Commune nouvelle d’Annecy : l'union fera-t-elle la force ?

Depuis sa fusion avec cinq communes voisines, effective au 1er janvier 2017, la discrète Annecy accède au 6e rang des villes d’Auvergne-Rhône-Alpes. Décidée et réalisée en un temps record, cette union territoriale qui prend provisoirement le nom de Commune nouvelle d’Annecy pourrait bien constituer la première étape d’un processus aboutissant à la création d’une métropole de premier ordre au niveau régional. À condition toutefois d’aplanir les tensions rencontrées lors de sa mise en œuvre au forceps et d’apporter la démonstration du bien-fondé économique.
Les communes d'Annecy, Seyndo, Pringy, Cran-Gevrier, Annecy-le-Vieux et Meythet forment désormais la Commune Nouvelle d'Annecy. Non sans critiques.

Après toute élection, les citoyens ont beau jeu de vérifier si leurs élus tiennent leurs promesses de campagne. À mi-mandat de leurs élus municipaux, les électeurs d'Annecy, Cran-Gevrier, Annecy-le-Vieux, Meythet, Pringy et Seynod peuvent voir les choses à l'envers. Lors de la campagne électorale des élections municipales de 2014, en effet, aucune liste candidate dans ces communes n'envisageait de projet de fusion territoriale dans son programme. Pourtant, trois ans plus tard, ces six municipalités ne forment plus qu'une.

Jean-Luc Rigaut, maire de l'ancienne commune d'Annecy, élu en janvier à la tête de la Commune nouvelle d'Annecy - baptisée ainsi provisoirement -, aurait fait preuve d'un volontarisme reconnu par tous, fervents partisans ou acerbes critiques de la méthode employée. Le projet aurait pu bénéficier du gel des dotations de l'État, octroyées aux communes fusionnées, mais cette opportunité a fait long feu. Le maintien des dotations n'a finalement été accordé qu'aux communes de moins de 10 000 habitants. Mais les arguments en faveur de la fusion annécienne ont fini par surpasser cette déconvenue.

Grand Annecy

À l'origine de l'initiative, la création de la communauté d'agglomération du Grand Annecy, au 1er janvier 2017, a constitué la rampe de lancement de la fusion. Cette nouvelle intercommunalité réunit désormais la communauté d'agglomération d'Annecy et les communautés de communes du pays d'Alby-sur-Chéran, du pays de la Filière, de la rive gauche du lac d'Annecy et de la Tournette. Une entité neuve, qui rassemble pas moins de 43 communes et totalise 200 000 habitants, soit 25 % de la population de la Haute-Savoie et près du tiers de ses emplois. Avec la création du Grand Annecy, qu'il préside également, Jean-Luc Rigaut visait à équilibrer les relations entre ce nouveau géant et la préfecture du département haut-savoyard.

"Je crois beaucoup au couple commune-intercommunalité dans un rapport équilibré, explique-t-il. Cela implique que la ville-centre soit puissante et s'appuie sur un territoire aggloméré fort, avec une création de solidarités entre les deux."

À chacun son rôle. L'agglomération coordonne et structure son bassin de vie en usant de ses compétences en matière de développement économique, de transport, d'aménagement du territoire et d'environnement. Quant aux communes, elles s'occupent des services de proximité, sur le plan du sport et de la culture, notamment. "Néanmoins, celles-ci doivent être assez solides et organisées pour porter ces équipements", soutient l'élu.

En quête de représentativité

En fusionnant avec ses cinq voisines, Annecy souhaitait affirmer sa place dans un nouvel ensemble de grande taille. Ce qui explique aussi pourquoi Pringy a fusionné dans le nouvel ensemble et est le seul village à l'avoir fait. Les cinq autres participantes sont en effet urbaines ou péri-urbaines.

"Le regroupement des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) constitue le fond du débat, souligne Jean-François Piccone, maire de Pringy jusqu'à la fusion et désormais maire délégué de Pringy au sein de la Commune nouvelle d'Annecy. Dans ce Grand Annecy, les petites communes comme la nôtre bénéficient de davantage de poids et de représentativité au sein du nouvel ensemble."

Pringy, qui comptait pour un treizième de la communauté d'agglomération d'Annecy en termes de population, aurait été noyée au milieu des 43 communes du Grand Annecy, précise Jean-François Piccone. "Elle qui comptait un vice-président dans l'agglomération et qui en compte un dans le nouveau Grand Annecy, n'aurait pu, sans la Commune nouvelle d'Annecy, obtenir de membre dans le nouvel exécutif", poursuit-il. Même si la représentativité est maintenue, y-a-t-il eu la crainte que l'identité propre à la ville se dissolve et s'efface ? "Tous les citoyens du bassin d'Annecy, quand ils se trouvent à Lyon, disent habiter à Annecy", balaie Jean-Luc Rigaut. La revendication d'une identité annécienne a donc préfiguré l'union communale. "Nous avons juste dit : faisons-le !"

