Demain, l'agriculteur sera-t-il encore dans le pré ?

Adieu veau, vache, cochon et bientôt agriculteur ? Drones, robots, applications, capteurs, l'agriculture vit sans doute la plus importante révolution de son histoire après celle du tracteur apparue à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les technologies toujours plus perfectionnées envahissent les exploitations, les engins deviennent de super véhicules high-tech et les agriculteurs des hommes connectés. Dès lors, dans la société 3.0 comment le métier va-t-il évoluer ? Un bouleversement porteur d'autant de doutes que d'espoirs. Enquête, alors que se déroule jusqu'au 6 mars, le salon international de l'agriculture.

Quelque part en Rhône-Alpes, tandis que le soleil offre ses premiers rayons lumineux sur la campagne, le paysage se réveille lentement, accompagné par le chant des oiseaux. Les vaches paissent l'herbe du champ dans lequel elles sont parquées depuis plusieurs semaines. Il est un peu plus de 6 heures du matin. Le temps semble s'être arrêté comme sur une photographie de Raymond Depardon. Aucune voiture à l'horizon, aucune âme non plus.

Cette atmosphère bucolique pourrait être caractéristique de n'importe quel territoire rural si ce n'est qu'en cette matinée du début de l'été, cette agréable quiétude est rapidement chassée par un bruit continu d'un engin moteur. Travaillant dans un champ voisin, au loin, il ressemble à n'importe quel tracteur, avec ses quatre grosses roues et son imposante structure métallique.

Contrôle de l'exploitation devant ses écrans

Pourtant à bien y regarder, ce tracteur a la spécificité de ne posséder ni cabine ni chauffeur à son bord. Il roule de manière autonome. Pas de gasoil d'un genre nouveau, ce véhicule fonctionne à l'électrique grâce à une batterie intégrée et dont la durée de fonctionnement peut atteindre plusieurs heures. Muni d'une puce GPS, il est également dirigé à distance. C'est donc depuis l'aube que ce tracteur 3.0 ne cesse d'effectuer des allers-retours suivant un parcours défini, tractant derrière lui une andaineuse permettant de mettre en bandes continues, le fourrage laissé au sol en vue d'en faire des bottes. Après cette tâche, le véhicule autonome reviendra à sa station pour se recharger.

Lire aussi : L'agriculteur, toujours maître de son exploitation ?

À quelques kilomètres, deux heures plus tard, dans une exploitation familiale, tandis que d'autres sont sur le pied de guerre depuis l'aube, Nicolas démarre sa journée. Ce jeune agriculteur chemise bleue à carreaux, jean noir délavé et baskets de sport, ressemble davantage à un startupper de la Silicon Valley qu'à un travailleur des champs. Assis sur son fauteuil, il vérifie devant ses écrans d'ordinateur, le travail effectué depuis le début de la matinée, par son tracteur robotisé qu'il avait programmé la veille.

Il examine l'ensemble des données enregistrées sur sa machine (qualité du sol, production, etc.), transmises en temps réel par puce 4G. Pour lui, nul besoin d'être aux commandes de son véhicule, il lui suffit d'une bonne connexion en fibre optique et d'une carte Sim pour pouvoir mener les opérations depuis son bureau, devenu un centre de contrôle.

Un scénario bientôt réel

Un tel scénario n'est encore que fiction et semble sortir tout droit de l'imaginaire du service marketing du fabricant américain de matériels agricoles John Deere, très en avance sur les questions d'innovation. Loin d'être une utopie ou un effet de mode, qu'un tracteur puisse labourer, semer ou faucher sans chauffeur, être commandé et programmé à distance pourrait donc arriver très rapidement, à en observer la pénétration grandissante des nouvelles technologies dans le domaine de l'agriculture.

« Avec le progrès technologique, faire de l'agriculture depuis son bureau est envisageable, voire même déjà faisable », reconnait Gilbert Grenier, professeur à Bordeaux Sciences Agro et expert en machinisme.

