Erai, l'autopsie d'un scandale

Le naufrage d'Erai (Entreprise Rhône-Alpes International) interroge. Cette structure, qui a fait figure de modèle, s'est sabordée en se livrant à une course effrénée au chiffre d'affaires. Pourquoi son bailleur de fonds - le conseil régional de Rhône-Alpes- a-t-il laissé faire, tout au moins si longtemps ? Une course contre la montre est engagée par l'exécutif de Jean-Jack Queyranne pour présenter une offre de reprise du cœur de métier d'ERAI par l'ARDI d'ici au 18 mai prochain. Un premier round de négociation est prévu le 28 avril.
Daniel Gouffé, directeur d'Erai, ici aux côtés du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius

Créée en 1987 par l'homme d'affaires lyonnais Alain Mérieux, alors premier vice-président du conseil régional de Rhône-Alpes, Erai  "était un bel exemple du service public proposé aux PME. Le taux de satisfaction était de 95 %", se souvient un des anciens cadres poussés dehors comme plusieurs autres. L'agence, subventionnée au moins à 60 % par la Région, et comptant 126 collaborateurs auxquels s'ajoutent les 89 personnes employées dans les filiales, a-t-elle fait le pas de trop en investissant dans le pavillon de Rhône-Alpes pour l'exposition universelle de Shanghai en 2010 ? "C'est le gros arbre qui cache la forêt", répond, sibyllin, Bernard Soulage, vice-président en charge de l'international à la Région Rhône-Alpes et administrateur de la structure dans le collège des collectivités locales.

Le Big Bang de Shangaï.

"En 2008, lorsque la Région décide de se positionner pour construire un pavillon (d'un coût de huit millions d'euros, NDLR), elle se tourne naturellement vers Erai qui détient les licences d'exploitation dans ce pays. Daniel Gouffé, président d'Erai, avait d'autant plus convaincu l'exécutif de se lancer dans ce projet somptueux qu'il s'était fait fort de pouvoir réunir trois millions d'euros auprès des entreprises en mobilisant ses relations professionnelles. Mais nous sommes en 2008 : c'est la crise financière mondiale et il n'aura pas les sponsors espérés", se souvient Xavier Dullin, conseiller régional UMP, lui aussi administrateur d'Erai.

Le cabinet parisien ScoreX, mandaté par la Région dès 2011 pour auditer les comptes de l'agence, rend un verdict sans appel : "L'exposition universelle aura été le Big-Bang pour Erai." Il confirme le bilan financier comptable global de cet événement (animations comprises) : 18,98 millions d'euros, dont 4,11 millions d'euros revenant à Erai*.

Face à cette dépense non prévue, Erai association, la « maison mère » du groupe, contractera, en septembre 2009, un prêt de "trois millions d'euros auprès du Crédit agricole Centre-Est sur une durée de 180 mois", note l'audit. Un an plus tard, l'agence se retrouve en quasi cessation de paiement du fait d'un mauvais exercice. Pour éviter l'impasse de liquidités, la Région lui attribue alors, en urgence, une avance remboursable de deux millions d'euros.

Dérive du modèle économique .

Fin 2013, nouvelle tension de la trésorerie. Pour y remédier, et solder l'opération Shanghai, le conseil régional reprend à son compte l'emprunt de trois millions d'euros (précisément les 2,35 millions restant dus), ainsi que 53 % du droit au bail du pavillon, correspondant aux surfaces non occupées par Erai. Multiplication des antennes à l'étranger - pour répondre aux besoins des entreprises, mais aussi pour élargir le champ des coopérations et le rayonnement de la Région (par exemple, au Burkina Faso) -, élargissement de son champ d'intervention (en répondant à des appels d'offres pour chercher des clients hors Rhône-Alpes) : l'agence sort de son épure initiale. Elle prend des risques, accélère sa fuite en avant pour trouver des ressources en dehors du conseil régional. Les coûts explosent.

"Erai est allée plus vite sur le terrain que n'ont évolué ses modes de financement et sa structuration juridique", note ScoreX.

Quid des comptes courants des filiales ?

