de six hectares de chardonnay, à Clessé (Saône-et-Loire), en un domaine vigoureux et vivant. Ils produisent chaque année une seule cuvée d'un blanc magnifique prévendue dès les premiers jours de sa mise en bouteilles. Sur le domaine, tous travaillent, en conscience et par conviction profonde, à la préservation d'un écosystème grandement mis à mal sur l'ensemble du patrimoine viticole.

Marc Guillemot, 58 ans, est un ami d'Emmanuel Giboulot dont le procès, en 2013, avait levé une indignation quasi générale bien au-delà des frontières. Un frondeur discret et sensible, un gaillard droit à la barbe séculière, qui aurait pu être le modèle d'un maître d'œuvre malgré son profil de « post-soixante-huitard repenti » comme il se présente, et faire bonne figure au tympan du portail d'une cathédrale. Sur ce territoire, les haies de buis, les chapelles et l'architecture délicate des pierres blanches rappellent à chaque détour que nous sommes en terre clunisienne. Dans le même ordre, il n'aurait pas été incongru de voir Marc Guillemot prendre la tête d'une jacquerie non-violente, dès lors que l'actualité viticole de cette année 2013 avait levé une résistance et une organisation exemplaires dans le grand microcosme des vignerons bourguignons. Notamment chez ceux qui n'étaient pas d'accord pour traiter systématiquement et drastiquement leur vignoble avec des produits toxiques, alors que la flavescence dorée avait été détectée dans la région. Marc Guillemot avait prévenu : « Je n'ai pas traité et je ne traiterai pas. Si l'on m'y oblige, ce sera la guerre. Les fourches du grand-père sont encore dans la grange, au cas où. » Comme un clin d'œil de l'histoire, le domaine se situe précisément route de Quintaine, cette joute médiévale ludique destinée autrefois à l'entraînement des chevaliers au combat. Le vigneron en rit aujourd'hui, fier de cette détermination contagieuse. En 2014, nombre de vignerons se sont organisés pour prospecter le vignoble en prévention. La Bourgogne viticole est aujourd'hui la seule région de France où la flavescence dorée recule, comme ont reculé, en leur temps, des décisions bureaucratiques complètement déconnectées du terrain.

Image écornée

Tout avait commencé par un foyer de flavescence découvert il y a dix ans et que la chambre d'agriculture n'avait pas identifié. C'est le vigneron concerné lui-même qui avait fait analyser ses vignes, constatant l'attaque de la cicadelle. S'en était suivie une réaction offensive de l'administration qui avait imposé un traitement obligatoire sur les deux départements de la Côte-d'Or et de la Saône-et-Loire. « Nous sommes tombés sur un fonctionnaire qui voulait éradiquer, explique Marc Guillemot. La maladie qui progresse depuis 30 ans est une maladie de quarantaine, donc encadrée par l'Europe, et il allait même au-delà des directives supranationales ! Alors que la cicadelle se déplace lentement et nous laisse le temps de réagir si on prospecte régulièrement. » Il semble que l'origine de ce cataclysme équivalent au phylloxéra soit liée aux pratiques de reproduction des vignes par clone et bouture, mises en œuvre depuis 30 ans, car la vie maintient sa vigueur génétique par la reproduction naturelle. Les fonctionnaires dijonnais qui avaient amorcé l'incendie ont finalement été mutés ou promus. En 2015, Thibault Liger-Belair, le second vigneron convoqué devant les tribunaux pour les mêmes raisons, était relaxé, la maîtrise et le courage dans leur positionnement forçaient le respect. Mais infliger l'humiliation d'un procès à des vignerons animés d'une éthique profondément respectueuse du vivant et qui, par leur choix, se situent dans le sillage des plus grands : Romanée Conti ou domaine Leroy, a porté un coup rude à l'image lisse de la Bourgogne, révélé des dissensions, des coups bas. Malgré ses dérives matérialistes, elle incarne toujours l'archétype d'un modèle viticole unique. Et la biodynamie, si elle concerne seulement 4 % du vignoble, représente presque 30 % du chiffre d'affaires : « Cette histoire a eu le mérite de ressouder le nord de la Bourgogne, où se trouvent les « seigneurs », pour qui cela marche très bien, et les parents pauvres du sud, qui compte plus de caves coopératives », conclut Marc Guillemot, qui n'a jamais supporté « qu'un type derrière son bureau lui intime l'ordre d'agir sur ses terres ! ». Il invite sans relâche ses collègues à « se réapproprier le métier », en affirmant haut et clair que « tout se fait grâce à la conviction et à la conscience ».

