Lyon a-t-elle oublié ses street artistes ?

Lyon se prévaut du titre de « capitale européenne des murs peints », elle qui a fait de ses fresques murales l'un de ses atouts touristiques. Mais a-t-elle oublié ses street artistes qui œuvrent aussi, à leur manière, à embellir l'espace urbain ? C'est le ressenti de créateurs qui déplorent un « désintérêt et une méconnaissance », pour leur art encore trop soumis aux clichés.

« Nous aurions pu faire le plus grand musée de street art à Lyon avec un festival entièrement dédié. Tout y était réuni ! » Jérôme Catz en est intimement persuadé. L'homme de 45 ans, passé snowboardeur professionnel à spécialiste du street art, aurait vu la capitale régionale en un haut lieu de la discipline, au même titre que Philadelphie aux Etats-Unis (plus de 3 000 fresques en tout genre ornent la ville). « Mais c'est trop tard », déplore frustré, le Grenoblois assis sur sa chaise de bureau, dans une pièce du fond de l'espace d'exposition du Centre d'art Spacejunk à Grenoble.

Un lieu qu'il a créé en 2003 et dans lequel il offre à des talents, encore « sans notoriété », un moyen de présenter leurs travaux. Un modèle alpin dupliqué à Bayonne en 2007 puis à Lyon, deux ans plus tard.

C'est avec ce genre d'endroit et les missions de médiation qu'ils mènent auprès des plus jeunes entre autres que Jérôme Catz et son équipe de quatre personnes souhaitent « faire comprendre au plus grand nombre que le street art, au sens très large du terme, ce sont des actes artistiques avant tout ».

« Nous apportons une réponse à une problématique », affirme-t-il. Mais pas de n'importe quelle manière, sur un modèle associatif, « la finalité n'étant pas la même que les galeries marchandes ».

street art

Une démarche à visée sociale et éducative donc, qui demande de fait le soutien des institutions et collectivités publiques, conditionnant le niveau d'apport des fonds privés. La Ville de Grenoble lui donne 15 000 euros de subventions annuelles, la Région Rhône-Alpes 12 000, pour les deux sites installés sur son territoire, et « seulement » 3 000 euros de la Ville de Lyon. Une dernière somme jugée insuffisante.

« Pensez-vous qu'avec cette somme, nous pouvons travailler correctement ? demande Jérôme Catz. A Lyon, pourtant ville de culture, reconnue pour ses fresques murales, nous sommes dans l'impasse. »

L'homme regrette que la municipalité lyonnaise ne le soutienne pas davantage, projetant même la fermeture de son espace si rien n'est fait.

« Comme pour le Mois de la photo ou le Festival l'Original, ils ne retiennent pas les bons projets. »

La critique va plus loin puisqu'il déplore un « manque d'intérêt profond des élus, « piquousés » à l'art contemporain, pour la culture street art ».

Des privilégiés ?

Une remarque acerbe que le milieu street art partage. Tous les témoignages le font remarquer : Lyon ne ferait rien pour développer le street art malgré son statut de « capitale européenne des murs peints », comme le définit Gilbert Coudène, l'un des directeurs de Cité Création, principal acteur dans la réalisation de fresques murales. Est-ce le cas ?

« C'est compliqué pour les villes de soutenir un art à l'origine illégale, le nettoyage est omniprésent, remarque l'artiste Brusk. Les street artistes préfèrent donc partir ailleurs dans des villes plus accueillantes, qui mettent à disposition des murs et des sites où l'on peut s'exprimer plus librement. »

C'est ce qu'il fait régulièrement même si le Lyonnais, formé dans la rue et passé par toutes les formes d'expression, a tenu à conserver son atelier du 7e arrondissement.

« Né un crayon à la main », Brusk fait partie du cercle très fermé des street artistes français qui réussissent à vivre de leur art. Lui a trouvé un équilibre entre la production de toiles en atelier et l'activisme urbain.

street art

S'il avoue ne plus avoir le temps de sortir - « j'ai vingt toiles en attente », prévient-il -, il tient encore à faire quelques « murs » pour le plaisir - illégalement mais souvent toléré afin       d'« apporter de la couleur dans la grisaille ».

Illégalité et autorisation

Depuis longtemps, les street artistes naviguent entre illégalité et autorisation. L'illégalité puisque c'est l'essence même du mouvement né dans les années 1970 aux Etats-Unis. Les artistes partent du principe : « Je suis là, j'existe », explique Jérôme Catz.

Ils choquent, interpellent, provoquent ou amusent. Ils collent, taguent, peignent là où ils l'entendent, faisant fi des conséquences de la perception de leurs créations auprès des propriétaires des murs. Ils font de la rue leur lieu d'expression.

Ils agissent souvent la nuit ou tôt le matin, de manière rapide motivés par une pointe d'adrénaline. Dans le même temps, les street artistes peuvent œuvrer en toute légalité sur des murs mis à disposition gratuitement ou répondre à une commande.

En l'espace de quelques années, conséquences de l'explosion des réseaux sociaux, le street art est devenu à la mode, les marques s'arrachent certains noms (Blu, JR, Banksy etc.) et le public est au rendez-vous.

Dans ce contexte, le mouvement arrive à un tournant de son histoire. Il conserve son anticonformiste d'origine mais demande plus de « considération » et de « soutien » aux collectivités. Aux acteurs de la ville de savoir faire la part des choses. Encore faut-il les sensibiliser loin des clichés qui durent.

