Comment les territoires défendent leurs marques

La fusion des régions Rhône-Alpes et Auvergne ne devrait pas renverser la donne en matière de marketing territorial. Dans la mesure où l'identité d'un territoire – et par conséquent son message de communication – transcende les frontières administratives, les nombreuses marques existantes vont continuer à faire valoir leurs spécificités propres. Un paysage dense qui n'est pas toujours lisible ni aisé à mettre en cohérence tant les positionnements, les moyens et les cibles des marques sont divers.
la marque lyonnaise Onlylyon mobilise à elle seule 2,2 millions d'euros de budget de communication

Œuvre collective ou simple gadget ? Stratégie à long terme ou coup de communication ? Étendard commun ou coûteux caprice d'élu ? Depuis une quinzaine d'années qu'elles fleurissent un peu partout, les marques de territoire ont pris des formes très diverses avec toutefois des enjeux communs : mobiliser les acteurs locaux, développer l'attractivité, travailler l'image et se positionner vis-à-vis des territoires concurrents. Aujourd'hui, rares sont les départements qui ne comptent pas au moins une marque territoriale.

En Auvergne Rhône-Alpes, une douzaine existe. Un paysage relativement dense dont la donne ne devrait pas être inversée avec la nouvelle région. Celle-ci étant géographiquement et culturellement hétérogène, ce sont bien les identités locales qui vont continuer de primer. En clair, si les marques jouent parfois la complémentarité entre elles, les territoires conservent bel et bien leur spécificité et cohérence propres. Par conséquent, les stratégies marketing territoriales ne vont pas beaucoup changer.

« Ce n'est pas parce que l'on fusionne avec Rhône-Alpes qu'il va cesser de neiger chez nous, résume Jean Pinard, délégué général de la marque Auvergne Nouveau Monde. Certes le conseil régional d'Auvergne disparaît, mais le territoire continue d'exister. »

Marc Thébault, ancien directeur de la communication de la Ville de Saint-Étienne (de 1998 à 2003) et spécialiste du marketing territorial, confirme :

« Le marketing cherche avant tout à identifier le territoire le plus pertinent sur lequel s'appuyer. Le discours de communication est indépendant des frontières administratives. L'Auvergne, par exemple, possède une notoriété et je ne vois pas pourquoi elle s'en priverait. »

Une opportunité pour les territoires centraux

Assez logiquement, les marques territoriales situées en bordure de la nouvelle région se sentent peu concernées par la fusion Auvergne Rhône-Alpes. C'est notamment le cas de Savoie Mont-Blanc, naturellement tournée vers les métropoles de Lyon et Genève, ou encore de l'Ain dont une grande partie (Bugey et Pays de Gex) est inscrite dans le paysage des monts du Jura. « Il est trop tôt pour savoir si la physionomie de la nouvelle région aura un impact sur notre stratégie », estime Gilles Brevet, chargé de communication à l'Agence de développement touristique de l'Ain et de la marque « Ain, mon luxe au naturel ».

À la pointe ouest de l'Auvergne, le Cantal n'attend pas beaucoup de la nouvelle région dont il est le plus petit département. « Avec seulement quatre élus sur 204, nous sommes très faiblement représentés au conseil régional », rappelle François-Xavier Montil, directeur de cabinet du président du conseil départemental du Cantal. Les territoires centraux perçoivent davantage la fusion des deux régions comme une opportunité.

« Dans un contexte où la centralisation sur Paris pénalise des villes comme Lyon, tout ce qui donne du poids à la région donne de l'importance à la ville-centre, analyse Lionel Flasseur, directeur du programme Onlylyon. Aujourd'hui, nous recevons des appels de territoires de la région qui veulent se placer derrière l'étendard Onlylon. Pour nous, tout cela va dans le bon sens. »

C'est le cas de l'agglomération de Saint-Étienne métropole, dont le président Gaël Perdriau a décidé d'abandonner la signature « Saint-Étienne atelier visionnaire », initiée par son prédécesseur socialiste, pour se placer sous la marque ombrelle Onlylyon. « Vues de New York ou de Pékin, Saint-Étienne et Lyon font partie d'un même ensemble », argumente-t-il. L'élu est également convaincu que la deuxième ville de la région peut tirer profit de sa nouvelle position géographique centrale.

Cacophonie

En présence d'un trop grand nombre de marques de territoires, il existe pourtant un risque d'empilement des messages.

« Il peut y avoir une certaine cacophonie lorsque plusieurs marques communiquent de manières différentes sur un même territoire », confirme Marc Thébault.

Une telle superposition s'observe dans les Alpes avec Savoie Mont-Blanc et Chambéry Grand Lac. Fondée en 2006, la première s'étend sur les deux départements savoyards dans une optique d'attractivité touristique. La seconde est née fin 2015 du rapprochement de cinq structures de développement économique du bassin de Chambéry avec un objectif clair : attirer des entreprises.