Aspect paysan

C'est en 1979 que ce Parisien issu de la filière « math sup et math spé » a rencontré Pierrette, son épouse, inscrite en filière viticole à Beaune. Son père, Georges Michel, coopérateur, possédait le domaine actuel, planté par le grand-père. Alors que le couple avait décidé d'aider Georges Michel à Clessé, Marc Guillemot est tombé malade à cause des traitements chimiques du vignoble : et au décès du patriarche, le couple quittait la cave, et convertit l'ensemble à la biodynamie. « La coopérative ne nous avait pas payé la dernière récolte. Nous avions besoin d'argent. Alors nous nous sommes installés aussi comme œnologues ! » Quant au « regard des autres », il y a 25 ans, revenir au pays diplômé des grandes écoles, prendre la liberté de quitter la cave coopérative et traiter le vignoble en conformité avec le calendrier biodynamique à trois heures du matin, leur compte était bon ! Marc Guillemot évoque cela avec humour et un total détachement : « Nous sommes venus à la biodynamie par l'aspect paysan. Nous trouvions une réponse à des questions agronomiques, car être simplement en bio ne nous suffisait plus. » Utiliser à outrance des produits chimiques ou des produits bio : il y a ici une forme d'équivalence d'appréhension par le quantitatif, qui pose un problème au vigneron. Au contraire, la biodynamie se situe sur le registre de l'impulsion. Elle apporte une vision cosmique mettant en interrelation l'ensemble des paysages, provoquant l'action recherchée par des doses homéopathiques - quatre grammes de silice à l'hectare par exemple, pour donner une impulsion de lumière à la plante - plutôt que se substituer à l'action du végétal, avec le ciel et les cycles planétaires. « C'est une agriculture solaire », résume Pierre Masson, un spécialiste, inspirateur amical de la conversion du domaine Guillemot-Michel. « C'est un monde que l'on ne maîtrise pas encore. Il subsiste une part de mystère. Nous tentons de retrouver les rythmes de la plante. Il n'y a pas de routine en biodynamie », ajoute le vigneron.

Mère et fille

Au domaine, c'est le paradis retrouvé des salamandres, chenilles de sphinx, nichées d'oiseaux cachées dans les sarments, papillons et autres insectes, forcément bienvenus dans un monde où chaque organisme vivant à son rôle et sa place. Plantation de haies, refuges à insectes, calendrier de travail réalisé en harmonie avec les positions cosmiques et planétaires respectant les rythmes biologiques de la plante en encourageant sa vitalité, comme les micro-organismes du sol et les substances minérales. Ici tout semble merveilleusement vivant, donc beau. Les grosses lessiveuses où chauffaient les tisanes de plantes ont été remplacées par de magnifiques alambics en cuivre et en bois, où s'élaborent les hydrolats, mais aussi le marc de Bourgogne. Sophie, « la fille unique préférée », s'y est mise. Avec Pierrette sa mère, elles ont fait l'école des plantes de Lyon, pour approfondir l'univers de la flore et de ses miracles curatifs : camomille, valériane et fougère y sont distillées. Le romarin est utilisé pour lutter contre le mildiou. Ce ne sont pas moins de cinq personnes pour six hectares qui travaillent au domaine et réalisent un vrai travail de jardinage, car ici la présence humaine est continuelle. Pierrette reçoit la clientèle, s'occupe en partie de la vinification et officie à la partie ingrate de l'administratif ordinaire et pléthorique de toute entreprise. Le flacon, un peu onéreux pour l'appellation, leur permet de s'en sortir financièrement.