Il n'est désormais plus qu'une question d'années avant que la technologie n'entre par la grande porte et se démocratise largement. Des initiatives montrent déjà les possibilités. Au cours du Salon international des machines agricoles qui se tenait à Paris, au début de l'année, Baudet-Rob a fait sensation.

robot

Imaginé par les chercheurs de l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture de Clermont-Ferrand, ce robot de la forme d'une brouette a la capacité de suivre de manière autonome (pendant 7 heures) une personne en analysant le mouvement de ses jambes. Il pourrait donc être utile au transport des récoltes de fruits par exemple sur des exploitations viticoles ou maraîchères. En phase de test avec l'entreprise auvergnate Effidence, Baudet-Rob devrait être commercialisé en 2016.

« C'est par ce genre de produit que nous irons encore plus loin dans l'innovation », souligne Michel Berducat, ingénieur de recherche et directeur adjoint du laboratoire UR TSCF en charge de l'innovation à l'Irstea de Clermont-Ferrand.

Des questions

L'agriculture vit sa nouvelle révolution grâce (ou à cause) de la technologie.

« Je n'ai jamais vu cela, indique Jean-Yves Collomb, agriculteur dans le Nord-Isère. D'ici quelques années, chaque tracteur possèdera son GPS et plusieurs capteurs, nous aurons aussi tous un robot. Ce n'est plus de la science-fiction ! »

Dans le même temps, le métier même d'agriculteur devrait évoluer. Se posent alors les questions de son avenir et son rôle ; de la place des technologies de pointe et de précision se substituant aux méthodes traditionnelles ; de l'intérêt qu'elles peuvent apporter sur un métier jugé encore difficile ; de l'inquiétude provoquée par l'immersion dans l'agriculture de multinationales technologiques comme Google intéressées en particulier par l'enjeu des millions de données. Mais aussi des besoins alimentaires mondiaux toujours plus importants.

« Il y a quelques années, l'agriculture répondait à un enjeu : produire plus, mieux, en garantissant la qualité sanitaire. Aujourd'hui, elle a changé de paradigme :  elle doit produire mieux, sans doute plus, mais surtout doit être plus respectueuse de l'environnement. La technologie peut ainsi y participer », remarque Christophe David, directeur exécutif et directeur scientifique à l'Institut supérieur d'agriculture et d'agroalimentaire de Rhône-Alpes (Isara) à Lyon.

Évolution positive pour certains qui y voient une manière « formidable » d'apporter des outils performants et un nouveau souffle à un secteur qui se restructure. Mais appréhension, pour d'autres, qui ne cachent pas leur doute quant aux pouvoirs réels que possédera encore l'agriculteur, demain, face à une industrie puissante et des missions évolutives.

Le sujet fascine et interpelle autant que la voiture sans chauffeur peut le faire aujourd'hui et que l'ordinateur l'a fait hier.

Des agriculteurs à l'affût du progrès

« L'agriculteur prendra toujours plus de plaisir sur son tracteur que derrière un ordinateur. » S'il estime que les avancées technologiques actuelles peuvent permettre à un exploitant de piloter à distance sa ferme, Gilbert Grenier reste néanmoins lucide :

« Ce sera tout de même difficilement réalisable. D'abord parce que cela coûte cher, que les enjeux de sécurité restent importants, et surtout que l'aspect humain ne peut se substituer à la machine. »

Chercheurs, sociologues, agriculteurs ou président de chambre d'agriculture, tous s'accordent sur un point : l'agriculteur a toujours été à l'affût du progrès technique, cherchant sans cesse à obtenir un gain de productivité, de qualité et de rentabilité.

« Ils ont été les plus grands utilisateurs du Minitel et sont ceux qui l'ont utilisé jusqu'à la fin », rappelle Gilbert Grenier.

Pourtant les idées reçues ont la dent dure, et de fait, subséquemment c'est tout l'inverse.

