Auvergne, l’empreinte digitale

Loin des clichés d’une zone rurale et enclavée, l’Auvergne a largement investi en faveur du numérique. Territoire pilote, elle se targue même d’être la première en Europe à être connectée au 100 % haut-débit. Mais de la volonté politique aux réalités du terrain, il y a parfois un fossé difficile à combler. Plongée au cœur des technologies digitales au pays des volcans.
En novembre dernier, Clermont-Ferrand organisait son premier Startup Week-end qui permet de créer des entreprises dans le secteur du numérique, en particulier, en 54 heures.

Non, l'Auvergne n'est pas seulement un grand plateau de fromages et une fabrique mondiale de pneus ! Loin des images surannées, cette zone rurale et attachée à ses traditions a également appris à surfer sur la vague de la net-économie. Et ce, dès les années 1990...

Par nécessité d'abord, tant l'enclavement géographique a souvent laissé le territoire sur le bord de la route. Il fallait bien trouver la parade pour rester dans la course. Par volonté politique ensuite : certains élus − plus visionnaires que d'autres − ont très vite compris que l'avenir de l'Auvergne passerait par les nouvelles technologies, dans le domaine économique bien sûr, mais aussi éducatif et médical.

Une révolution en marche

Aujourd'hui, la filière numérique auvergnate est portée par plus de 900 entreprises (ou 1 200, selon le mode de recensement). Elle emploie quelque 7 000 personnes pour un chiffre d'affaires de 300 millions d'euros en 2014. De plus, le territoire auvergnat est le seul à abriter six des plus grandes SSII nationales et internationales (Accenture, Atos Origin, Capgemini, CGI, Sopra et IBM).

Elle compte, parmi ses startups, quelques pépites reconnues dans le monde entier. Un cluster numérique et 1 700 chercheurs sont également rattachés à la filière. Sans oublier le label French Tech en préparation, l'ouverture imminente du premier « Quartier numérique » à Clermont-Ferrand et le développement de la spécialisation de la région vers la S3 (Smart Strategy Specialization). Comme une évidence, la révolution digitale en Auvergne est en marche.

« L'arbre qui cache l'absence de forêt »

Paradoxalement, c'est le Cantal, département du sud du territoire, qui fut l'un des précurseurs en France en matière de TIC. Là où les têtes de bétail sont plus nombreuses que les habitants, on a saisi très tôt l'intérêt des nouvelles technologies. Question de survie.

« Nous avons eu raison avant tout le monde. Nous avons ouvert la voie en lançant des infrastructures, des expériences de développement numérique avant-gardistes. Aujourd'hui, nous avons acquis la certitude que l'avenir de notre département se passe aussi par le développement numérique », analyse le président du conseil départemental du Cantal, Vincent Descoeur, qui mise désormais sur le concept de « smart villages », directement inspirés des « smart cities » ultra-connectées.

Des plateformes de télémédecine pour lutter contre les déserts médicaux, aux aides incitatives pour développer le télétravail, en passant par les collèges numériques, le plan CyberCantal mis en œuvre par le Département dès les années 2000 a permis de prendre une longueur d'avance. Ce modèle cantalien a été longtemps incarné par Sébastien Pissavy, jeune fondateur, à Aurillac, du site Jeuxvideo.com. Amoureux de son département, il lance en 1997, à l'âge de 23 ans, un site dédié aux amateurs de jeux vidéo en ligne. Son entreprise connaît une ascension fulgurante (n°1 en Europe) jusqu'à son apogée en 2012, date du rachat par un groupe webmedia extérieur à la région. Depuis, le nouveau propriétaire a licencié la moitié des 45 salariés et délocalisé les autres à Paris et à Toulouse, signant la fin d'une belle aventure et sans doute d'une époque.

« Lorsque j'ai créé l'Odyssée Interactive, il y avait une véritable émulation et une volonté politique, notamment à travers le village numérique de Tronquières, à Aurillac, destiné à faciliter l'implantation de startups. Mais Jeuxvideo.com a longtemps été l'arbre qui cache la forêt, voire l'absence de forêt, déplore Sébastien Pissavy. Aucune entreprise d'ampleur ne s'est installée depuis. Sur les cinq plus grandes PME numériques du Cantal, quatre ont plus de 20 ans. J'ai l'impression que nous sommes passés à côté de la révolution numérique alors qu'on était précurseur. Le pouvoir d'attraction de
Clermont-Ferrand est devenu trop fort. La région a favorisé le bassin clermontois. C'est dommage. »

Doper l'économie

Si certains territoires ruraux se sentent délaissés, force est de constater que la Région a tenté au cours de ces dernières années de faire monter le plus grand nombre de passagers dans le train digital.