« Savoie Mont-Blanc est une marque qui véhicule parfois une image très montagnarde. Or, nous disposons également d'un foncier autour de Chambéry dont l'accessibilité est totale, insiste le président de Chambéry métropole, Xavier Dullin. Nous ne renions pas du tout notre identité, mais il faut aussi expliquer aux gens que nous pouvons proposer des espaces de vie dédiés à l'industrie, à la logistique et aux services. À un moment où les métropoles sont confrontées à des enjeux de densité et de mobilité, nous voulons exercer un rôle de bassin versant. »

Lire aussi : Chambéry Grand Lac : une bannière commune pour attirer les investisseurs

Côté Savoie Mont-Blanc, il existe déjà de nombreuses marques dans les Alpes, à commencer par les noms des grandes stations elles-mêmes : Courchevel, Chamonix, Méribel, Megève, Val d'Isère... « Je comprends que chacun ait besoin de s'organiser, mais il faut conserver une même dynamique », répond Côme Vermersch, directeur général de Savoie Mont-Blanc. Le même schéma de superposition s'observe entre la marque régionale Auvergne Nouveau Monde et celle du département du Cantal, Cantal Auvergne, qui mène ses propres actions de promotion.

« Nous sommes Auvergnats mais avant tout Cantalous, clame François-Xavier Montil. Cantal Auvergne est une initiative pragmatique et simple qui vient de la base et non pas d'une agence de communication. C'est une marque qui appartient aux Cantaliens. À l'inverse, les gens ne se sont pas appropriés Auvergne Nouveau Monde. »

BtoB ou BtoC

Vue d'en haut, Auvergne Rhône-Alpes offre une mosaïque de territoires aux identités plus ou moins fortes dont les atouts sont variés et les stratégies marketing parfois difficiles à mettre en cohérence. Pour y voir plus clair, il faut tout d'abord distinguer les marques axées sur le développement économique, et dont la cible est essentiellement BtoB, de celles qui s'appuient sur le développement touristique, et dont la cible est surtout BtoC. Dans la première catégorie, se rangent des marques telles que Chambéry Grand Lac, et dans l'autre des marques comme Savoie Mont-Blanc ou « L'Ain, mon luxe au naturel ». Certaines jouent plus ou moins sur les deux tableaux. C'est notamment le cas d'Onlylyon.

Les marques territoriales se distinguent également par leur force de frappe et donc leurs ambitions. En haut de l'échelle se classe la marque lyonnaise qui mobilise à elle seule 2,2 millions d'euros de budget de communication, 21 000 ambassadeurs et sept collaborateurs œuvrant au quotidien pour que la capitale de région accède au top 15 des métropoles européennes. « Si l'on ajoute les actions menées directement par les partenaires d'Onlylyon (Aderly, Métropole, etc.), nous arrivons à un budget total compris entre cinq et six millions d'euros et environ 200 personnes », précise Lionel Flasseur.

En tête de file également, Savoie Mont-Blanc dispose d'un budget de quatre millions d'euros pour assurer sa promotion en France et à l'international. « Face à des concurrents comme l'Autriche et, dans une moindre mesure la Suisse, il nous fallait créer une marque forte », souligne Côme Vermersch. Une marque qui n'hésite pas à recourir à des canaux « de puissance » (publicité TV, affichage dynamique...) pour toucher un public très large. Avec des résultats :

« Ces cinq dernières années, nous avons été par trois fois la première destination mondiale de ski devant les États-Unis. »

Actions offensives

À l'autre extrémité du spectre, les « petites » marques territoriales doivent faire preuve d'astuce pour espérer se faire remarquer. Avec ses 150 000 euros de budget, « Roanne tout & simplement » joue dans cette cour. Officialisée fin 2014, cette marque de territoire est née de la collaboration de plusieurs institutions locales dans le but d'attirer les porteurs de projets.

« Naturellement, nous ne sommes pas en concurrence frontale avec des acteurs comme Onlylyon ou Auvergne Nouveau Monde, note Elsa Oblette, chargée de mission de la marque. Tout notre travail consiste à proposer autre chose, à trouver un angle de vue différent. »

« Roanne tout & simplement » a donc choisi de délivrer un message axé sur les facilités offertes par le cadre de vie de la région roannaise : foncier disponible, proximité des acteurs publics, environnement naturel... Un argumentaire qui transite notamment par un réseau de 440 ambassadeurs.

De son côté, Cantal Auvergne mise beaucoup sur la fierté d'appartenance des Cantaliens. « Il y existe chez nous un fort attachement au territoire, un peu comme chez les Basques ou les Corses », affirme François-Xavier Montil. Et de citer pour preuve le compte Facebook de la marque qui a attiré quelque 16 000 fans pour 150 000 habitants seulement sur le département. L'absence de budget n'empêche pas Cantal Auvergne de mener des actions offensives. Ainsi le 26 février, elle a investi le 27e étage de la tour Oxygène, au côté d'Onlylyon, à l'occasion du match retour opposant le Lou Rugby à l'équipe d'Aurillac. 40 entreprises cantaliennes seront également de la partie.

« Notre démarche a vocation à générer du business, assure François-Xavier Montil. Aujourd'hui, notre objectif est clair : c'est Lyon. »

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