Commune nouvelle d'Annecy

Gain de visibilité

Cette image véhiculée sur l'ensemble du territoire Auvergne-Rhône-Alpes et à sa capitale, Lyon, est précieuse pour le maire de la Commune nouvelle d'Annecy et président du Grand Annecy. "Il est important que ce couple solide pèse à la Région." Une vision partagée par Guy Métral, président de la chambre de commerce et d'industrie de la Haute-Savoie. Lui qui dénombre 11 400 entreprises et 67 300 emplois dans la nouvelle commune soutient que la Ville se donne les moyens de gagner en visibilité, mais aussi de soutenir son dynamisme économique.

La Commune nouvelle d'Annecy doit pouvoir satisfaire sa démographie en constante croissance avec la construction de nouveaux logements, le déploiement de transports collectifs, d'équipements et de services publics, souligne-t-il, en étendant ce bénéfice à l'ensemble de la population du département.

"Cette fusion conforte toute la Haute-Savoie", affirme Guy Métral.

Pour le directeur de Citia, Patrick Eveno, "le diagnostic des politiques était le bon". L'organisateur du Festival international du film d'animation croit qu'il ne faut pas minimiser la portée symbolique de cette fusion. "Quand des festivaliers venus de 80 pays arrivent ici, ils s'étonnent toujours que ce soit une aussi petite ville qui héberge un tel événement, affirme-t-il, avec la conviction que la nouvelle Annecy parviendra plus facilement à se positionner à l'international. Attirer la lumière sur Annecy profitera à tout le département."

S'affirmer face à Genève

Concrètement, la fusion octroie davantage de moyens à certains outils de développement économique. Initiative Grand Annecy prévoit déjà d'augmenter le nombre d'entreprises soutenues, affirme Arnaud Busquet, président de l'organisme local d'aide à la création et à la reprise d'entreprises. "La nouvelle agglomération nous a octroyé des fonds supplémentaires afin de couvrir un territoire plus important", précise-t-il. Au-delà d'une visibilité accrue recherchée en Auvergne-Rhône-Alpes, la Commune nouvelle d'Annecy améliore aussi son positionnement vis-à-vis du voisin suisse.

"Elle s'affirme face à l'aire urbaine de Genève et ses 900 000 habitants, observe le chercheur. Sa taille et son système productif autonome vis-à-vis de sa voisine helvète lui permettent de dialoguer plus ou moins d'égal à égal avec cette dernière", analyse Jacques Lévy, professeur de géographie à l'École polytechnique fédéral de Lausanne (EPFL) et co-auteur d'une étude sur l'identité annécienne, commandée par le comité local de développement d'Annecy.

La Commune nouvelle d'Annecy ferait ainsi figure de modèle en France : jamais une commune aussi importante n'avait été constituée par fusion de communes... et en aussi peu de temps. Seul exemple comparable, la communauté d'agglomération du Pays Basque, qui regroupe 310 000 habitants, mais ne compte pas de commune fusionnée à l'échelle de celle d'Annecy.

Une culture politique particulière

Il s'agit bien de l'identité locale qui semble avoir été le facteur de cette réalisation rendue possible en moins de trois ans. "La scène politique locale est autonome depuis longtemps, avec des élus qui ne se contentent pas de l'utiliser comme un tremplin vers l'échelle régionale ou nationale, observe Jacques Lévy. Jean-Luc Rigaut, acteur principal de cette fusion, concentre son énergie au niveau local, comme le faisait son prédécesseur Bernard Bosson." À cette vision s'ajoute la capacité locale de créer un consensus, "plus qu'ailleurs, selon le chercheur. Pourtant, partout on voit l'intérêt de fonder un espace plus pertinent en matière de bassin d'emploi, de transports, etc. Mais on y voit aussi parallèlement surgir des oppositions sur fond de rivalités politiques ou de personnes".

Cette capacité de dialogue relève d'une culture politique locale, à l'image du style suisse, poursuit le chercheur. "L'orientation donnée vise à la résolution de problèmes. Cette approche est plus pragmatique et moins conflictuelle que dans le reste de la France." Néanmoins, la fusion a fait naître son lot d'inquiétudes et des voix discordantes sont montées au créneau critiquant la rapidité à laquelle celle-ci a été mise en oeuvre.

"Sur le fond, la fusion est une bonne idée. Elle manque cependant de légitimité démocratique, critique Denis Duperthuy, président du premier groupe d'opposition Avec vous, Annecy pour tous (divers gauche). Les équipes majoritaires des différentes communes n'avaient pas été élues pour cela."

"Effectivement, nous ne le savions pas lors des élections municipales de 2014, reconnaît Jean-Luc Rigaut. Mais depuis, l'État a drastiquement baissé ses dotations. La fusion permet de compenser cette diminution en réalisant des économies d'échelle dans la durée. Nous avons été élus pour six ans avec une ligne de conduite. Nous avons assumé notre charge en tenant compte de cette évolution." Néanmoins, lorsque Denis Duperthuy avance l'idée que les débats auraient pu se dérouler jusqu'aux prochaines élections municipales de 2020 dans le but d'optimiser l'organisation matérielle des services et améliorer la gouvernance, Jean-François Piccone prône la résolution des problèmes au fur et à mesure qu'ils surviennent. "Il faut savoir avancer, affirme l'élu. Vous pouvez discuter des semaines et des mois, des petites choses déplairont toujours." L'opposition s'inquiète donc des choix politiques opérés au prétexte qu'il faudrait aller vite.