« Le numérique est porteur de développement économique, culturel, médical. Tous les secteurs de la vie sont concernés. L'Auvergne l'a compris très tôt. Grâce au déploiement de la fibre, la région a déjà pris plusieurs années d'avance par rapport à d'autres territoires nationaux. La troisième révolution industrielle est amorcée. Plus rien ne pourra l'arrêter », promet René Souchon, président socialiste de la région Auvergne de 2006 à 2015 et particulièrement investi sur cette question.

Après avoir été, dès 2009, la première région française couverte à 100 % par le haut débit, l'Auvergne a été choisie, en 2011, par le gouvernement pour devenir le laboratoire d'expérimentation du très haut débit (THD). L'objectif ambitieux et unique en Europe de ce nouveau contrat est d'apporter sur la première tranche (2013-2017) un débit minimum de 8 Mbit/s à tous les Auvergnats d'ici à 2017.

« Au total, plus de 6 000 sites seront reliés au très haut débit. En 2017, 100 % des lycées et 94 % des collèges seront raccordables à la fibre optique. 100 % des établissements de santé seront également raccordés au réseau THD, ce qui contribuera au développement de la télémédecine, en particulier dans les zones de désertification médicale. Dans toutes les communes auvergnates, les entreprises de plus de cinq salariés bénéficieront du THD. Il y a de fortes chances que cela dope l'économie ! », prédit Sophie Rognon, jusqu'alors directrice de la Mission développement numérique au conseil régional d'Auvergne.

Ecole Ydes (37)

"En 2017, 100 % des lycées et 94 % des collèges seront raccordables à la fibre optique." (Crédits : Jean-Michel Peyral)

Spécialisation intelligente

Parallèlement, la Région Auvergne, le Département du Puy-de-Dôme et six communautés d'agglomération d'Auvergne ont ensemble élaboré un Schéma régional d'Aménagement et de Développement durable des Territoires (SRADDT) qui décline la feuille de route à horizon 2030. Le numérique constitue le fil rouge de cette politique, notamment à travers la spécialisation S3 (Smart Strategy Specialization).

« Cette stratégie vise à mobiliser l'ensemble des fonds structurels européens pour assurer une croissance intelligente et durable, poursuit Sophie Rognon. L'Auvergne a déterminé cinq filières d'avenir, dont une spécifique à la « Traçabilité physique et numérique ». Toutefois, le numérique reste une thématique transversale impliquée sur les quatre autres domaines : « Prévention santé et confort de vie », « Systèmes agricoles durables », « Espaces de vie durable », « Systèmes intelligents et performants ». Des secteurs tous porteurs d'avenir. »

Autant de signaux forts qui forment un terreau favorable à l'émergence de pépites numériques faisant aujourd'hui référence. Ainsi Logolexie, devenu leader mondial des outils informatiques pour lutter contre la dyslexie. Ou Maskott, fondée il y a dix ans au Puy-en-Velay par des enseignants, qui propose des outils numériques pédagogiques et éducatifs et dont le chiffre d'affaires vient de progresser de 20 % en un an. Ou encore Perfect Memory, start-up originaire de Normandie, qui a élu domicile en Auvergne. Entreprise innovante du web 3.0, elle est devenue, en quelques années, le spécialiste mondial de la gestion, de l'indexation et de la mémorisation de contenus multimédias en grands volumes.

« Nous avons trouvé en Auvergne un écosystème très favorable à notre développement et des gens à l'écoute », affirme le Pdg, Steny Solitude.

« Arrêter les complexes d'infériorité »

Quelques très belles réussites ont jalonné l'histoire du net en Auvergne. Celle, par exemple, de Qualiac, à Aurillac (éditeur ERP - « entreprise resource planning ») : 140 salariés et 14,7 millions d'euros de chiffre d'affaires. Celle encore d'Almerys (gestionnaire de données pour professionnels de santé), à Clermont-Ferrand : 270 salariés et 15 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Ou encore celle de Pecheurs.com, à Gannat (Allier), sans doute l'une des plus emblématiques. Créée dans l'amateurisme en 2000 par deux amis passionnés de pêche, l'entreprise de e-commerce de produits et matériels pour les loisirs nature est devenue leader sur son secteur. Un chiffre d'affaires de 15 millions d'euros, 50 salariés, une croissance annuelle à deux chiffres, des locaux flambant neufs de 3 000 m² et de grandes ambitions : « Nous espérons faire dix fois plus d'ici 2025 ! », lance Olivier Bernasson, cofondateur et président de la société.