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(Birdy Kids)

« Les street artistes ne sont pas appelés par la Ville »

A Lyon, les 1er et 7e arrondissements sont les lieux d'expression privilégiés des artistes, on y tolère ou accepte les créations. Mais c'est peu, au vu de l'espace disponible et du nombre de murs peints traditionnels, réalisés par des sociétés privées dont Cité Création est le plus important pourvoyeur.

« Les street artistes ne sont pas appelés par la Ville ni par certains propriétaires pour intervenir sur ces grands murs, regrette Brusk. Tout seul, c'est impossible de répondre à des cahiers des charges, prospecter, repérer les surfaces disponibles. »

Sans attendre une quelconque aide, le collectif Birdy Kids, connu en France pour ses célèbres oiseaux, parfois critiqué pour leur « matraquage », utilise les mêmes codes que la coopérative lyonnaise, usant de sa petite notoriété.

« Nous allons seuls voir les bailleurs et leurs proposons de faire un mur pour 20 000 euros quand d'autres demandent 200 000 euros, rapporte Guillaume un des trois cofondateurs taclant la Cité Création et ses « couteuses fresques murales ». Nous ne pouvions plus accepter qu'il n'y ait qu'un principal acteur à Lyon. »

Un argument auxquels se joignent l'ensemble des street artistes, et qu'entend la coopérative, dont les fresques sont présentes dans le monde entier.

« Que nous soyons omniprésents à Lyon, je le reconnais, souligne Halim Bensaïd, chef de projet et dirigeant de Cité Création. Mais c'est nous, Cité Création, qui contactons le propriétaire, lui expliquant le projet. Nous ne demandons jamais d'argent à la Ville, ni ne répondons aux appels d'offres comme d'aucuns voudraient le prétendre. Nous avons le même statut que ces artistes. »

street art

De la fin des années 1970 à aujourd'hui, la capitale de la gastronomie a vu naître près de 400 murs peints, tous genres confondus (commandes publiques ou privées) dont le célèbre Mur des canuts qui s'étend sur 1 200 m² de la façade d'un immeuble du quartier de la Croix-Rousse, attirant chaque année des vagues de touristes. Des fresques réalisées par différents acteurs mais rarement par des artistes indépendants.

Lyon se réveille ?

Entre l'image omnipotente de la coopérative et celle d'agitatrice des street artistes, les critiques fusent de part et d'autre tant sur l'esthétique, que sur la manière de procéder et d'agir. Deux écoles opposées qui n'ont de commun, selon eux, que de vouloir rendre plus esthétique la ville en révélant l'identité d'un quartier.

Au Havre, à Besançon ou encore dans le 13e arrondissement de Paris, la situation aurait pu devenir également ubuesque et pourtant ces municipalités ont fait le pari de développer l'art mural et urbain, de mélanger les styles en l'intégrant dans leur politique culturelle, volontariste.

Entre murs libres, festivals, rencontres, expositions, elles ont fait le choix de promouvoir leurs artistes, en attirent d'autres et deviennent aujourd'hui des « spots » idéaux pour s'exprimer « muralement ».

Ces villes y voient plusieurs intérêts : à la fois dans le développement touristique, donc économique, de leur territoire, dans l'amélioration des liens sociaux, dans l'embellissement de leur ville et l'image dynamique qu'il procure.

Pour l'une des premières villes à avoir ouvert ses immeubles aux murs peints dans les années 1980, Lyon semble aujourd'hui en retard sur son temps.

Néanmoins, elle se réveille, doucement, consciente de ne pas vouloir « perdre le mouvement » du street art, né il y a près de trente ans dans la capitale des Gaules. Elle se dit ainsi « active et attentive à toutes les formes d'expressions artistiques dans l'espace public ».

Son premier adjoint Georges Képénékian, délégué à la Culture indique vouloir « réfléchir, en lien avec les artistes et leurs démarches, à différents types de supports et de projets comme des interventions éphémères, œuvres ponctuelles ou à durée de vie plus longue. Ce sera ainsi le moyen de donner une place à des artistes lyonnais dans leur ville ».

Ajoutant :

« Agir dans un souci de préservation du patrimoine. Le centre-ville de Lyon est en effet difficile à investir pour des interventions de street art en raison de son patrimoine histoire et de son classement au patrimoine mondial de l'Unesco. Nous étudions donc d'autres territoires. »

street art

(Cap Phi)

Reste que le Festival L'Original, seul événement mettant en avant les cultures urbaines s'est réduit, après dix éditions, pour se concentrer sur la seule programmation de concerts. Des « difficultés financières » obligeront la Ville de Lyon à ne pas reconduire sa subvention de 100 000 euros pour l'année 2014.

Privant ainsi, un public jeune, n'ayant pas accès facilement à la culture, de découvrir entre autres, le street art et ses composantes.

Dans ces conditions, face à l'incertitude économique et aux priorités municipales, Lyon, peut-elle demeurer la capitale européenne des murs peints ?

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Commentaires 2
à écrit le 06/05/2015 à 11:44
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ooo que la vie est dure...

à écrit le 14/02/2015 à 9:48
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Je souhaite vous rencontrer. Mon association ( Amis d'Etienne Dolet, imprimeur humaniste lyonnais mort sur le bûcher en 1546) a le projet d'une peinture murale, en suspens, et cherche des solutions. Nous disposons théoriquement d'un mur, avec un acco...

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