Enseignement supérieur : l'IDEX Lyon Saint-Etienne gravement menacé

Coup de semonce dans le paysage de l'enseignement supérieur lyonno-stéphanois : les universités Lyon 2 et Lyon 3 refusent pour l'heure de souscrire aux conditions de naissance de "l'Université intégrée" exigée dans le cadre du projet IDEX. Cette position fragilise dangereusement la candidature lyonnaise au dispositif public destiné à doter les communautés universitaires et établissements (COMUE) de moyens de recherche substantiels et structurants - le crédit budgétaire annuel et récurrent alloué aux membres de l'Université de Lyon Saint-Etienne sera de 30 millions d'euros. Jusqu'à la mettre en péril ?
"Si les réalités étaient tues aujourd'hui, on prendrait le risque de les livrer en pâture au moment du vote par les conseils d'administration et alors de perpétrer un véritable carnage", argumente Jacques Comby, président de l'université Lyon 3.

Le 20 juin 2016, le jury se prononçait sur la candidature de l'Université de Lyon Saint-Etienne au programme IDEX2 - à l'issue de vicissitudes internes, elle n'avait pas été retenue lors de la première vague. A l'aune du bilan des actions du Programme Avenir Lyon Saint-Etienne (PALSE) déployés depuis 2012 et des détails du projet IDEXLYON2016 présenté six mois plus tôt, la délégation conduite par Khaled Bouabdallah, président de l'Université de Lyon Saint-Etienne et Jean-François Pinton, chef du projet IDEX et président de l'ENS de Lyon, pouvait rentrer satisfaite et confiante : quatre jours plus tard, le site lyonnais était officiellement présélectionné, franchissant là une étape décisive vers une labellisation qui ouvre la voie à d'importantes perspectives.

A la clé en effet, 30 millions d'euros récurrents et non fléchés, c'est-à-dire une dotation extra-budgétaire destinée au financement de projets dans les secteurs de la biosanté, de l'urbain, des sciences de l'ingénierie et du développement durable. Une goutte d'eau mesurée au budget consolidé des établissements - supérieur à un milliard d'euros -, mais une manne substantielle rapportée à la part des lignes non fléchées - hors salaires, entretien, etc. - desdits budgets.

Echec assuré

Une condition, toutefois : que les douze établissements "membres" et la quinzaine d'autres "associés" s'engagent à constituer une université dite intégrée, c'est-à-dire à terme une seule et même enseigne qui s'impose à la logique fédéraliste jusqu'alors appliquée. Et c'est bien la mise en oeuvre de cette condition, encore vague pendant longtemps mais devenue incontournable, qui a décidé la gouvernance des universités Lyon 2 et Lyon 3 de faire, pour l'heure, sécession.

"Quelques discours se veulent rassurants et minimisent les répercussions auprès du jury, mais la réalité est tout autre : ne pas souscrire à l'université intégrée, et c'est l'échec assuré", tranche-t-on parmi les acteurs clés du dossier. Bien plus que la fébrilité : la stupéfaction est palpable au sein des cercles décisionnels économiques et politiques, tout entier à tenter d'infléchir, par tous les moyens, la situation.

Postures idéologiques

La position de l'Université Lyon 2 - sa présidente, Nathalie Dompnier, n'a pas répondu à nos demandes d'entretien -, embarrassante tant ses ressources et son expertise dans le domaine des SHS (sciences humaines et sociales) sont élevées, n'a guère surpris au sein de l'aréopage.

"L'établissement est, là, fidèle à ses régulières prises de position idéologiques. Toujours rétif, voire contre les réformes (loi LRU, regroupements universitaires, COMUE...)", observe-t-on.

Et, comme un symbole, de rappeler que le vice-président de Lyon 2 en charge de la vie institutionnelle, Eddy Manas, porta lui-même un recours au Conseil d'Etat contre le décret de création de la COMUE.

Mais Lyon 3... La stupeur est grande, car jusqu'alors l'établissement présidé par Jacques Comby et qui forme 27 000 étudiants, progressait dans une dynamique collaborative saluée par les parties prenantes. Que s'est-il passé ? Sont-ce les pressions, les réticences, les préoccupations, mais aussi, déplorent les détracteurs, les positions "misérabilistes", la résurgence de positions dogmatiques et corporatistes, et l'immobilisme de certaines facultés, notamment celle de droit, qui ont inversé cette dynamique ?

Rapports de force

Surtout, résume un hiérarque de l'université, la "fameuse" réunion du 6 septembre à l'issue de laquelle le schisme était consommé, fut le point, protéiforme, de cristallisations : celle "d'enjeux objectifs" - la pertinence, le niveau et le rythme du processus d'intégration, l'effacement des personnes morales à des échéances distinctes selon leur statut, universitaire ou grande école, la vocation d'une COMUE qui s'est "institutionnalisée" et "empile les compétences" - ; celle aussi de discordes idéologiques anciennes ici exhumées - positionnement singulier de l'ENS, rivalités entre universités et grandes écoles dont les statuts, la variété des tutelles ministérielles, la culture de la gouvernance se distinguent - ; celle, enfin, plus prosaïquement, de rapports de force, d'enjeux de personnes, et de luttes d'égos.