Quant aux objectifs commerciaux visés, ils ne seront jamais atteints. En 2013, dernier exercice certifié, les filiales sont toutes déficitaires, et parfois lourdement, à l'exception de l'Allemagne. Elles cumulaient 2,42 millions de résultats négatifs en 2013 (2,32 millions en 2012 et 1,1 million en 2011) et, à ce propos, ScoreX observait, dans son rapport de juillet 2014, que les comptes courants (avances de trésorerie et factures non réglées) de l'association ERAI dans l'ensemble des filiales (soit 5,72 millions en brut) n'étaient provisionnés qu'à hauteur de 26 %. "Nous pouvons légitiment nous poser la question de savoir si des dotations complémentaires pour dépréciation des comptes courants ne seraient pas nécessaires", s'interrogeait l'auditeur. Ce qui pourrait alourdir d'autant le passif d'ERAI actuellement estimé "entre 5 et 7 millions d'euros".

Toujours est il qu'en dépit des aides directes et indirectes de la Région et de certaines réductions des dépenses les comptes consolidés 2014 d'Erai devraient encore accuser un déficit de l'ordre de 497 000 euros. Par ailleurs, ScoreX anticipait, dans son rapport de septembre dernier, une aggravation de l'endettement bancaire, autour de 2,67 millions d'euros. Pour financer ses pertes, Erai, qui n'a pas de fonds propres, recourt aux découverts bancaires. "Ce n'est pas viable", avertissait déjà l'auditeur en 2011. "Mais Daniel Gouffé était persuadé que l'argent public continuerait d'arriver, éclaire un spécialiste du sujet. Et pendant toute cette période, ses deux principaux collaborateurs (Laurent Van Soen, directeur général, et Pierre-Jean Baillot, directeur général adjoint, NDLR) ont fait bloc pour la défense du modèle. Ils ont constitué une équipe solidaire face à des critiques fusant de toutes parts. Et Daniel Gouffé, lui, envoyait promener tout le monde".

Le mandat de trop

Comment en est-on arrivé là ? En 2005, Daniel Gouffé répondait au cahier des charges pour devenir le patron d'Erai. La candidature de l'ancien patron de Merial (fabricant mondial de vaccins et médicaments pour les animaux) était proposée par la Région, bailleur de fonds de l'agence. Il inspirait confiance par sa carrière et avait du temps à consacrer à cette mission puisqu'il était à la retraite. "Au départ, il a bien dynamisé l'agence", lui reconnaît Jean-Michel Daclin, administrateur et président d'OnlyLyon Tourisme et Congrès. Toutefois, à en croire des sources concordantes, son renouvellement fait débat quand il se présente pour un deuxième mandat trois ans plus tard. "Nous nous mettons d'accord sur le plus petit dénominateur commun. Et le jour de l'élection, une grosse majorité du conseil d'administration vote pour lui. Nous remettrons le couvert en 2011. Nous sommes entre Lyonnais et nous nous voyons ailleurs", claque un proche du dossier.

De fait, l'ex-patron de Merial avait globalement le soutien de ses pairs siégeant au conseil d'administration au titre des institutions ou syndicats professionnels : le président de la CCIR (Jean-Paul Mauduy, du même âge), le président de la CGPME (François Turcas, dont la fille est en poste chez Erai au Québec), Patrick Martin (relais de Bernard Gaud, président du Medef Rhône-Alpes), etc.

Des relations exécrables

Surtout, "le conseil d'administration d'Erai était trop complaisant. Il se satisfaisait des informations choisies par Daniel Gouffé. Cela ressemblait plus à un café du commerce. Quand le trésorier a démissionné, le sujet n'a jamais été évoqué. Et il n'a pas été remplacé", assène un administrateur.

"Tellement de monde siégeait. Chacun attendait que l'autre émette des protestations. Les administrateurs de l'exécutif régional, eux, ne participaient pas aux votes pour ne pas être accusés de gestion de fait. C'était le vice de forme originel de cette agence", appuie un autre.

Alors Jean-Jack Queyranne, président du conseil régional, ne pouvait-il pas au moins user de son statut de bailleur de fonds d'Erai, pour faire entendre sa voix afin que Daniel Gouffé ne soit pas à nouveau reconduit à la présidence en 2011 après le gouffre de Shanghai ? En était-il dissuadé par le monde économique ? D'aucuns évoquent une amitié de longue date entre les deux hommes.

D'autres avancent le fait que "Jean-Jack Queyranne, homme loyal, n'aime pas les conflits. Et il n'imaginait pas que la situation en arriverait là". En face, Daniel Gouffé est présenté, par beaucoup, comme "incontrôlable" et "autocrate". Lui, l'ancien vétérinaire dans les Pyrénées se définit comme un "homme libre", un "hussard" diront certains. Ses relations avec Jean-Louis Gagnaire, vice-président de la Région, chargé de l'économie, administrateur d'Erai jusqu'au 1er mars (date de sa démission), étaient exécrables.