« Créer une entreprise telle que la nôtre en milieu rural présente de nombreux avantages : les collaborateurs sont davantage motivés et fidèles, le foncier est moins cher que dans les grandes villes et les coûts de fonctionnement, en général, sont moins élevés. Le seul vrai point noir, c'est le débit. Mais il y a, en Auvergne, tous les talents pour réussir. Il faut arrêter les complexes d'infériorité. »

Perfect memory

La startup originaire de Normandie, Perfect Memory, a élu domicile en Auvergne.

Seule ombre au tableau, l'Auvergne ne jouit pas encore du fameux label « French Tech », gage de visibilité pour ses startups, contrairement à Rhône-Alpes qui en présente déjà trois (à Lyon, Grenoble et Saint-Étienne). « Nous y travaillons très sérieusement. Il faut construire étape par étape », assure Jérémy Montagné, chargé de mission pour la filière numérique à l'Agence régionale de développement économique (ARDE) Auvergne.

Première étape franchie avec le lancement du « Quartier numérique ». Cofinancé par la Région et Clermont Communauté, il a pour vocation de devenir « un lieu d'émulation, de convivialité, d'effervescence, en ébullition », destiné à favoriser les échanges entre les startups, les PME et les grands groupes partenaires, tels Michelin, Limagrain, le Crédit Agricole, Centre France (journal La Montagne), etc. Il sera dédié à la création et à l'innovation, autour du numérique. De 20 à 40 entreprises devraient ainsi être constamment accompagnées ou hébergées.

« Le Quartier numérique est le chaînon manquant sur notre territoire, assure Franck Raynaud, président du cluster Auvergne TIC. Il sera rapidement indispensable au développement économique par le numérique ».

Une pierre de plus à l'édifice du net.

Le Cantal, premier formateur au métier du très haut débit

Deux cent cinquante personnes formées en trois ans pour 90 % de taux d'insertion professionnelle. La discrète chambre de commerce et d'industrie d'Aurillac affiche des statistiques à faire pâlir de jalousie toutes les CCI de France.

En 2012, alors que le conseil régional d'Auvergne annonce qu'il souhaite devenir précurseur dans le déploiement de la fibre, la CCI du Cantal a l'idée de proposer des formations aux métiers techniques du très haut débit, tels que les installateurs de réseaux câblés, les chargés d'affaires fibre optique, ou les négociateurs télécoms.

« Très rapidement, nous nous sommes rendus compte qu'il y avait des besoins sur l'ensemble du territoire français, y compris dans les départements d'outre-mer. D'où notre vocation de centre de formation national précise le directeur Sébastien Cheyvialle. Ce sont des métiers techniques très recherchés. Aujourd'hui j'ai 300 demandes de recrutement à pourvoir dans ce secteur, dans toute la France. »

« Nous avons eu l'idée avant les autres »

Pour dispenser cette formation - pouvant durer entre six mois et un an - le campus de la CCI a créé le centre national de formation au très haut débit et s'est doté de trois plateaux pédagogiques, qui ne désemplissent plus. À tel point que d'ici deux mois, deux autres verront le jour.

« Nous avons également un appartement témoin pour apprendre à nos techniciens à entrer chez les clients. Nos passeurs d'ordre sont très sensibles à l'image qu'ils renvoient », poursuit le directeur.

Dans leur fichier clientèle, la CCI compte les grands noms des télécoms comme Orange ainsi que l'ensemble des sous-traitants des opérateurs : Inéo, Sogetrel, Esco ou Scopelec, etc. Des entreprises qui recrutent en permanence.

« Régulièrement, on me demande pourquoi, ce centre national se situe ici, dans le Cantal, sourit Sébastien Cheyvialle. Je réponds tout simplement que nous avons eu l'idée avant les autres, portés par une politique régionale favorable au déploiement du numérique qui a souvent servi de levier. »

Retrouvez notre interview de Franck Reynaud, président du Cluster Auvergne TIC.

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