Marc Guillemot  se définit comme : « l'ours des vignes », celui que les clients ne voient jamais, qui bricole les machines, adapte, ajoute, supprime, rallonge ou raccourcit les tuyaux, récupère l'eau de pluie, la filtre dans le sable, avant d'en arroser ses vignes. Un inventaire à la Prévert destiné à améliorer les outils des biodynamistes, tout en communiquant à ses collègues le fruit de ses tentatives et expérimentations depuis bientôt trente ans. Il aime à montrer, sur les photos, l'évolution du domaine, sa bonne santé, la terre qui remonte, submergeant la caillasse ; et malgré la charge de travail, la fibre poétique et l'ingéniosité de la famille s'expriment. Le vigneron considère la terre davantage comme une belle endormie qu'il faut réveiller que comme le terrain offensif des tractoristes, comme il les nomme. En résumé, ceux qui sont pris dans la spirale d'une mécanisation à outrance, avec peu de personnel pour beaucoup d'hectares. Au domaine, l'intelligence, la capacité à se remettre en question et une curiosité sans faille, attirent les jeunes gens. « Si un stagiaire veut pratiquer telle intervention que je n'approuve pas, je lui demande de m'expliquer pourquoi », dit le vigneron.

Bouche-à-oreille

Auparavant, le mâcon-villages était un vin de comptoir. Puis, il a décollé. Mais pour le vigneron, le fossé se creuse depuis une dizaine d'années entre les gens qui s'orientent vers la biodynamie avec un vin de qualité et une plus-value importante, et de l'autre, les coopératives. Avec la Saône à l'est, le sol composé d'argile, de limons, d'humus issu de la décarbonatation des sols calcaires, ce sont des limons en billes qui s'auto-tassent, deviennent du béton et ne respirent plus. En fait, des terroirs assez ingrats. Mais c'est bien cette difficulté géologique qui permet d'élaborer des vins parfaits comme l'œuvre divine ! La cuvée Quintaine, assemblage de toutes les parcelles du domaine, donne des vins fruités, légers, légèrement citronnés, tendus. « Le vin est différent en biodynamie : il possède une finesse supérieure. Le nôtre n'est pas du tout boisé. Il présente un bel équilibre fraîcheur, finesse, minéralité. Une cuvée, c'est une entité, l'histoire d'un chemin. » Quant à la question habituelle posée à Marc Guillemot : « Est-ce que cela fonctionne ? », la réponse ne se fait pas attendre, car les preuves scientifiques et la justification rationnelle, il s'en moque comme d'une guigne. Le résultat est là, éclatant. Au début de l'installation du domaine, un jour qu'il rentrait de ses vignes, il a vu un homme qui l'attendait : un importateur anglais qui lui a pris 12 000 bouteilles en une seule fois. Huit jours après, un autre... Le bouche-à-oreille et la réputation comme une traînée de poudre. Parker ? Il n'est pas allé le chercher. Ce sont les clients qui ont écrit au fameux guide américain. Et les notes sont excellentes. Le vin est présent dans 13 pays, il ne reste même pas un tiers de la production pour l'Hexagone. Le couple ne se rend qu'à un seul salon, celui d'Angers, pour « voir les copains ». En cave, aucun travail de vinification : « Nous pressurons, nous laissons décanter une nuit et nous mettons en fûts. Nous ne faisons pas de soutirage non plus. En résumé, nous ne faisons rien, s'amuse le vigneron, que de la surveillance ! » L'avenir s'écrira avec Sophie Guillemot-Michel qui prend progressivement la suite de ses parents et ne souhaite pas agrandir le domaine. Pour développer l'activité, elle préfère s'orienter vers les produits dérivés : un marc unique, certifié Demeter, et des vins à bulles, mais aussi le tartre du blanc, lavé, séché, broyé. Un ami chef étoilé Michelin l'expérimente en levain de pâtisserie.

Une verticale récente de tous les vins du domaine a donné l'occasion au vigneron de constater que chaque millésime est une mémoire vivante d'où surgit une temporalité évoquant avec pudeur le bonheur des jours, mais aussi les secrets et la fragilité de la vie. Chacun son voyage. Que Dionysos et tous ses pairs fassent qu'il se perpétue avec bonheur au domaine Guillemot-Michel.

Domaine Guillemot-Michel

Clessé (Saône-et-Loire)

Blanc AOC Viré-Clessé

Cuvée Quintaine

Certification Demeter

6 hectares

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