"Cette étape, tendue, de négociation, est-elle 'normale' ? Difficile de se prononcer. Mais ces jeux de positionnement ne sont pas rares et ne signifient pas automatiquement rupture", tempère le même hiérarque.

"Nous ne disons pas non"

C'est d'ailleurs le message que délivre le président de Lyon 3 :

"Nous ne disons pas 'non' à l'université intégrée, nous ne disons bien sûr pas 'non' à l'IDEX. Simplement, nous avons besoin de valider chaque étape préparant sereinement à la labellisation programmée cet hiver [présentation en décembre puis soutenance en février, NDLR|. Il faut clairement exposer les qualités et les insuffisances des modèles possibles, et en débattre tous ensemble. C'est d'ailleurs ce à quoi nous nous employons.

Si les réalités étaient tues aujourd'hui, on prendrait le risque de les livrer en pâture au moment du vote par les conseils d'administration et alors de perpétrer un véritable carnage, argumente Jacques Comby, estimant que l'IDEX, aussi fondamental soit-il, ne peut pas justifier d'imposer à la hâte une transformation aussi radicale du paysage universitaire.

Si l'université intégrée devait être la simple addition d'établissements formant un mastodonte de 140 000 étudiants, la disparition simultanée des personnes morales et de leurs représentations décisionnelles, une gouvernance, une organisation, et des projets structurants préparés dans la précipitation, l'illisibilité sur les conséquences pour le personnel et le corps professoral, enfin la nébulosité sur des sujets aussi essentiels que l'harmonisation des statuts université et grande école, la pérennité des 'valeurs' de l'université ou la sanctuarisation des sciences humaines et sociales, notre conseil d'administration aurait raison de ne pas souscrire. Nous souhaitons simplement des garanties. En premier lieu sur la clarté stratégique et l'efficacité du futur ensemble, y compris pour que la présentation finale emporte l'enthousiasme du jury de l'IDEX."

A cet effet, Jacques Comby assure travailler à proposer plusieurs modèles alternatifs à ses administrateurs, oscillant du retrait pur et simple à la totale intégration en passant par la fusion des universités Lyon 2 et Lyon 3. Et il exhorte à "faire fi des erreurs de communication à ce jour" et à saisir ce "moment de tension" pour en faire une "opportunité salvatrice. Je ne doute pas que chaque membre de la COMUE partage le même souhait que moi : réussir tous ensemble"

Encore de l'espoir ?

La partition est-elle définitivement jouée ? "Pas encore", espère-t-on chez les défenseurs et architectes de l'IDEX2, soulignant par ailleurs, comme pour maintenir un semblant de confiance, que la COMUE de Bordeaux a été labellisée quand bien même l'Université Bordeaux 3 se désolidarisait, et que le retrait de Lyon 2 et Lyon 3 au moins satisfera les contempteurs d'un regroupement initial jugé obèse. "Certainement pas", poursuit et soutient de son côté celui vers qui l'ensemble des esprits sont désormais tournés. "Je ne veux pas imaginer que nous nous retrouvions en dehors du dispositif IDEX, estime Jacques Comby. Et, à l'aune des propositions que nous allons soumettre, je suis confiant en une issue finale heureuse."

Dans le cas contraire, surtout si le retrait de Lyon 3 hypothèque la labellisation, acceptera-t-il d'en endosser la responsabilité et même de démissionner ? "Surement pas. Car si échec il y a, ce sera celui de tous."

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Commentaires 4
à écrit le 26/09/2016 à 15:43
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Sur le sujet, et surtout depuis la LRU, les présidences ne représentent qu'elles-mêmes. Et les 30M d'euros font déjà saliver les clientélistes qui tournent autour. Ce n'est ni de l'Economie, ni de la Gestion, di de la Science, ni de l'Efficacité, ju...

à écrit le 15/09/2016 à 19:33
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Une Initiative d'excellence vise à un fort niveau de coopération et d’intégration entre écoles et universités ainsi qu'avec les organismes de recherche. Nous demandons à nos "élites dirigeantes" de l'enseignement et de la recherche d'avoir un compo...

à écrit le 14/09/2016 à 13:39
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L'échec de tous ? Il est bien cavalier de mouiller dans l'échec tous ceux qui malgré leurs demandes n'ont jamais eu la moindre information sur le contenu du dossier !! Seule une poignée de "happy few" décident de l'avenir de cette fameuse Universit...

à écrit le 14/09/2016 à 8:47
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Quoi ? cette alliance du poulet, du renard, du python, du gorille et de l'alligator ne marche pas ? Sous prétexte de faire nombre, n'importe quoi ! Fusionnner réellement Lyon 2 et Lyon 3 serait déjà un bel exploit.

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