Pour stopper l'engrenage infernal, l'exécutif de Jean-Jack Queyranne avait trouvé une parade en fusionnant Erai avec l'Agence régionale du développement et de l'innovation (Ardi), une autre agence régionale. L'opération qui devait être effective au 1er janvier 2015 a été arrêtée. Face aux Verts vent debout, Jean-Jack Queyranne n'a pas voulu prendre le risque d'un rejet par son assemblée. Le groupe EELV (Europe Ecologie les Verts) qui dénonçait à cor et à cri la gestion d'Erai refusait cette fusion. A l'exception de Fatiha Benahmed, représentante des Verts dans le conseil d'administration : "J'y étais favorable pour sauver le maximum de salariés et changer la gouvernance."

« La politique du pire a été retenue »

Malgré tout, il était acquis que Daniel Gouffé, 75 ans, s'en irait. Il avait annoncé officiellement son départ dans un communiqué daté du 30 janvier, à l'issue d'un conseil d'administration très houleux. Toutefois, il s'était refusé à le faire séance tenante : "Je pars dès que quelqu'un m'aura remplacé", s'est-il défendu ce même jour, selon des propos rapportés. Un jeu du chat et de la souris qui a rompu toute possibilité de dialogue avec l'exécutif régional. Pour tenter de sortir de l'impasse, un groupe de travail piloté par Pascal Nadobny, président du comité régional des CCEF (conseillers du commerce extérieur de la France) et dirigeant de Micel, et réunissant les autres administrateurs appartenant au monde économique, acceptera une mission de médiation. Ils obtiendront "des dirigeants d'Erai les informations que la Région n'avait pu récolter", précisera Pascal Nadobny. Malgré "la découverte d'une dégradation avancée de la situation", celui-ci avait accepté de prendre la présidence de l'agence pendant un an avec un conseil d'administration resserré. Ce, sous réserve de l'approbation des financements nécessaires (subvention 2015 pour les neuf mois restant, abandon de l'avance remboursable et provision pour la restructuration soit un total de 8,68 millions d'euros) par le conseil régional. "On approchait du but", reconnaît Jean-Louis Gagnaire. Sauf que le dossier sera rejeté par la commission permanente le 6 mars dernier.

"Les luttes politiques internes à la majorité du conseil régional et une opposition de droite concentrée sur les élections à venir n'ont pas permis ce vote. La politique du pire a donc été retenue", déplorait Pascal Nadobny. Les élus Verts, alliés d'hier de Jean-Jack Queyranne, souhaitaient "la liquidation judiciaire de ce satellite régional, et son remplacement par une nouvelle structure, afin que toute la lumière soit faite sur sa gestion et les millions d'argent public reçus".

La session du 6 mai

Daniel Gouffé a du se résigner à déclarer ERAI en cessation de paiement le 11 avril dernier. Trois jours plus tard le tribunal de grande instance de Lyon a accepté de placer l'agence en redressement judiciaire. Le temps est compté pour éviter sa liquidation le 9 juin prochain lors de la nouvelle audience fixée par le TGI sachant que les offres de reprise d'actifs doivent être remises à l'administrateur judiciaire (Robert-Louis Meynet), au plus tard le 18 mai à midi. D'ici là, l'exécutif présidé par Jean-Jack Queyranne doit trouver un terrain d'entente avec le groupe des Verts. Trois réunions de négociations sont ainsi programmées, dont la première le 28 avril, jusqu'à la prochaine séance pleinière du conseil régional, le 6 mai, au cours de laquelle devrait être présentée une délibération visant à faire reprendre, selon un périmètre à déterminer, le coeur du métier d'ERAI par l'ARDI avec des financements à la clef.

Au-delà, et sous réserve de l'issue politique de ce dossier, des partenariats pourront se conclure avec Business France et l'OSCI qui va constituer un groupe de travail, pour récupérer des activités à l'étranger. "Nous pensons qu'il est important que la Région continue à mener un certain nombre des missions exercées par ERAI. Toutefois, nous voulons au préalable disposer de tous les éléments que l'on nous a promis. Nous voulons la transparence sur le passé et l'analyse des responsabilités", réclame toujours et encore Jean-Charles Kohlhass, vice-président des élus EELV. Un gâchis.

* 2,19 millions d'euros de participations des entreprises ayant utilisé le pavillon pendant l'expo, 4,99 millions de participations de la Chine, 7,68 millions de subventions.

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