« Ils suivent les évolutions de la même manière que les Français », indique Anne Blondel, responsable technique de Fidocl Conseil Élevage pour la Saône-et-Loire et l'Ain, société de collecte de données en élevage.

« La technologie a constamment bousculé ce domaine, ajoute François Purseigle, sociologue des mondes agricoles. Après la Seconde Guerre mondiale, l'arrivée du tracteur a été l'un des premiers profonds bouleversements. »

Plus en avance que d'autres secteurs, l'agriculture expérimente même les innovations avant qu'elles ne soient proposées au grand public. Le turbo compresseur équipait les tracteurs bien avant les voitures. Même chose pour le GPS.

« La technologie est importante, dès lors qu'elle est utile et facile d'utilisation. Vous ne devez pas avoir un bac +8 pour savoir vous servir d'un robot », précise Michel Berducat.

« Surtout si elle offre une meilleure rentabilité. Les professionnels y sont très sensibles », note Gilbert Grenier.

De multiples avantages

« Dans les années 1960, la technologie était d'abord concentrée sur l'innovation scientifique afin de se servir au mieux du vivant, rappelle Christophe David. Trente ans plus tard, et même si elle était déjà intégrée au machinisme d'après-guerre, avec l'arrivée du tracteur, nous avons observé que la technologie allait encore plus loin et se développait toujours plus. On a dès lors commencé à parler de robotique, de télédétection, de génétique, etc. »

Un millier de tracteurs convergent vers paris

Les mentalités ont évolué, l'accès à certaines technologies s'est démocratisé et le secteur s'est également informatisé, offrant à l'agriculteur les outils pour pouvoir mieux gérer les tâches administratives courantes et répondre aux exigences européennes. Une évolution qui satisfait Daniel Condat, exploitant agricole à Montfermy, un village du Puy-de-Dôme :

« L'agriculture d'il y a 50 ans est dépassée. Aujourd'hui, nous avons des outils performants pour collecter de grandes masses d'information, pour une meilleure précision, gagner en productivité, réaliser des économies sur des aliments, moins polluer, répondre aux enjeux règlementaires toujours plus stricts, et ainsi pour gérer au mieux nos entreprises. »

A 53 ans, et à la veille de prendre sa retraite, l'homme, également vice-président de la chambre d'agriculture du département auvergnat, référant en modernisation, prend l'exemple de l'épandage d'azote sur des parcelles.

« Avant, nous le repandions sur une grande surface avec une vue globale, mais peu précise. Désormais, avec l'utilisation d'un drone, nous pouvons le faire plus en détail, puisqu'il nous fournit de meilleurs indicateurs agronomiques. »

A retrouver, le deuxième volet de notre enquête >>

Lire aussi : L'agriculteur, toujours maître de son exploitation ?

Article initialement publié le 8 octobre 2015 à 16:06

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Commentaires 4
à écrit le 29/02/2016 à 21:04
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IL N EST PAS INTERDIT DE REVE ? MEME L INDUSTRIE NE S EST PAS ENORMEMENT ROBOTISE? CAR POUR INVESTIR DANS UN ROBOT IL FAUT QU IL SOIT UTILISEZ CONSTAMENT ET CE N EST PAS LE CAS EN AGRICULTURE OU TOUTE LES PRODUCTIONS ET LES RECOLTES SONT SAISONNIERE?...

le 01/03/2016 à 9:52
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Vous n'arrivez pas non plus à placer les accent en majuscule au moins ?

à écrit le 29/02/2016 à 18:31
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Quand j'étais petit on me disait qu'en l'en 2000 les voitures voleraient et que les robots feraient les travaux les plus pénibles de ce monde. En 2016 les voitures continuent de massivement polluer et les robots sont remplacés par des gens moins ...

à écrit le 29/02/2016 à 16:57
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Si on s'obstine à vouloir financer nos retraites par un prélèvement sur les salaires, nous n'aurons bientot plus de retraites. Il serait temps d'imaginer un autre mode de financement des retraites. C'est pour cela que je propose de financer les retra...

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