Jean-Luc Rigaut maire Commune nouvelle Annecy

Jean-Luc Rigaut, maire de la Commune nouvelle d'Annecy. (Crédits : Gilles Piel)

Économies

Lors de sa constitution, la Commune nouvelle d'Annecy a choisi de ne pas retourner devant les électeurs, préférant conserver tous les élus de chaque commune, avec la satisfaction assurée de ne pas multiplier les mécontents, en attendant les prochaines élections qui verront chuter le nombre de conseillers municipaux à 59, contre 202 actuellement. "Pour faire plaisir aux élus, chacun d'entre eux a été maintenu dans sa petite chapelle, ce qui conduit aujourd'hui à avoir 66 maires adjoints", relève l'élu opposant. Aussi Thierry Cusin, délégué du syndicat autonome de la ville d'Annecy, fulmine-t-il :

"Cette fusion s'opère sur le dos des agents municipaux."

Puisque les communes ont voulu faire des économies, pourquoi ne pas avoir commencé par réduire le nombre d'élus, interroge le responsable syndical qui assène d'autres critiques, relatives aux choix qui se font "dans un contexte économique difficile." Sur le marché immobilier du bassin annécien, un des plus chers de France, "certains agents n'ont plus les moyens de se loger", s'inquiète-t-il. Depuis le 1er janvier, les agents municipaux ne peuvent plus obtenir d'avance sur leur 13e mois auprès du groupement de solidarité, l'équivalent d'un comité d'entreprise. "Ils se font proposer des crédits avec intérêts." Et c'est sans compter la suppression de jours fériés locaux, comme les quatre jours octroyés dans le passé par le maire de Cran-Gevrier... Au bout du compte, c'est la privatisation de services que craint le responsable syndical, qui regarde du côté d'Annecy-le-Vieux, commune du maire délégué Bernard Accoyer. "Tout est en délégation de service public chez lui."

Une approche critiquée

Ces difficultés n'étonnent pas les maires des six communes voisines (Argonay, Chavanod, Épagny Metz-Tessy, Montagny-les-Lanches, Poisy et Quintal), qui ont fait le choix de demeurer en dehors du processus de fusion au printemps 2015, qualifiant le projet de "précipité". Aujourd'hui, le maire de Poisy, Pierre Bruyère, ne ferme pas la porte à une éventuelle entrée dans la nouvelle commune... mais plus tard. "Il faut que nous soit donnée l'envie de la rejoindre. Alors nous irons", lance-t-il, ne voyant pas ce que sa commune de 7 300 habitants aurait eu à gagner en termes d'équipements et de services.

"Les impôts de mes concitoyens allaient augmenter de 70 % pour le foncier bâti et de 30 % pour la taxe d'habitation. Certes, avec un étalement sur dix ans, mais il fallait proposer des services en contrepartie, pointe-t-il. Or, nous sommes déjà bien équipés à Poisy."

Le maire reconnaît l'importance de réaliser des économies mais, prudent, attend de voir avant d'y croire. "Il faut commencer par un projet opérationnel, avec un calendrier de réalisation année par année", soutient celui qui affirme également se méfier de l'éloignement du centre de décision inhérent à une telle fusion.

À quelques kilomètres, le constat est le même. Comparable à Poisy, Épagny Metz-Tessy est elle-même le résultat de la fusion d'Épagny et de Metz-Tessy depuis le 1er janvier 2016. Un an avant la fusion annécienne, l'opportunité de rejoindre cette dernière n'a pas été retenue. Il faut dire que le rapprochement des deux communes est le résultat d'une longue route en commun. Dès 1974, les deux communes créaient un club sportif intercommunal. Puis est venue l'heure de l'école de musique unique, avant celle de la crèche commune. L'église, le gymnase et le service de police ont tous été mis en commun avant même la fusion officielle "fruit d'une longue histoire commune", illustre Roland Daviet, son maire. En 2014, le projet est annoncé durant la campagne des élections municipales. "La diminution des dotations de l'État a précipité la concrétisation", souligne Roland Daviet, qui précise que 175 000 euros étaient déjà économisés par cette mise en commun chaque année depuis 2005, quand un syndicat intercommunal a été créé, notamment pour rationaliser le foncier. Quant à rejoindre la Commune nouvelle d'Annecy, dont la trajectoire préliminaire a été bien plus courte, Roland Daviet se montre nuancé. "Nous ne sommes pas contre l'idée de fusionner, mais comment expliquer à nos concitoyens que nous avons prévu une commune nouvelle et que les cartes changeront de main du jour au lendemain ?"

Derrière l'angélisme de la création de la Commune nouvelle Annecy des interrogations demeurent toujours et devrait alimenter les débats à venir. La rapidité d'exécution de la fusion faisant de cet ensemble un colosse fragile.

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